6 ème extinction des espèces : pourquoi cela nous intéresse pas, ce que nous pouvons faire maintenant

par Elixir
vendredi 21 juillet 2017

Un nouveau rapport* sur l’extinction de masse des espèces vient de paraître, plus étayé et alarmiste encore que les précédents, nous incitant à changer fortement notre mode vie, jugé trop consumériste. Pourtant nous ne semblons pas pouvoir nous emparer sérieusement de la question, plus profonde et plus vaste que le seul thème du réchauffement climatique. Plus de 40 ans après le premier sommet de la Terre de Stockholm, Pourquoi ne parvenons-nous toujours pas à réagir ?

Une étude de l’IFOP interrogeait l’année dernière les français sur la hiérarchie de leurs centres d’intérêts dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017. L’environnement devait arriver en avant-dernière position des préoccupations, loin derrière la lutte contre le terrorisme et les questions d’ordre économique. 27% des sondés se déclaraient peu ou pas du tout intéressés par la question. Une étude de GreenFlex menée en 2015 révélait, elle, que 47,5% des consommateurs pensaient que l’on s’inquiétait trop au sujet de l’environnement.

 

Interrogé par Francetvinfo, Dominique Bourg, philosophe, tente une explication :

 " Ce qui semble faire réagir le genre humain, c'est un danger perceptible, évident et immédiat. Or, avec les affaires d'environnement, on se trouve confrontés à un type de danger auquel l'évolution ne nous a absolument pas préparés. Les problèmes d'environnement sont distants, dans le temps et dans l'espace (du moins le croit-on). "

 

Sylvie Granon, chercheuse en neurobiologie de la prise de décision au Centre de neurosciences Paris-Sud de l’université d’Orsay va un peu plus loin :

" Les principaux soucis des mammifères, y compris des humains, sont la reproduction, l’alimentation et la nécessité de trouver un abri. On ne peut voir au-delà que si tous nos besoins primaires vitaux sont remplis. On peut ainsi être en accord avec les messages écologiques mais ne pas les prioriser. "

 

Marshall Sahlins, qui a longuement étudié les sociétés primitives à travers le monde montre que celles-ci peuvent perdre temporairement leur forte cohésion sociale en cas de péril important (cataclysme, guerre,…) et voir ses membres se replier sur leur noyau familial le temps que la crise se termine. Peut-être une manifestation de la « réponse combat-fuite » héritée de nos ancêtres et décrite pour la première fois par le psychologue américain Walter Bradford Cannon qui de nos jours prendrait des formes évidemment plus édulcorées (comportement agressif, argumentatif, pour la partie « combat », retrait social, toxicomanie, stress, maladies mentales,…pour la partie « fuite »). D’autres chercheurs ajouteront des comportements tel que le fait de se figer face à un danger, ou même celui de se cacher. Plus tard Festinger introduira la notion de dissonance cognitive, face à des périls qui toucheraient à l’intégrité même du fonctionnement psychique d’une personne.

 

Déni de fuite

Ainsi l’avènement de notre individualisme, particulièrement prégnant dans notre société, et qui nous prive malheureusement des bénéfices de la coopération, pourrait-il s’expliquer par une adaptation comportementale de l’homme à un ou des dangers pour certains inédits et perçus de manière anormalement permanente (chômage, baisse du pouvoir d’achat, terrorisme, insécurité, mutations culturelles,…), tandis que l’inaction qui en découlerait serait renforcée par notre cécité à l’égard de questions pouvant être considérées pourtant comme fondamentales pour notre avenir (dettes, extinction des espèces, diminution des ressources, pollution, démographie,...)mais dont la prise en compte pourrait amener à des remises en cause trop profondes de notre mode de vie[1]et de nos convictions.

Rupture permanente du lien social et cécité, ainsi serions-nous doublement pénalisés.

Concrètement, le récent retrait de Trump des accord de Paris sur le climat pourrait en être un exemple, mais la remilitarisation actuelle du monde face aux dangers que constituent notamment la raréfaction des ressources naturelles, et la montée en puissance des pays asiatiques dans le concert(cacophonie) des nations pourrait en être un autre, mettant ainsi à mal la logique de collaboration2, malgré la crise, que l’homme chercherait malgré tout à mobiliser, en témoigne l’organisation des multiples sommets internationaux sur l’environnement de ces dernières années.

