6 août 1945 : ils savaient pourtant qu’ils avaient déjà gagné la guerre

par Clark Kent
samedi 8 août 2020

Le 6 août 1945 à 2 h 45 (heure locale), un bombardier B-29 décollait de la base de Tinian, avec à son bord une bombe atomique à l'uranium 235 d'une puissance de 15 kilotonnes, surnommée Little Boy. L'équipage était composé de douze hommes, dont quatre scientifiques. Deux autres B-29 l'escortaient, emportant les instruments scientifiques destinés à l'analyse de l'explosion.

La ville avait été peu bombardée pendant la guerre et les habitants avaient l'habitude de voir les bombardiers américains survoler leur ville pour se rendre vers le nord du pays. La bombe a été armée en vol et larguée à 8 h 15, à près de 9 000 mètres au-dessus de la ville. À 8 h 16 min 2 s heure locale, après 43 s de chute libre, la bombe a explosé à 587 mètres du sol, à la verticale de l’hôpital Shima, situé au cœur de l'agglomération, à moins de 300 mètres au sud-est du pont Aioi, initialement visé.

L'explosion, équivalant à celle de 15 000 tonnes de TNT, a rasé instantanément la ville. 75 000 personnes ont été tuées sur le coup. Dans les semaines qui ont suivi, plus de 50 000 personnes supplémentaires sont décédées. Le décompte du nombre total de morts est de l'ordre de 250 000. Sur les 90 000 bâtiments de la ville, 62 000 ont été totalement détruits. Il n’est resté aucune trace des habitants qui se trouvaient à moins de 500 mètres du lieu de l'explosion.

Aujourd’hui, devant l'Enola Gay, l'avion qui a largué Little Boy sur les civils d'Hiroshima, les visiteurs du National Air and Space Museum, le sanctuaire dédié à la technologie du complexe militaro-industriel américain, ont droit à des commentaires édifiants de la part des guides touristiques : « la bombe a été larguée, » disent-ils, » pour sauver la vie de milliers d'Américains qui, autrement, auraient été tués lors d'une invasion organisée depuis le Japon. » Ainsi, Hiroshima et Nagasaki auraient été détruits, et 300 000 personnes auraient été sacrifiées à la suite d'un calcul froid et « moralement justifié » visant à provoquer la fin d’une guerre devenue insoluble.

Ce récit peut donner bonne conscience aux visiteurs du musée de l'air, mais il s’agit d’un mythe, fabriqué pour étayer la thèse du « bon droit des alliés ». En fait, les états-majors disposaient d’informations plus précises que ne le laisse entendre cette version.

Même si les chiffres ci-dessus sont effrayants, les bombardements incendiaires de Tokyo qui avaient eu lieu plus tôt en 1945 et la destruction de nombreuses villes japonaises par les bombardements conventionnels avaient déjà tué beaucoup plus de personnes.

Les principaux chefs militaires américains qui ont combattu pendant la Seconde Guerre mondiale considéraient que la bombe atomique était inutile, que le Japon était sur le point de se rendre, et même que la destruction massive de civils était immorale. La plupart d’entre eux étaient des conservateurs, pas des progressistes. Dans ses mémoires publiées en 1950 « I Was There » (J’y étais) l'amiral William Leahy, chef d'état-major de Truman, a écrit : « l'utilisation de cette arme barbare à Hiroshima et Nagasaki n'a été d'aucune aide matérielle dans notre guerre contre le Japon. Les Japonais étaient déjà vaincus et prêts à se rendre. En étant les premiers à l'utiliser, nous… avons adopté une norme éthique commune aux barbares de l'âge des ténèbres. On ne m'a pas appris à faire la guerre de cette façon, et les guerres ne peuvent être gagnées en détruisant des femmes et des enfants.

Le général commandant des forces aériennes de l'armée américaine, Henry "Hap" Arnold, a donné son point de vue dans une déclaration publique 11 jours après l'attaque d'Hiroshima. Interrogé le 17 août 1945 par un journaliste du New York Times sur la question de savoir si la bombe atomique avait provoqué la capitulation du Japon, il a déclaré que « la position japonaise était sans espoir avant même la chute de la première bombe atomique, car les Japonais avaient perdu le contrôle de leur propre espace aérien ».

Le Commandant-en-chef interarmées des Zones de l'Océan Pacifique, Chester Nimitz, a déclaré dans une allocution publique au Washington Monument deux mois après les bombardements : « la bombe atomique n'a joué aucun rôle décisif, d'un point de vue purement militaire, dans la défaite du Japon. . », et l'amiral William « Bull » Halsey Jr., commandant de la troisième flotte américaine, a déclaré publiquement en 1946 : « la première bombe atomique était une expérience inutile…. C'était une erreur de l’utiliser…. [Les scientifiques] avaient ce jouet, et ils voulaient l'essayer, alors ils l'ont largué… »

Le général Eisenhower lui-même, futur président des Etats-Unis a écrit dans ses mémoires que lorsqu'il avait été informé par le secrétaire à la Guerre Henry Stimson de la décision d'utiliser des armes atomiques, il lui avait fait part de ses doutes, d'abord sur la base de sa conviction que le Japon était déjà vaincu et que le largage de la bombe était complètement inutile, et ensuite parce qu’il pensait que son pays devrait éviter de choquer l’opinion mondiale en utilisant une arme dont l’emploi n’était plus nécessaire pour sauver des vies américaines. Plus tard, il a déclaré publiquement : "Il n'était pas nécessaire de les frapper avec cette chose horrible."

Même le célèbre faucon, le général Curtis LeMay, chef du vingt et unième Bomber Command, a déclaré un mois après le bombardement, que « la bombe atomique n'avait rien à voir avec la fin de la guerre. »

Du point de vue même de dirigeants contemporains clés de l'armée américaine, le largage de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki n'était pas une question de nécessité militaire. Les services de renseignement américains avaient « craqué » les codes japonais, ils savaient que le gouvernement japonais essayait de négocier la reddition avec Moscou.

Les historiens ne s’entendent pas tous quant aux raisons pour lesquelles les deux bombes ont été utilisées. Mais on sait que certains des plus proches conseillers de Truman considéraient la bombe comme une arme diplomatique et pas simplement militaire. Le secrétaire d'État James Byrnes, par exemple, pensait que l'utilisation d'armes atomiques aiderait les États-Unis à dominer plus fortement l'après-guerre. Leo Szilard, scientifique du Manhattan Project, qui a rencontré Byrnes le 28 mai 1945, affirme : « Byrnes était préoccupé par le comportement de la Russie d'après-guerre… il pensait que la Russie pourrait être plus gérable si elle était impressionnée par la puissance militaire américaine, et qu'une utilisation effective de la bombe pourrait impressionner la Russie. »

Mais les mythes sont beaucoup plus susceptibles d'être adoptés que les vérités dérangeantes. Il serait pourtant salutaire de commencer à se poser des questions sur les véritable raisons pour lesquelles les Etats-Unis ont largué la bombe atomique sur le Japon, de s’interroger sur ce qui est vrai et ce qui est faux, si l’on veut éviter une réplique.

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