Act up, think down

par Norbert Balcon
jeudi 4 décembre 2008

Le 17 décembre prochain, Act Up organise une réunion d’information sur la criminalisation de la transmission du VIH. Depuis toujours, l’association défend le "principe de la responsabilité partagée". De quoi s’agit-il ? Démonstration.

Marie a 23 ans. Elle s’est laissé séduire par Tristan, un avocat de cinq ans son ainé, très sportif, charme considérable. Un anglais qui l’a un peu fréquenté le décrit ainsi : « He could charm a duck off water ». Quand il était plus jeune, ses copains de sortie disaient de Tristan qu’il « se parfum(ait) à l’eau de Cologne magique. »

 

Marie est amoureuse. Elle lui a proposé d’emménager chez elle mais Tristan - qui travaille énormément - avait besoin de garder son appartement, plus proche de son cabinet. Dès qu’il le peut, il vient passer la nuit sans jamais oublier d’apporter un bouquet de fleurs, du parfum, du chocolat, des sous-vêtements coquins. Les vendredis soirs, il passe la prendre avec sa BMW décapotable pour l’emmener en week-end.

Après seulement trois mois, le couple envisage de se fiancer et de fonder une famille.


Mais Marie ne sait pas qu’elle a un problème : Tristan n’est pas avocat jusqu’au bout. Il est assistant juridique dans un cabinet d’avocats. Sa décapotable est une voiture de location. Ceux qui le connaissent bien savent qu’il est un peu « mytho » sur les bords, que c’est un flambeur, qu’il a « le boulard ». Un beau parleur qui prend un soin obsessionnel de son image. Il fait partie de ces personnes très persuasives dont on dit parfois qu’elles vendraient « des confettis à la sortie du cimetière », ou « du sable dans le Sahara ». Père et mère, en ce qui concerne Tristan.

Il obtient la note de 20 sur 24 avec la PCL : SV. Autrement dit, il est porteur d’un trouble de la personnalité psychopathique. Quand on gratte le vernis de façade, on découvre une individu narcissique, manipulateur, irresponsable, malhonnête. Tristan est incapable d’éprouver certaines des émotions qui fondent le lien moral : affection, amour, empathie, remords.

Un homme moderne quoi. Coureur de jupon avec ça, mais très performant parce que la vitrine est flamboyante comme le capot de sa BMW. Au cours de l’année 2007, Tristan a eu 9 partenaires sexuelles. Il les a comptées parce qu’il voulait battre son record de 2005, qui était de 13. Un homme libre, de la race des disséminateurs. Il leur dit ce qu’elles ont toujours rêvé d’entendre, les couvre d’attention, de promesses, et puis lorsqu’il a obtenu ce qu’il voulait (quelques orgasmes), il passe à autre chose, d’autres talons aiguille. A 18 heures, il jouit dans Sophie ; à 20 heures il murmure dans Marie : « Tu es le soleil de ma vie. Tu es unique. » La fille unique, effectivement, d’un père fortuné.

En mars 2006, Tristan a appris qu’il avait le sida. Ca l’a foutu en rogne, vraiment. Pas vous ? Le soir même, il se défonçait les nerfs dans Christelle, sans préservatif. Entre le mois de mars 2006 et le mois de juin 2008, date de sa rencontre avec Marie, il a eu des rapports non protégés avec 12 partenaires différentes. Cinq ont été contaminées. Tristan s’en fout. Elles n’avaient qu’à faire gaffe ces connes. Il n’y pense pas en fait, jamais. Il n’a jamais éprouvé de culpabilité pour quoi que ce soit et pourtant, il en a fait des crasses dans sa vie. La culpabilité ne fait pas partie de sa gamme émotionnelle.

Généralement les filles insistent pour qu’il mette un préservatif. Tristan le prend comme un défi lancé à la face de son grandiose, une enclave au beau milieu de son emprise ; alors il sort le grand numéro pour les faire changer d’avis. Il a trop l’impression, quand il les baise en capote, de ne pas se les approprier totalement. Avec celles-là, celles qui se sont refusées, il se montre particulièrement mesquin et méchant. Il sait trouver dans leur apparence physique vous savez, ces petits détails qui vous humilient, ceux qui font souffrir, un début de pourriture, une faute de frappe génétique. La souffrance des autres aussi, il aime. La grimace est un logo qu’il appose sur leur figure pour bien marquer son territoire.

Marie est ce qu’on appelle « une fille bien ». Elle est intelligente, équilibrée, consciencieuse, honnête, douce, généreuse. A l’inverse de Tristan, elle est capable d’amour, de tout l’amour. Elle éprouve assez souvent de la culpabilité bien que ses fautes soient minimes. Comme tous ceux qui sont doués d’empathie, elle se laisse facilement gagner par la souffrance des autres, une contagion émotionnelle qui se passe de pénétration. Marie a aussi des points faibles, bien sûr, comme tout le monde, mais surtout, elle n’a pas suffisamment vécu. Elle n’a jamais été impliquée de manière intime avec un pervers narcissique, elle n’a jamais appris à les repérer pour s’en protéger. Marie est convaincue que Tristan est ce brillant avocat dont il a pris le masque. Elle n’a encore rien décelé de la personnalité qui se dissimule derrière.