La question qui peut donc se poser serait celle de savoir quelle force aura le plus de chance à l’avenir de l’emporter, celle qui prépare petit à petit les nations et individus au repli, à l’inconnu et aux catastrophes, ou celle, issue d’une prise de conscience générale, qui nous ramènerait vers l’intelligence collective ? Une variable déterminante pourrait être le temps, dont toute forme de coopération a besoin pour se mettre en place mais qui pourrait manquer à mesure que les tensions s’exacerbent et les périls à venir se précisent, remettant ainsi en cause l’adage selon lequel ce serait dos au mur que l’on réagirait enfin.

 

Politique de l’autruche

Selon les chercheurs, il s’agirait donc de l’évolution, qui n’aurait pas conçu le cerveau humain pour l’anticipation de dangers perçus comme étant abstraits, ou à l’impact lointain dans le temps et l’espace, ou trop confrontants, ce qui pourrait expliquer pourquoi le terrorisme, responsable de quelques morts par an en France, mais qui peut frapper n’importe qui n’importe quand et de manière traumatisante semble beaucoup plus interpeller l’opinion publique que le problème de la pollution atmosphérique pourtant responsable de 48000 morts/an mais aux effets invisibles et beaucoup plus dilués dans le temps, et qui associe au passage son lot de questions complexes.

On pourra se poser la question par ailleurs de l’habitude, dont la force semble peser de tout son poids dans la prise de décisions cruciales. En témoigne à titre d’exemple les images chocs présentes sur les paquets de cigarettes mais qui ne dissuadent pas pour autant tous les fumeurs de continuer.

On a vu que la toxicomanie pouvait être considérée comme un comportement de fuite, il nous reste à espérer que la dépendance grandissante de notre société au progrès technique ne masque pas non plus un phénomène d’autodestruction, parce qu’il serait devenu plus facile de disparaître, que de trouver l’énergie constructive de vivre ensemble.

 

Chaque jour suffit sa peine

Cette sensibilité accrue de l’homme à la satisfaction des besoins immédiats et l’attachement à ses habitudes de consommation, pourrait donc favoriser une réponse court-termiste et conservatrice de l’action politique qui essaierait de satisfaire au mieux les attentes de l’électorat dans l’instant, pérennisant ainsi une forme de navigation à vue et de procrastination sur les questions environnementales, pouvant être perçues comme contraignantes et dont le retour sur investissement serait jugé beaucoup trop long. Le manque d’audace et de courage politique qui en résulterait de la part des élus, par ailleurs tiraillés entre des intérêts divergents(carrière personnelle vs lobbys vs intérêt général), le peu de soutien sur le sujet de la part des médias dominants appartenant pour l’essentiel à des grands groupes industriels, dont l’idéologie partagée n’est pas spécialement subversive, associés au peu d’intérêt préexistant de l’opinion pour la question pourrait être la cause de la très faible présence des courants écologistes dans la représentation démocratique (4,3% des voix au 1er tour des législatives en France, 1 siège à l’assemblée sur 577), et du caractère timoré des politiques environnementales entreprises jusqu’à présent pour accompagner les efforts des citoyens, malgré les enjeux considérés de plus en plus par les scientifiques comme étant primordiaux.

 

Alors au niveau des citoyens, justement, qu’en est-il ?

Si une part importante de français interrogés par GreenFlex (58,8% ) déclare « se soucier des problèmes liés à l’environnement » à des degrés divers, les actions entreprises, comme au niveau politique, semblent globalement demeurer mesurées et disparates. Outre le tri sélectif et les traditionnelles économies d’énergie (eau, électricité, gaz, bois, carburant,…) dont on peut penser qu’elles ne sont pas exclusivement dictées par les contraintes environnementales, mais aussi celles du porte-monnaie, la consommation de produits bio par exemple, même si elle a fortement augmenté ces dernières années semble toujours largement minoritaire en France. Il suffit de se rendre en supermarché et observer les rayons de nourriture pour en faire la constatation mais ce simple chiffre de 5,7 % de la surface agricole utile allouée à l’agriculture biologique devrait parler de lui-même. Et lorsque les consommateurs achètent un produit bio, 2/3 d’entre eux déclarent le faire pour des considérations de santé beaucoup plus que des raisons environnementales(source Le Monde). 

Cet état de fait semble confirmer la tendance selon laquelle seuls 20 % des Français se disent « très soucieux des problèmes liés à l’environnement. » ce qui pourrait ne pas être suffisant pour impulser un changement éco-responsable substantiel dans l’économie.

