26 mai 2019, la victoire de l’ignorance

par chandlermbiing
samedi 1er juin 2019

Devant la télé, le soir des élections Européennes, je regardais le triste spectacle des différents partis qui se gargarisaient de leurs résultats. En plus d'une certaine amertume, je ressentais comme une envie de rire jaune. Sans pouvoir dire pourquoi, je ne pouvais pas m’empêcher d’entendre une ironie qui raisonnait dans leurs discours. Cette nuit, en y réfléchissant je me suis rendu compte de ce qui déclenchait ce rire jaune chez moi. En vérité - et c’est assez ironique vu le nombre de listes présentées - un seul parti sort grand gagnant dans ces élections Européennes : c’est le parti de l’ignorance.

Son champion le plus célèbre, le Rassemblement National est bien sûr peuplé de gens qui se trompent de colère mais la véritable ironie, c’est bien de voir qu’aujourd’hui, des gens pour qui la priorité absolue est d’enrayer les vagues d’immigration viennent de voter en masse pour un programme qui consiste à ne rien faire pour endiguer ce qui d’ici 30 ans aura produit entre 250 et 700 fois plus de réfugiés que le pauvre petit million de Syriens qui les dérange tant actuellement.

LaReM, n’est pas en reste : en 2017, certains électeurs ont trouvé pertinent de voter pour un candidat ouvertement sans programme qui promettait tout et son contraire, certains ont voté Macron pour faire barrage au FN… au premier tour des présidentielles, certains à l’entre-deux tours se scandalisaient que la France Insoumise ne soutienne pas Macron mais se contente d’un « pas une seule voix pour le FN » et reprenaient en cœur la comptine médiatique (et mathématiquement fausse) selon laquelle l’abstention ferait le jeu du FN ; la dernière touche d’ironie ? Hier, ils ont voté LaRem pour faire barrage au FN dans un scrutin… à la proportionnelle.

Les Verts méritent aussi une distinction pour avoir réussi à se faire passer pour le relai de grandes figures de l’écologie telle que Greta Thunberg… tout en prônant l’économie de marché. C’est un peu comme si Marine Le Pen se réclamait de Martin Luther King, Sarkozy de Jean Jaurès ou Pascal Praud de Simone Veil.

Mention spéciale au trio Yannick Jadot, Raphaël Glucksman et Benoît Hamon qui ont réussi à faire croire à des centaines de milliers de Français qu’ils cherchaient à unir la gauche… tout en se présentant sur des listes séparées. Ils ont également réussi -non sans l’aide assidue d’une paresse intellectuelle médiatique et électorale- la véritable prouesse de se faire passer pour des champions de l’écologie en arborant tous une copie du discours (clivant, vraiment ?) de la France Insoumise… mais sans programme viable. Une copie en plastique pas très écolo.

« Nul n’est plus esclave que celui qui se croit libre sans l’être », disait Goethe. En ce sens, peut-être que le parti de l’abstention, détenteur de la majorité absolue, a reçu beaucoup de ‘non-votes’ de la part de gens clairvoyants qui ont en réalité choisi de ne pas voter pour tenter de se libérer de cette mascarade qu’on nous impose de cautionner ; de gens désabusés qui, pour ne pas sombrer dans la déprime, refusent de légitimer, d’être liés de près ou de loin au système qui nous conduit à la 6ième extinction de masse et à la fin de notre civilisation. Cependant, choisir d’ignorer des élections, c’est encore choisir le parti de l’ignorance car si le mot ignorer a bien deux acceptions différentes 1- ‘‘ne pas être informé de quelque chose’’ ; 2- ‘‘refuser de tenir compte de l’existence de quelque chose’’, elles ont bien la même conséquence mortifère : l’impression fausse d’une absence de responsabilité dans la catastrophe à venir (à l’heure d’internet et du smartphone, chacun est responsable de ce qu’il ignore).

Pour avoir bonne conscience, les électeurs du parti de l’ignorance (abstentionnistes ou flemmards intellectuels) caressent tous l’espoir de pouvoir rejeter leur responsabilité collective à leurs dirigeants et de se contenter d’assumer leur responsabilité individuelle en devenant végétarien, en évitant de prendre l’avion et en publiant sur Instagram leurs participations à des collectes de déchets sur la plage. Les ignorants les plus zélés et les plus dangereux se permettent même un glissement sémantique : la responsabilité individuelle devient culpabilité individuelle et celui qui gueule parce que le prix de l’essence l’oblige à vivre chichement devient un des principaux coupables de la destruction de la planète tandis que le ‘‘consom’acteur’’ qui prend son vélo en ville, mange local et s’est abonné à la newsletter de 100 gestes écolos.com pour enjoindre les autres à ‘‘abandonner leur petit confort’’ se voit comme un guerrier vertueux de l’écologie.

Pourtant, en dépit de leur bonne conscience, il y a bien une chose dont les ignorants sont responsables, voire coupables : Einstein a dit quelque chose qu’on pourrait traduire par « Le monde ne sera pas détruit à cause de ceux qui font le mal mais plutôt à cause de ceux qui regardent et laissent faire ». Les petits gestes individuels du quotidien sont vertueux quand ils suivent ce que Kant appelait l’impératif catégorique (agis comme si la maxime de ton action devait être érigée en loi universelle) mais ils sont inutiles si notre responsabilité collective n’est pas guidée par ce que Kant appelait l’impératif hypothétique (qui veut la fin veut les moyens). Ainsi, ‘‘ne pas laisser faire’’, ce n’est rien d’autre que reconnaître l’importance capitale de notre responsabilité collective, celle qui aujourd’hui devrait pousser chacun à voter pour le programme qui prend en compte l’urgence écologique de la manière la plus aboutie -même si ça fait mal à l'égo de reconnaître qu’on s’est trompé par le passé.

Reconnaître notre responsabilité collective écologique implique de reconnaître le devoir de se renseigner vraiment sur les solutions existantes et par voie de conséquence :

-Reconnaître qu’on a collectivement condamné nos enfants en 2017, qu’on vient de perdre en cassation, mais qu’il existe encore une chance (peut-être une seule d’ailleurs), faire appel en 2022 avant le début de l’exécution de la peine.

-Reconnaître que les solutions de transition écologique au sein du système de l’économie de marché (qui encourage la maximisation des profits immédiats comme les énergies fossiles au détriment des profits à long terme comme l’hydrolien) sont incompatibles avec l’urgence écologique puisque la civilisation sera effondrée avant que les gisements d’énergies fossiles (étroitement liées à l’éolien et au solaire et extrêmement profitables à court terme) ne soient tous épuisés. En un mot, seule une sixième république qui remplace la loi du marché par la règle verte dans sa constitution peut nous permettre de limiter la 6ième extinction de masse.

-Reconnaître qu’on n’a malgré tout pas d’autre choix que d’être élu via le système pour pouvoir le changer par la suite car changer le modèle par la rue plutôt que par les urnes requiert un temps que nous ne possédons plus.


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