Accaparer la souveraineté étatique : De Gaulle (1945) échoue là où Pétain avait réussi (1940)

par Michel J. Cuny
lundi 29 juin 2015

Avant de voir l’instrument élaboré en 1945, pour le compte de Charles de Gaulle, par Jules Jeanneney qui, selon son petit-fils Jean-Noël, était « opposé à une Convention, une Constituante dotée des pleins pouvoirs dont on ne sait pas où elle pourrait conduire, et qui risquerait d’aboutir à perpétuer un gouvernement d’assemblée », arrêtons-nous sur ce que l’homme du 18 juin en a dit lui-même dans ses Mémoires  :

« C’est le 9 juillet [1945] que je saisis le Conseil [des ministres] du projet d’ordonnance que j’avais établi avec la collaboration dévouée de Jules Jeanneney. La délibération fut calme et approfondie. Comme la plupart des ministres appartenaient à des partis et que ceux-ci avaient tous manifestés leur désapprobation, je fis connaître que j’acceptais d’avance les démissions qui me seraient offertes. On ne m’en remit aucune. Le Conseil adopta le texte sans changement, à l’unanimité. » (Jules Jeanneney, Journal politique, page 266.)

Pour sa part, Jean-Noël Jeanneney indique que le récit qu’il livre lui-même « est bâti d’après des notes inédites de Jean-Marcel Jeanneney  », son propre père qui était directeur de cabinet de Jules, le grand-père. Il ajoute :
« Dans ses Mémoires, de Gaulle est très bref sur ces péripéties, et écrit, en comprimant quelque peu la chronologie.  » (Jules Jeanneney, Journal politique, page 266.)

Ce qui demeure, c’est que De Gaulle est tout heureux d’afficher son mépris pour tout avis contraire au sien… En face de quoi, il ne sera pas inutile de signaler que moins de cinq mois et demi plus tard, il quitterait le pouvoir, en gardant la croyance qu’on le rappellerait très vite…

Plus ou moins seul contre tous au sein d’un gouvernement qu’il avait lui-même formé, De Gaulle était tout aussi isolé en face du seul autre organisme existant alors dans le pays : l’Assemblée consultative provisoire, à l’intérieur de laquelle le Conseil National de la Résistance (organe souverain selon les accords pris entre Jean Moulin et Charles de Gaulle à Londres en février 1943) avait été relégué.

Puisqu’elle n’est que “consultative”, et puisqu’elle ne fait que rassembler des représentants de tout ce qui, dans le pays, a participé à la Résistance, il n’y a décidément pas à prendre plus de gants avec elle qu’avec les “partis”… Or, par 210 voix contre 19, elle repousse, elle aussi, le texte imposé, selon De Gaulle lui-même, au Conseil des ministres…

En face du projet Jeanneney, et puisque c’est le seul rôle qui lui revient (je cite ici l’historienne Georgette Elgey)…
« l’Assemblée se borne à émettre des vœux. À l’unanimité de ses 286 votants, elle se prononce pour la nécessité de la responsabilité ministérielle. Par 144 voix contre 25, on déclare qu’il appartiendra aux élus de régler l’existence de cette responsabilité. Enfin, par 185 voix contre 46, l’Assemblée se prononce pour une Assemblée constituante souveraine. » (Georgette Elgey, La République des Illusions, page 85.)

Pour aider à comprendre le sens des trois vœux émis ici, il faut indiquer que la synthèse réalisée par l’ancien président du Sénat, Jules Jeanneney, pour aboutir au projet qu’il a finalement remis à De Gaulle, coupait en deux ce qui n’aurait pu être qu’une Assemblée constituante souveraine exerçant un contrôle direct sur le pouvoir exécutif émané d’elle, votant les lois nécessaires dans l’immédiat, et débattant de la nouvelle Constitution à soumettre au suffrage universel.

Jeanneney proposait donc que le Gouvernement puisse avoir une large autonomie par rapport à une Assemblée constituante soumise à toutes sortes de contraintes.

Dès le départ, on le voit, il s’agissait de briser les reins, autant que faire se pouvait, à toute velléité de s’orienter vers une Assemblée unique, souveraine parce que directement issue du suffrage universel, mais surtout, de se préparer à hisser sur le pavois un De Gaulle qui ne comptait certes pas se soumettre lui-même aux volontés du suffrage universel, sûr qu’il était d’incarner la France à lui tout seul.

Jusqu’à quel point la manœuvre réussirait-elle ?


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