 

Inertie et prophètes

On relèvera par ailleurs un comportement important qui pourrait ajouter à la difficulté d’entreprendre des efforts collectifs : c’est le renoncement. Ainsi 33,8% des personnes interrogées par GreenFlex seraient d’accord avec la phrase «  Cela ne sert à rien que j’agisse pour l’environnement si les autres ne le font pas ».  

Découragement qui pourra être alimenté éventuellement par les études alarmistes et le constat de certains scientifiques éminents, comme Martin Rees, astrophysicien anglais, auteur de l’ouvrage « Notre dernier siècle », il y a déjà plus de 10 ans, selon lequel les choses pourraient être beaucoup plus dramatique qu’on ne le croit.

Dans le même sens la Global Challenges Foundation et l'université d'Oxford ont récemment dévoilé une étude listant les 12 scénarios possibles pouvant provoquer l'extinction de l'humanité à plus ou moins brève échéance.

Mais toutes ces annonces, plausibles ou non, pourraient aussi avoir un effet pervers de prophétie auto-réalisatrice dans la population, qui pourraient réveiller certains mais en rendormir d’autres : « s’il y a rien a faire, à quoi bon continuer à faire des efforts ! » et donc précipiter notre sort…

Ce à quoi Dominique Bourg, répond :

« Francetvinfo : Autour de moi, beaucoup de personnes se disent : "A quoi bon agir si personne ne fait pareil ?" Que leur répondez-vous ?

D. Bourg : Je ne suis pas du tout d'accord. Ce constat est une faute logique. Si on raisonne comme ça, on ne fera jamais rien. Ce n'est qu'une accumulation de comportements individuels qui va changer les choses. C'est la seule solution, même si avec des lois, ce serait plus efficace. Là, il faut s'inspirer de Kant et agir en imaginant les conséquences si tout le monde faisait pareil. Au début, t'es tout seul à prendre ton vélo, mais si tu le fais toi, ça va amener d'autres à le faire, et puis ça donne Amsterdam. Et à la fin, il n'y a plus de bagnoles et que des vélos. »

 

La dépendance au système

Autre facteur qui pourrait amplifier notre sentiment d’impuissance : le « système ».

Outre les prix élevés des produits écologiques (pas seulement alimentaires), et leur offre limitée, les infrastructures et l’organisation de la société sont aujourd’hui devenues telles, qu’il parait difficile, même pour les plus zélés, de devoir se passer de technologies pourtant considérées comme polluantes, voire aliénantes pour certains. On pensera par exemple aux transports, ou aux nouvelles technologies devenues quasiment incontournables et qui rendent en même temps obsolètes nos modes de vie et savoir-faire bon-marchés ancestraux. Les esprits non avertis, par exemple les enfants et les adolescents, sont aussi les premières victimes de la publicité, devenue aujourd’hui une véritable propagande consumériste, dont les médias censés nous informer se nourrissent d’ailleurs abondamment pour vivre. C’est la fable du serpent qui se mord la queue. 

 

Homo economicus est-il vraiment trop bête  ?

Difficulté au niveau international, difficulté au niveau national, difficulté au niveau des choix et possibilités personnels, manque de motivation, on pourrait penser que le tableau est noir, d’autant plus que le fonctionnement de la biologie humaine, on l’a vu, pourrait plaider pour une aggravation des choses à mesure que le temps passe et que les problèmes ne sont pas résolus.

Pourtant, il se pourrait que la génétique humaine n’explique pas tout. En 2016, les autrichiens, qui sont des homo sapiens comme les autres, sont parvenus à élire un écologiste à la présidence, chose qui devrait nous rappeler qu’en ce monde tout est possible, et que les questions environnementales, à la faveur d’un instant propice peut-être et de paramètres qui nous échappent encore peuvent finir par se frayer un chemin politique. En France, le choix par Macron du populaire Nicolas Hulot, qui avait un temps hésité à se présenter à l’élection présidentielle, au poste de ministre de l’écologie pourrait être un autre signe positif que les mentalités évoluent, malgré les nombreuses autres priorités qui demeurent chères aux français, et dont on pourrait penser qu'elles ne sont pas forcément contradictoires. 

 

Les femmes, avenir de l’homme

Autre facteur important, l’arrivée en force des femmes à l’assemblée nationale, qui selon l’étude de GreenFlex seraient largement plus sensible à l’écologie que les hommes. L’étude ne précise pas pourquoi, mais chacun pourra peut-être se faire son opinion à moins que ce sujet fasse l’objet d’un futur article...