Le jour où son fiancé lui a proposé de le faire sans capote, elle a insisté pour qu’ils passent un test ensemble au préalable. Tristan a esquivé en disant qu’il n’avait « pas le temps ces jours-ci  », mais deux semaines plus tard, il est arrivé chez elle avec ses résultats : « VIH- ». Tristan a le virus du Kerviel, en plus. Lorsque vous êtes folle amoureuse comme l’est Marie, vous ne vous amusez pas à inspecter suspicieusement l’attestation que vous tend l’homme de votre vie. Il a plaisanté : « Alors on prend la décapotable ce week-end ? » et ça l’a fait rire Marie, elle l’a enlacé dans ses bras tendrement et lui a déposé un baiser sur la joue.


Au bout de huit mois de vie commune, Marie a commencé à avoir des doutes sur certains comportements de Tristan. Il lui a dit des trucs incohérents, confus. Elle a parfois été troublée par son absence d’intelligence émotionnelle dans certaines situations, son regard vide par moments, métallique. Elle s’est mise à cogiter ; elle est entrée dans ce long processus d’observation minutieuse et de réflexion au terme duquel elle comprendrait - avec une souffrance lancinante - que Tristan est différent, qu’il perçoit les gens comme des objets, et qu’il s’en sert comme jouissotières. Au bout de 13 mois, elle a compris qu’il n’était pas avocat, elle a réalisé avec horreur que la moitié de ce qu’il lui avait dit était déformé, mensonger, bidonné. Elle a ouvert les yeux sur la psychopathie. Et elle a fait connaissance avec son nouveau statut sérologique.

Quand elle a porté plainte, Tristan a riposté de la même manière, affirmant que c’était elle qui l’avait contaminé. Il disait à leurs amis communs qu’elle l’avait trompé. Il s’effondrait en larmes devant eux et les gens, impressionnés forcément, le croyaient sincère.


Tristan a finalement été traduit en justice. Il a soutenu qu’il ignorait porter le virus, jusqu’à ce qu’on mette la main sur les résultats de son test de mars 2006. Il a alors affirmé qu’il avait consciencieusement averti toutes ses partenaires, et qu’elles avaient quand même « bien voulu » faire l’amour, sans préservatif, parce qu’elles étaient « amoureuses » selon ses dires. Puis il a repris les arguments d’Act Up. Il a parlé de « discrimination » contre les malades, de « stigmatisation ». Son avocat a fait venir à la barre un psychologue gay, lui-même porteur du virus, qui a parlé du phénomène du déni, de la difficulté qu’il y a à avouer au partenaire sa séropositivité, de la peur d’être rejeté, etc.

Marie n’était pas présente dans la salle. Un joggeur l’avait découverte trois semaines plus tôt, pendue à la branche d’un chêne, dans le bois de Boulogne, déjà raide.

Act Up avait appelé à manifester en masse sur les marches du palais de justice, le jour du jugement. Ils étaient d’ailleurs 12 à avoir répondu présent (7 selon les estimations de la préfecture), notamment Fabrice et Lulu, sans oublier Sandrine qui avait amené ses banderoles : « Ni victime, ni coupable » et « La prison ne guérit pas du sida ».


C’est une histoire fictive, mais vraisemblable je crois. La presse se fait parfois l’écho de faits divers plus sordides encore, comme l’histoire de Clato Mabior.


La criminalisation de la transmission

Act Up possède un discours bien rodé sur la question, un discours composé d’arguments moraux et sanitaires.

*C’est de la discrimination. On veut mettre Tristan en prison parce qu’il est malade. On ne lutte pas contre le sida en incarcérant les séropos. Prévenir, au lieu de punir.

* «  Ni victime, ni coupable, seulement deux malades à soigner  » ( 8 en fait dans notre exemple, puisque Tristan a contaminé deux femmes de plus pendant sa relation avec Marie). C’est le fameux principe de la responsabilité partagée. Il faut que tout le monde soit responsable et pas seulement les séropositifs. En traduisant Tristan en justice, on fait porter sur les épaules de ces derniers toute la responsabilité de la pandémie. Les séronégatifs doivent se sentir concernés et se protéger tout le temps, même lorsqu’ils sont en couple. Marie aurait dû faire preuve d’un peu moins de légèreté.

* Envoyer un « séropo » en prison au prétexte qu’il s’est engagé sciemment (ie : en connaissant son statut sérologique) dans un rapport non protégé, c’est faire comprendre aux gens qu’ils ont tout intérêt à ne pas se faire dépister. Act Up redoute que trop de personnes raisonnent de la sorte : « Tiens, j’ai pris des risques, si ça trouve je suis séropositif. Vaut mieux que j’évite d’aller faire un test sinon je pourrai plus baiser sans capote sans risquer de me retrouver en taule. »

* Les séropositifs sont malades ; ils ont besoin d’être soignés. Or en prison ce n’est pas possible. Tous les séropositifs devraient être exemptés de prison (de même que les autres malades sérieux).

* Si Act Up dédouane Tristan, l’association désigne d’autres responsables à sa place :

Les pouvoirs publics, coupables de ne pas faire ce qu’il faut au niveau de la prévention.

Les gens en général. Les séropositifs sont stigmatisés et craignent que leur partenaire ne refuse d’aller plus loin s’ils leur avouent leur séropositivité.

 

 


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