Abstention, vote blanc, Le Pen ou Macron

par Imhotep
mercredi 3 mai 2017

L'abstention est une responsabilité, le vote blanc aussi. On ne peut se cacher derrière des arguties pour s'en dédouaner. Les faits sont contraire aux slogans et belles phrases. La réalité sera que, quoi qu'il advienne, il y aura un(e) Président(e) de la République. Tout le reste qui fait croire que cela ne sera pas le cas, ou non de sa responsabilité de son choix n'est que blabla et mauvaise foi. Les curieux beaux idéaux ne sont que des déformations de ce qui est. Ce ne sont que le miroir des arguments du loup qui veut croquer l'agneau.

  Ce n’est rien de le dire que cette élection est méprisable tant au premier tour qu’au second. On se sait ce qui l’a emporté des insultes, des outrances, des affaires, des haines recuites et évidemment de la mauvaise foi non érigée en art mais en comble, sans oublier les trahisons aux hommes et aux idées.

 

Pour ceux d’entre vous qui ont lu mes articles pendant le quinquennat du mis en examen Nicolas Sarkozy, ce n’est pas un secret que je me situais et situe dans le camp de Bayrou (je sais nombreux sont ceux qui le méprisent, l’insultent, le dénigrent certains par réflexe pavlovien d’autres selon la vue d’un monde en noir et blanc où l’excès et la fausse rigueur et vraie raideur en sont les lois coutumières). Récemment j’ai écrit un livre sur Macron dans lequel je soulevais nombre de questions et demandais en conclusion de bien réfléchir si on voulait voter pour lui. Il m’apparaissait comme l’hyperbole du système et de la duplicité. Je ne m’opposais pas à son programme, non parce que j’y adhérais, mais parce que ce n’était pas l’objet de ce livre. Ce qui me troublais et me mettait hors de moi c’est qu’il avait une attitude de coucou, venir se loger dans le camp politique du centre car la place pouvait être prise. Je n’aimais pas qu’il se soit vraisemblablement servi de son ministère pour la création de son mouvement politique. Cela me hérissait le poil sa légèreté de comportement, parfois son arrogance. Il était pour moi une sorte de Sarkozy du pseudo centre, lui venant du PS. Comme tant je ne comprenais pas que l’on puisse gagner 3 millions d’euros en dix-huit mois. Tout cela est sans doute vrai. A tout cela je vais revenir.

 

  Dans quatre jours c’est le second tour de cette élection primordiale et nous nous trouvons dans une situation qui n’est pas, malgré les apparences, le copié de celle de 2002. Il y a trois raisons essentielles :

1- le PS est effondré, l’autre grand parti n’est pas présent et Mélenchon aurait pu être qualifié

2- il y avait un FN et un RPR

3- les scores ne sont pas les mêmes

 

  Depuis 2002 le FN monte peu à peu avec un coup d’arrêt aux régionales grâce à des barrages tant au Nord qu’au Sud quand une partie de la gauche a fait voter pour la droite (Bertrand et Estrosi). Si Marion Anne Le Pen, publicitairement appelée Marine, a fait plus de voix qu’aux Régionales, cela ne tient qu’à la participation, elle a fait un score un peu meilleur que son père en pourcentage. Elle ne peut plus se réclamer du premier parti de France qui, selon ce résultat, devrait être celui de Macron. En revanche ce qui est détonnant ce sont d’une part le ralliement de Dupont Aignan et la prise de position de Jean-Luc Mélenchon. Ce qui est inquiétant c’est le score élevé promis à Le Pen vers les 40 %. Au passage tous les soutiens farfelus d’Asselineau qui nous disaient qu’il ferait un score mirifique sont bien ce qu’ils semblaient être des extra-terrestres aveuglés comme les adeptes du Temple Solaire. Ensuite les sondeurs ne se sont pas tant trompés, reléguant les espoirs des votes cachés pour le mis en examen Fillon aux oubliettes. On nous serinait que les sondeurs n'avaient vu ni le Brexit, ni Trump pour trouver que tout serait différent et notamment Le Pen très haut. Ces beaux esprits étaient sans recul, car le mode électoral des USA n’est pas le nôtre, car pour le Brexit, le vote s’est trouvé dans la marge d’erreur des sondages. Celas il ne voulaient pas le voir car cela contrariait leur espérance.

 

  Pour ce second tour le choix va se faire entre l’abstention, le vote blanc, Le Pen et Macron (non par ordre de référence ou de détestation mais alphabétique).

