Acte final : Et s’il n’y avait pas de pandémie de grippe A(H1N1) ?

par Bernard Dugué
vendredi 31 juillet 2009

Voici le dernier billet de la série consacrée à la grippe A (H1N1), avant la catastrophe finale annoncée par les autorités. A moins que ce ne soit qu’une vaste fumisterie. On lira dans ce texte une synthèse de la situation avec quelques éclairages supplémentaires d’importance permettant de faire le point sur cette pandémie grippale dont on parle sans doute un peu trop.

La grippe A (H1N1) nouvelle de 2009 nous confirme qu’une célèbre formule s’applique et je me permets de la reformuler ainsi, ce dont nous sommes certains, c’est que nous ne sommes sûrs de rien. Autrement dit, la grippe désignée comme mexicaine, puis porcine, puis A (H1N1) n’a livré aucune donnée intangible. On ne sait pas d’où elle vient. On ne connaît pas sa virulence, son impact sur les populations, ni si elle va muter, ou alors s’étendre au point d’infecter 2 milliards d’humains dont 20 millions en France. Ces chiffres, bien qu’étant annoncés par des professionnels de santé, paraissent au commun des mortel fantaisistes et parfois effrayant pour d’autres. L’OMS ne communique plus ses chiffres mais les données publiées il y a un mois étaient-elles fiables ? Elles ont pourtant alimenté les médias. Une autre chose dont nous sommes certains, c’est qu’il y a un problème à résoudre. Sans pour autant savoir la nature du problème. Car la grippe A pourrait être une menace sanitaire, à moins que la menace ne soit que d’ordre psychologique, autrement dit, une pandémie de panique. Liée pour l’essentiel à une diffusion intempestive d’informations peu fiables, émanant de la planète, assorties de commentaires plus ou moins alarmistes des professionnels de santé. Bref, ces choses là ont déjà été pointées et si telle était la nature du problème, il nous faudrait élaborer une théorie de la folie des mass média. Ou du moins, induite par les mass média.


Cette théorie ne pourrait faire l’économie d’une analyse du processus. On ne perçoit pas une grippe comme on observe un vol d’oiseau. La grippe perçue par les professionnels de santé, les épidémiologistes, est une grippe filtrée par les réseaux d’observations qui recensent les cas déclarés dans les consultations, les hospitalisations, les décès « objectivement » causés par la grippe et le cas échéant, font des prélèvements pour connaître le type de virus, A, B ou C et le sous-type, notamment dans le cas des grippes A qui sont les plus virulentes. La plupart des pays disposent de système de vigilance sanitaire et bien évidemment, surveillent les épidémies de grippe. Alors que l’OMS collecte les données puis formule des recommandations sur les souches destinées à entrer dans les vaccins saisonniers à venir. Il existe donc plusieurs niveaux de réalité. La grippe telle qu’elle affecte la population mondiale, la grippe telle qu’elle apparaît dans les graphiques scientifiques et enfin, l’interprétation des graphiques. On peut penser que cette grippe A de 2009 semble différente de la grippe classique dite saisonnière ; bien qu’elle soit causée par un virus du type H1N1, type déjà détecté dans les précédentes épidémies de 2006 et 2007, aux côtés du très classique H3N2. Mais comme l’a annoncé le 26 avril 2009 l’OMS, le virus analysé à partir d’échantillons mexicains et américains contiendrait des éléments géniques inhabituels qu’on trouve dans les grippes aviaires, humaines et porcines. Il ne faut pas se tromper sur la dénomination. Le H et le N ne représentent que des déterminants antigéniques. Tandis que le virus grippal a pour mémoire génétique huit brins d’ARN, chacun codant pour une ou plusieurs protéines. On imagine aisément le nombre de combinaisons possibles et c’est cette segmentation du génome viral qui explique les incessantes mutations, soit par « erreur de copie », soit par réassortiment. D’ailleurs, une nouvelle souche a été découverte au Brésil, sur un patient de l’Etat de Sao Paulo, différente de la souche mexicaine (LCI, 17/06/09). Elle a été baptisée A/Sao Paulo/1445/H1N1.