Il se pourrait aussi que le message religieux, d’ordinaire conservateur, et qui dispose encore d’une capacité d’influence considérable dans le monde, s’oriente aussi progressivement vers les questions de la sauvegarde de la planète.

 

La société civile

On pense aussi aux échelons intermédiaires, collectivités locales et territoriales, qui de part leur bureaucratie moins lourde et leur meilleur connexion au terrain, pourrait être un vecteur de changement plus rapide que les grosses organisations technocratiques, c’est le cas par exemple du mouvement des villes en transition. Le documentaire « Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent, qui a reçu en 2016 le césar du meilleur film documentaire et qui fait état de la créativité de toutes les initiatives actuelles de la société civile et des possibilités et perspectives qu’elles engendrent ici et dans le monde, a reçu à cet égard un exceptionnel accueil du public(+ d'un million d'entrées, rare pour un documentaire). On ne s’empêchera pas à ce titre d’évoquer la sociocratie, l’holacratie, et tous les systèmes de gouvernance novateurs voués à remplacer demain nos démocraties hyper-centralisées, vieilles et corrompues, depuis trop longtemps basées sur la compétition des idées plus que la recherche de consensus.

 

L'âge de "faire"3

Peut-on espérer, aussi, que la réflexion de fond de nos élites, intellectuels, et leaders d’opinion laisse de plus en plus leur juste place d’exister aux idées nouvelles, alternatives, ou considérées il y a encore peu au regard de la pensée dominante, comme blasphématoires. Pour une analyse plus aboutie de la situation actuelle les auteurs sont légions, au hasard on choisira un Hervé Kempf, mais on pourra se référer aux travaux plus anciens de Jacques Ellul, Ivan Illitch ou Georgescu-Roegen précurseurs des théories de la décroissance dont Serge Latouche est actuellement l’un des porte drapeaux grâce à ses ouvrages très accessibles, ou les philosophies de la simplicité volontaire et de l’abondance frugale chères à Pierre Rabhi, auteur lui-même de l’excellente « Sobriété heureuse », et qui comme d’autres nous invitera à passer du « Il faut » au nécessaire « Je fais ».

 

Et moi ?

Enfin, d’un point de vue plus personnel, peut-être, pourra-t-on se demander comment nous en sommes arrivés là, quels pourraient être nos freins aux changement, et quel peut donc bien être devenu notre rapport au vivant, dont François Terrasson, nous avait déjà expliqué dans son ouvrage «  La peur de la nature » qu’il pourrait bien être la source intime de nos soucis actuels. Car la nature, ne serait pas seulement ce qui nous « environne », mais serait aussi celle qui se meut en nous, de par nos émotions, de part nos peurs, nos réactions d’attrait ou de dégoût, nos désirs, et qui pourraient être perçus comme un danger, par un esprit devenu aujourd’hui paradoxalement bien trop rationnel pour pouvoir les comprendre.

 

"Notre terre vaut mieux que de l’argent. Elle sera toujours là. Elle ne périra pas, même dans les flammes d’un feu. Aussi longtemps que le soleil brillera et que l’eau coulera, cette terre sera ici pour donner vie aux hommes et aux animaux. Nous ne pouvons vendre la vie des hommes et des animaux. C’est pourquoi nous ne pouvons vendre cette terre. Elle fut placée ici par le Grand Esprit et nous ne pouvons la vendre parce qu’elle ne nous appartient pas."

Chef indien Blackfeet (Pieds-Noirs)

 

 

…Je suis pauvre et nu, mais je suis le chef de la nation. Nous ne voulons pas de richesse mais nous tenons à instruire correctement nos enfants. Les richesses ne nous serviraient à rien. Nous ne pourrions pas les emporter avec nous dans l’autre monde. Nous ne voulons pas de richesses. Nous voulons la paix et l’amour.

Red Cloud Chef Sioux Oglala

 

*http://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2017/07/10/la-sixieme-extinction-de-masse-des-animaux-s-accelere-de-maniere-dramatique_5158718_1652692.html

[1] « le mode de vie américain n'est pas négociable » (George Bush Sr, 1992)


2 Jean Marie Pelt appelle cela aussi l’associativité, principe essentiel dans le fonctionnement du monde vivant, et pour lui très sous-estimé dans les representations de notre culture contemporaine. Jean-Marie Pelt, Pierre Rhabi “Le monde a-t-il un sens ?”

3Titre d'une revue écologiste

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