 

  Dès l’instant où nous avons la liberté de conscience nous devons avoir la liberté de vote. Et la liberté de ne pas voter, en cela je suis totalement opposé au vote obligatoire. L’argument comme quoi les hommes sont morts pour le droit de vote qui devrait nous forcer à voter est doublement faux. Ils sont morts pour la liberté et pour qu’on puisse l’utiliser et de ce fait l’abstention devient un droit imprescriptible. Et de ce fait de ce droit il a un pouvoir et donc une responsabilité. On ne peut avoir le beurre et argent du beurre. On ne peut se dédouaner de ce que l’on fait en se cachant le visage ou en rejetant sur les autres les conséquences de son acte, une technique très au point chez tous les idéologues et dogmatiques de la terre (si je te frappe ce n‘est pas de ma faute c’est parce que tu m’as provoqué. Si je te viole c’est que tu avais une jupe trop courte). En inversant la proposition on se dégage de toute responsabilité la reportant sur les autres. Par exemple si Mélenchon n’est pas au second tour c’est la faute des autres et donc nous ne sommes plus concernés par le résultat de cette élection. C’est évidemment faux. Tout acte volontaire rend responsable celui qui le réalise. Le reste n’est que bavardage et mauvaise foi.

 

Dans la vie politique, ou démocratique, on se trouve en face d’électeurs qui ne sont pas équivalents, non dans leur vote ou non vote un vaut un, mais dans leurs comportements. On va de l’anti élection au militant encarté et hyper-actif. Tout ceci a une importance. On ne peut mettre dans le même sac les uns et les autres même si chacun a ce même droit imprescriptible à son vote … et de l’utiliser on non.

 

Le point crucial de cette élection est double. A priori Macron sera élu. C’est important, primordial - non dans un sens positif ou négatif, mais dans le sens originel du mot, dans le sens d’un engagement de conséquences futures - pour l’avenir de la France, mais ce n’est pas le seul. Celui dont cet article est le sujet est le score de Le Pen et la position des mélenchonistes, je parle ici des militants et non des électeurs.

 

Je conçois parfaitement que l’on soit déçu et que l’on décide de laisser faire les autres, de mettre le destin de son pays entre les mains de ceux qui voteront en s'abstenant soi-même. OK, mais alors il ne faut ni en rejeter la responsabilité sur les autres et accepter le résultat dont on aura pris part par l’abstention. Faire croire que l’on aura aucune responsabilité est se mentir à soi-même ou être d’une parfaite mauvaise foi. Ce qui n’est pas très glorieux. 

 

L’abstention comme acte politique (je ne parle pas là de négligence ou de laisser aller, mais d’acte volontaire, réfléchi ou parfois même agressif) ne peut dégager la responsabilité de son acteur. On peut se dire que l’on aime ni l’un ni l’autre. Certes. Dans le cas où deux éléments seraient possibles : la comptabilisation du vote blanc associée à une obligation de refaire l’élection si le candidat arrivé en tête ne réunissait pas un minimum des inscrits, alors l’abstention, permettant de refaire l’histoire, aurait tout son sens. On ne veut ni l’un ni l’autre et on peut recommencer l’élection. Dans le cas contraire s’abstenir c’est participer activement au résultat. La meilleure définition que j’ai lue est celle-ci : s’abstenir (ou voter blanc) c’est mettre un demi-bulletin Le Pen et un demi-bulletin Macron dans l’urne. C’est donc voter l’un et l’autre et non éliminer l’un et l’autre. Ca c’est la réalité. Ca c’est la conséquence d’une abstention. Le reste n’est que bla-bla et auto-justification.

 

  Mélenchon, du fait de son score élevé, a une responsabilité majeure. Dans le passé sa position a été nette contre le Front National. Cette fois-ci, en plus du retard à l’allumage, il y a eu une ambiguïté qui perdure. Avant d’aller plus loin il faut revenir sur un trait de sa campagne. Mélenchon est un homme cultivé, d’abord sympathique qui a de la verve. C’est un tribun. Pour ceux qui ont lu les divers commentaires sous tous les articles en ligne ils ont découvert, médusés, des réactions d’une violence certaine qui sont des plus dérangeantes. Sans vouloir faire ni de la sociologie ni de la psychologie à la petite semaine, on peut se dire qu’il y a trois catégories de mélenchonistes : les électeurs simples, les militants et les ultras. Pour les ultras il y a un véritable problème et de comportement et de respect de la démocratie. A lire leurs commentaires on pourrait penser à des membres d’une secte qui insultent, menacent, injurient, voient un monde binaire, ne réagissent que par slogans et invectives. Ces nervis sont organisés, envahissent les forums, ses tweeter et autre Facebook, réagissent au quart de tour. Une armée de l’ombre efficace et hyper agressive.

 

  Dans le monde politique il y a les pragmatiques, ceux pour qui peu importe qui est la personne, son passé, dès l’instant où elle sert votre intérêt, il faut l’aider. C’est ce qui a fait que la CIA a aidé des anciens Nazis pour lutter contre le communisme. C’est ce qui fait que seulement 19 % des électeurs de Fillon (contre une moyenne nationale de 69 %) estiment qu’un président de la République doit être probe et qu’ils votent pour lui malgré toutes ses casseroles. D’un autre côté il y a les idéologues, des dogmatiques parmi lesquelles il y a d’un côté els illuminés et de l’autre les durs qui savent ce qu’ils font et peu importe les moyens.

