A propos de « l’Affaire Zemmour »
par IGOR SINCLAIR
lundi 22 décembre 2014
Dans une interview, répondant à la question provocatrice d'un journaliste italien sur la possibilité d'un rapatriement forcé de certaines populations selon lui inintégrables, en guise de réponse, EZ a rappelé qu'on avait déjà assisté à d'importants mouvements de population dans l'histoire contemporaine, que personne n’avait été en mesure de prédire juste avant qu’ils n’adviennent.
Citant l'exode des Pieds-Noirs en 62 et l'exil des juifs d'Europe de l'Est durant les années 30, il a voulu rappeler que l'Histoire pouvait parfois contraindre ou inciter à des flux de migrations massifs à des périodes données, généralement pour éviter ou fuir la violence qui s’installe entre des groupes ou des communautés ethniques ou religieuses devenus antagonistes.
Dans le contexte de la France d'aujourd'hui, où l’emploi recule et les affirmations identitaires se manifestent, envisager des politiques incitatives de remigration vers le pays d'origine, ou celui de sa famille ( pour les générations nées en France ) semble avoir pris la dimension d'un blasphème, d'un crime contre la pensée, d'une provocation honteuse et insultante, émanant d’individus dérangés, sans doute plus ou moins consciemment nostalgiques du IIIème Reich ou de l’Italie Mussolinienne.
Est-il vraiment utile de mentionner que l'amalgame que fait Zemmour entre Musulmans Français et populations inassimilables, représente une discrimination sur une base ethno-confessionnelle, ce qui est à la fois contraire à la loi et un raccourci stupide ( sans doute par méconnaissance totale de la réalité non seulement de l’Islam mais surtout des Islams ) au sujet de la première religion en terme numérique de l’humanité ?
Mais vouloir nier qu'une partie de la jeunesse d'origine immigrée, délinquante et illettrée pour des raisons socialement évidentes de déracinement puis de ghettoïsation, a sans doute plus de chance d'avoir un avenir dans le pays d'origine de sa famille, tandis qu'elle est vouée en France à une carrière de livreur de pizza ou d'agent de sécurité ( auquelle elle semble ne pouvoir échapper que par le djihadisme, comme le soulignait récemment Regis Debray invité à la table de ZeN sur la chaîne Paris Première ) serait la preuve d’un aveuglement idéologique confinant à la sottise criminelle.
Quant à la vive émotion qu’ont dû ressentir beaucoup de nos compatriotes de confession ou d’origine musulmane quand ils ont cru ( à tort ) qu’avait été évoquée la « déportation » des Musulmans français vers le pays de leurs ancêtres, alors que les violences coloniales qui sont inscrites dans leur ADN familial continue de les tourmenter, il serait bon qu’ils conçoivent que les descendants de Pieds-Noirs - dont Zemmour fait partie - ont un passif au moins aussi lourd et douloureux, qui peut expliquer et même justifier le semi-dérapage d’EZ.
A chacun d’en juger :
Après les violences atroces de la guerre civile et militaire d’indépendance commises de part et d’autres ( qui ne font à ce jour encore, et c’est sans doute souhaitable, l’objet d’aucun « devoir de mémoire » ) c’est sur la base de critères éminemments ethniques et confessionnels qu’à eu lieu la déportation ( c’est-à-dire le choix de « la valise » plutôt que celui du « cercueil ») de toute une population d’artisans, commerçants, professions libérales, cadres et simples employés qui avaient largement contribué au développement ( pour ne pas dire à la création ex nihilo ) de l’Algérie ( et pour beaucoup leur terre natale ) et non pas à sa colonisation sanglante.
A leur arrivée en France, ces familles de « Pieds-Noirs », dont la plupart furent ruinées, leurs biens étant confisqués ou abandonnés, durent subir ce qu’on appellerait aujourd’hui une forme de racisme, en tous cas de discrimination de la part des métropolitains, qui ne voyaient en eux que des esclavagistes, hier encore le fouet à la main.
Mais si le contexte économique favorable de l’époque a permis leur globale ré-intégration, il y eut quand même des suicides, du fait de carrières et de vies brisées, et un déclassement systématique, qui survint suite au déracinement le plus violent qu’on puisse connaître.
Qui s’imagine, devoir plier bagage en catastrophe, avec souvent le strict nécessaire, abandonnant maisons, amis, voitures, jardins, terres agricoles, souvenirs de jeunesse, appartements ou maisons occupées depuis plusieurs générations…
A ce jour encore complètement minoré, pour des raisons allant de la volonté d’apaiser des tensions ( ça et là encore vives ), à la stricte concurrence victimaire auxquelles se livrent certaines minorités, on peut aussi imaginer les séquelles qu’a pu provoquer sur toute une génération de Pieds-Gris, leurs descendants, cet épisode traumatisant de l’Histoire récente de notre pays.
On peut aussi faire l’effort d’imaginer le choc, pour la génération de leurs parents, de voir au fil des années des millions d’Algériens venir s’installer en France en quittant le pays dont on les avait expulsés, devenu exsangue et relativement chaotique après la décolonisation.
Loin de vouloir ranimer en aucune manière les souvenirs et les marques profondes laissées par ce qu’on a appelé « les évènements d’Algérie », rappeler ou décrire - pour qui les ignorait - ces faits bruts, permet un retour au réel qu’une certaine idéologie se voulant pourtant humaniste et de Gauche, a eu tendance depuis 30 ans à occulter de son roman national, au profit de périodes parfois plus loitaines et pourtant moins déterminantes de la situation de la France d’aujourd’hui.
Un refoulé et une amnésie dont le poids même lointain, semble parfois de plus en plus peser sur la paix civile. « L’Affaire Zemmour » en est peut-être le stigmate.
Si un dialogue sincère permettant la compréhension mutuelle, plutôt qu’un carcan idéologique fait de dogmes et de certitudes avaient pu s’instaurer entre Français et Algériens au moment où l’indépendance devait immanquablement advenir, le cour de l’Histoire aurait pu sans doute être infléchi.
A nous d'avoir ce dialogue aujourd'hui.