A ce stade, nous pourrions envisager un effet « nocebo* » dans le suivi de la nouvelle grippe A. Les autorités sanitaires ont peut-être pris peur en constatant la nature du virus, avec le souvenir de la grippe espagnole, ce qui a conduit peut-être à une hyper surveillance et une surestimation de la progression. Toujours est-il que la population affectée par cette grippe est relativement différente du profil type de la grippe saisonnière. Les patients jeunes sont plus touchés qu’à l’habitude. Mais cette grippe s’avère bénigne. Quant à la propagation du virus, on observe des différences selon les pays, ce qui semble étrange, à moins que ce ne soit la réaction du système de santé qui diffère selon les dispositifs de surveillance mis en place.


Le document le plus intéressant à consulter reste le dernier bulletin de l’InVS concernant l’hémisphère nord, daté du 17 juillet. Commençons par le Mexique. La figure 1 montre que l’épidémie de grippe a pratiquement disparu début juillet. L’incidence cumulée dans les deux états les plus touchés, Chiapas et Yucatan, est de 87 et 51 cas pour 100 000 habitants. Pour le pays entier l’incidence est inférieure à 15 cas. Ouvrez bien les yeux. Pour 100 000 habitants, 87 cas cumulés au Yucatan, c’est-à-dire recensés en une quinzaine de semaines. C’est moins que les 165 cas hebdomadaires qui définissent, selon les normes de l’InVS, le seuil épidémique en France. A l’échelle du Mexique, l’incidence moyenne par semaine est de un cas pour 100 000 habitants, soit cent fois plus faible que le seuil épidémique français. Après, l’OMS nous dit que le virus se répand à une vitesse vertigineuse. C’est pour le moins étrange. A moins qu’il ne s’agisse de la vitesse spatiale. Auquel cas, rien d’étonnant, compte tenu des avions reliant les continents.


Passons aux Etats-Unis, pays dont le système de santé est l’un des plus perfectionnés au monde. La figure 4 montre la carte de morbidité pour la grippe, datée 7 juillet 2009 (il s’agit sans doute du suivi hebdomadaire comme chez nous). Le record pour l’Etat le plus touché est de 107 cas pour 100 000 habitants. Ce chiffre est donc inférieur au seuil des 163 cas hebdomadaires définissant le seuil épidémique. La carte de morbidité semble ne répondre à aucune logique, même si le Texas figure parmi les plus touchés. Et la plupart des Etats ont une morbidité inférieure à 17 cas. On est bien en dessous du seuil épidémique. Le diagramme le plus significatif se situe en figure 6. On y voit le suivi annuel des grippes de 2006-2007, 2007-2008 et 2008-2009. Les courbes sont celles des grippes saisonnières. Le taux de consultation monte légèrement à partir de la semaine 48, quand commence l’hiver. Le pic est atteint en février. Pendant quelques semaine, la grippe franchit ce que les Américains nomment « national baseline » Puis ça se termine doucement au printemps. Sauf cette année où on peut voir (courbe rouge) une brusque remontée, avec un pic au dessus de la « baseline », puis la grippe redescend en dessous de la ligne pour se stabiliser, sans indiquer une prolongation substantielle de l’épidémie. Bref, la grippe A semble disparaître. La figure 7 montre le résultat des tests effectués après prélèvement. Ils n’ont pas de rapport avec le nombre de cas dans la population. On voit effectivement apparaître la présence du nouveau virus H1N1. Et si on analyse bien le diagramme on voit aussi apparaître l’effet loupe du système. Les types viraux responsables de la grippe saisonnière sont de couleurs rouge, verte, bleue, jaune. On voit très bien la fin de la grippe saisonnière avec la chute des tests positifs puis tout d’un coup, une brusque remontée signifiant que le nombre de tests effectués a augmenté. Cela permet de mesurer la présence du nouveau virus (marron). Dernier indice, la ville de New York. On voit se dessiner (fig. 8 et 9) la fin de l’épidémie, avec la disparition complète des patients H1N1 hospitalisés tandis que les consultations aux urgences pour syndrome grippal s’effondrent complètement à la mi-juin, excepté pour les enfants en très bas âge mais concernant cette tranche d’âge, la ligne ne descend jamais en dessous d’un seuil si bien qu’on retrouve en juillet le taux de consultation comptabilisé début avril, avant l’apparition du nouveau virus et à la fin de l’épidémie saisonnière. Notons enfin que ce nouveau virus semble toucher les enfants en bas âge et les ados tandis que passé 18 ans, les consultations se font discrètes et pratiquement inexistantes chez les plus de 65 ans, ceux qui pourtant sont la cible privilégiée de la grippe classique.