 

Les nervis de Mélenchon sont des dogmatiques, des propagateurs de slogans. Le problème du slogan c’est que parce qu’il est efficace fait de vous, non plus une personne responsable, avec du recul, réfléchie, mais une sorte de pavlovien qui répète des phrases au contenu violent mais sans rapport complet avec la réalité n’étant qu’un raccourci tronqué et partisan. Le slogan vous déshumanise, vous retire votre libre arbitre, vous retire tout ce qui a trait avec la compréhension, la possibilité que l’autre ait raison, votre cordialité au sens des mouvements du cœur, votre altruisme. L’autre devient un ennemi mortel et vous ne voyez que ça. Regardez autour de vous, regardez la réalité. Il est vrai que la finance a un poids sur le monde. Il est vrai qu’il y a nombre d’injustices, injustices insupportables. Mais regardez bien. N'y a-t-il pas d’injustice en Corée du Nord à Cuba, en Russie, chez Maduro où la police sous les ordres d’un ami vénéré par Mélenchon tire sur la foule ? Il y a des système politiques économiques différents, il y a une prégnance du système libéral, mais rien n’est absolu. Regardez donc, même en France tous les circuits courts qui se créent. Où se trouvent les financiers lorsque vous allez acheter votre salade au marché bio ? Où intervient la finance dans votre partie de carte, dans votre promenade en montage ? Où intervient la finance quand vous pouvez manifester librement, dans les comités d’entreprise d’DF ou de la SNCF, les réunions syndicales ? Où intervient la finance lorsqu’un film écologiste réussit à exister par Ulule, financement participatif, a ensuite réuni plusieurs millions de spectateurs en salle ? où est cette maudite finance quand il y a des dizaines de milliers de projets participatifs ? où la finance empêche-t-elle les 500 000 festivals par an en France ? Et que dire (même si on nous rétorquera que ce n’est que juste compensation ou envie de se racheter) quand des dizaines de milliards sont apportés par des milliardaires ou par l’Europe aux divers pays en développement ? Que vous disiez que cela n’est que juste retour des choses, que nous avons pillés tout le monde, cela n’ôtera jamais le fait que c’est fait et que cela aurait pu ne pas l’être. Le monde est injuste et imparfait on ne peut s’en contenter. Le combat pour son amélioration est juste mais le combat par la haine ne peut construire. Le combat par le délit de salle gueule (le riche pour les uns, les gauchistes pour les autres, les immigrés pour les derniers) est toujours un délit de salle gueule d’où qu’il vienne et aussi quand il vient d’un mélenchoniste. C’est un délit de salle gueule. Ramener la politique à un seul élément faux par définition : la finance gouverne le monde, détruit ce que l’on voudrait construire. La finance gouverne une partie du monde, mais pas ni tout le monde ni la toute la France.

 

  Il y a un véritable problème philosophique et politique avec ce qui s’est passé avec Mélenchon. On nous sort plein d’arguments comme quoi grâce à lui Le Pen aura eu moins de voix. C’est vrai. Mais ensuite ? Aura-t-il fixé ces électeurs ? Les aura-t-il détournés de Le Pen définitivement ? Si c’est le cas vers où les envoient-ils ? Vers Maduro ? Mais si ce n’est pas le cas ? S’il n’était pas arrivé à les fixer ? Il semble que 29 % des électeurs de Mélenchon vont retourner au bercail. Donc il ne les aura pas fixés. Il n’aura été qu’un aimant temporaire. 

 

  Si l’on regarde la consultation des militants de Mélenchon il faut se poser quelques questions. Tout d’abord on a beaucoup entendu dire que les Insoumis étaient assez grands pour savoir ce qu’ils avaient à faire et qu’ils n’avaient pas besoin de Mélenchon. Très bien alors pourquoi auraient-ils besoin d’un vote au sein des militants ? Que font-ils de cette contradiction majeure ? Et surtout quelle est cette pseudo vote démocratique quand dans les possibilités offertes le vote pour Le Pen n’est pas soumis ? Qui s’est posé la question de cette bizarrerie ? C’est un véritable tour de passe passe. En ne mettent pas Le Pen, Mélenchon veut donc soit-disant faire passer le message qu’il n’y aura pas de vote pour Le Pen. Mais s’il devait donner la parole aux militants, il ne pouvait en aucun cas supprimer un terme de l’équation. Cela a un autre avantage pour lui : éviter de montrer combien parmi ses militants aurait voté Le Pen. Ne pas mettre Le Pen c’est évacuer un problème, c’est tricher, c’est mettre la poussière sous le tapis et c’est malhonnête. Ensuite quelle légitimité quand chacun des trois votes aura en finalité moins de 20 % des militants encartés ? Quelle légitimité ? Et pourquoi les électeurs devraient-ils suivre ces militants s’il ne doivent pas suivre leur leader ? Et que dire donc de cette abstention de plus de 45 % ? Est-ce que cela peut dire qu’ils sont troublés à plus de 45 % ? Est-ce que cela veut dire que ceux qui ne sont pas allés voter à cette consultation auraient voté Le Pen ? Ce vote interne est une escroquerie intellectuelle et une contradiction avec les positions de Mélenchon.

 

  Il y a autre chose, une question que doivent se poser les abstentionnistes : et que feront donc les autres électeurs dans le cas d’un combat Insoumis/Front National au second tour des législatives ? Ils devraient faire comme eux ?

 

Ce qui est insupportable dans cette attitude en fait est d’oser mettre le signe = entre Macron et Le Pen. Il n’y a pas d’égalité. Aucune égalité. Entre les deux, même s’il y avait une détestation de chacun, les attitudes, le passé idéologique, le présent des paroles et des actes, font qu’il y a une différence. Quand bien même elle serait d’un milliardième, il y a une différence et du fait que quoi qu’il advienne, quoi qu’il advienne, il y aura un résultat avec un(e) élu(e) on est obligé de le reconnaître et de choisir. Ne pas voter c’est accepter ce choix, et c’est donc en prendre la responsabilité.

 

  En 2002 je me suis abstenu. Mes raisons pourraient sembler similaires à ceux des mélenchonistes qui veulent faire pareil. Je l’avais fait pour trois raisons, dont une est proche de celles des abstentionnistes volontaires aujourd’hui : les Français avaient placé en tête deux personnes qui m’étaient insupportables, le Front Républicain permettait à beaucoup de se refaire une virginité à bon compte et enfin Le Pen n’était pas très haut et ses chances d’être élu étaient tout simplement nulles. Les différences sont énormes entre 2002 et aujourd’hui. En 2002 il y a 71,6 % de participation au premier tour et 4,8 millions de voix pour Le Pen avec 16,86 % des voix, au second respectivement 79,7 %, 5,5 millions et 17,78 %. En 2017, 77,7 % de taux de participation, 7,68 millions de voix et 21,30 % pour Le Pen. Elle fait 60 % de voix en plus, et surtout on lui pronostique un score de 40 % soit une progression de 90 % quand son père n’avait que peu progressé.

 

  Vouloir assimiler les deux situations est évidemment malhonnête. Le Pen est plus haute que l’autre patriarche dynastique, sans avoir le score mirifique qui lui était promis. En revanche ce qui est inquiétant et devrait faire que tout un chacun réfléchisse à deux fois avant de abstenir ou de voter blanc c’est ce terrifiant transfert de voix avec une progression possible de 90 % ! Le choix n’est pas de se dire peu importe de toutes façons Macron sera élu, et même si je ne vais pas voter ou si je vote blanc. S’il y a une différence de comportement, politique, philosophique entre l’abstention et le vote blanc, le résultat est le même, mettre dans l’urne un demi-bulletin de vote Le Pen, et un demi-bulletin de vote Macron (cela paraît absurde et le contraire puisque le vote ne compte pas sauf que la réalité fait qu’il y aura un résultat de toutes façons et de ce fait cela revient strictement au même que d’apporter une demi-voix à chacun, c’est donc - bis repetita placent - non éliminer l’un et l’autre mais accepter l’un et l’autre l’opposé totalement de la raison pour laquelle on vote blanc ou l’on abstient.) Le choix est est-ce que j’accepte une progression de 90 % des électeurs de Le Pen ? ou est-ce que je décide d’éviter cette progression tragique ? Dans le premier cas on en est complice, quelles que soient les pseudo bonnes raisons que l’on se donne. On peut même dire, quand l’acte est volontaire, un complice actif (abstention ou vote blanc). Dans l’autre cas on aura tenté d’enrayer cette progression qui fera de la France un pays assez pourri.

 

Alors que j’ai des opinions sur Macron qui ne lui sont pas favorables, tempérées par le fait que Bayrou ait obtenu quatre conditions très importantes (Une alternance véritable, Une loi de moralisation de la vie publique, Rémunérer davantage le travail et L’introduction de la proportionnelle), je vais voter sans hésitation aucune pour Macron tout en évitant cette image déplorable de se dire de le faire avec une pince à linge sur le nez. Je sais quelles sont le priorités. Je ne me pose même pas la question de savoir si c’est de gaieté de cœur ou non. C’est une obligation morale, politique, philosophique que Le Pen progresse le moins possible.


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