Au final, on ne voit pas ce qui a justifié le passage au niveau 6 de pandémie. Les responsables de l’OMS ont-il cédé à la panique ? Les médias ont-ils joué la caisse de résonance. Deux nouveautés ont sans doute suscité l’affolement. D’abord l’identification génétique du virus, puis sa propagation dans la plupart des pays avec un timing qui n’est pas celui de la grippe saisonnière. Mais si c’est un nouveau virus, il est naturel en somme qu’il prenne ses aises par rapport aux rendez-vous grippaux fixés par les autorités aux virus saisonniers. Le sage au comptoir du bar imagine dans une chanson le nouveau virus H1N1 fredonnant une chanson à son pote saisonnier H3N1. « Qu’est-ce tu fais pour les vacances, je crois que tu te reposes, en attendant l’automne, mais moi je serai en avance ». Il semble bien que le virus de la nouvelle grippe ait baissé d’intensité. Il est tout aussi certain que les annonces dans la presse ont favorisé l’augmentation des consultations pour syndrome viral. L’épidémie semble s’achever pour l’instant. Mais peut-on vraiment parler d’une épidémie et d’une pandémie si on utilise les seuils fixés par les normes sanitaires.


Reste le cas des vaccins. Les laboratoires doivent observer un timing. C’est en général en février que l’OMS donne les recommandations aux laboratoires pour préparer le vaccin dans l’hémisphère nord. Généralement, il faut six à huit mois pour qu’il parvienne dans les étals des pharmacies, au mois d’octobre. Or, le choix des souches pour la nouvelle grippe n’a pu se faire qu’en mai. Alors qu’en plus, la nouvelle souche de Sao Paulo risque de rendre inefficace le vaccin, à moins qu’elle ne soit incorporée ce qui, avec un délai de six mois, nous amènerait en janvier, période peu recommandée pour la vaccination car l’épidémie est déjà sur les rails. Quoique, nous ne savons même pas si cette souche n’est pas aussi anodine que la Brisbane(H1N1) bien connue. De plus, il paraît que le rendement du vaccin pour la nouvelle souche est bien inférieur à celui attendu, ce qui complique la tâche des laboratoires. Fallait-il vraiment se précipiter pour produire un vaccin ? Y a-t-il eu une chaîne d’incompétence ? Et dernière question, la nouvelle grippe A ne va-t-elle pas disparaître ou bien avoir une incidence très limitée, sauf en terme de consultations par l’effet « nocebo »*. Il suffit donc d’une anxiété populaire pour que le nombre de consultations pour grippe fasse monter le taux au dessus du seuil épidémique, sans compter l’interférence avec la grippe saisonnière. Il n’y a pas malaise après tout et puis si un brave gars à qui on a refusé une RTT se prend une semaine d’arrêt, on ne lui jettera pas la pierre.


Wait and see comme on dit. La rentrée sera décisive. Le chiffre de 20 millions de patients atteint est pour le moins fantaisiste. A croire que les professionnels de santé ne savent pas interpréter les courbes et les chiffres. Bien évidemment, aucun parlementaire ne se hasardera à réclamer une commission d’enquête qui pourtant s’impose. Il est certain qu’il y aura une épidémie grippale saisonnière. Mais la pandémie de « grippe A nouvelle » n’a rien de sûr. Et puis toute cette affaire devrait inciter à réfléchir sur l’utilité de la vaccination grippale et surtout, sur les effets pervers du principe de précaution dans un milieu médiatique répercutant les faits en déformant de son prisme la réalité.


* L’effet nocebo désigne un phénomène opposé à celui constaté dans l’effet placebo, constaté chez un patient qui persuadé de recevoir un traitement curatif, finit par guérir. A l’inverse, un sujet qui se croit malade peut finir par l’être ou à défaut, par ressentir avec une perception plus accentuée les syndromes de la maladie. A noter, l’effet placebo diminue le profit des laboratoires pharmaceutique alors que l’effet nocebo l’augmente. L’effet nocebo peut affecter aussi un système de santé. Auquel cas, les professionnels et les médias croient que la société est plus atteinte qu’elle ne l’est réellement et c’est ce qui s’est certainement passé avec la nouvelle grippe A de 2009.


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