Actions contre le prix des carburants : et si l’essentiel du problème était ailleurs ?

par Daniel MARTIN
vendredi 2 novembre 2018

Quotidiennement l'opinion relayée par des médias ne cesse de rappeler et se plaindre que les prix des carburants et leurs taxes augmentent, certains appelant même à des actions de blocage des routes, mais ne tombe-t-elle pas dans un piège et peut-on s’arrêter là dans la réflexion, ou bien s’intéresser à cette question dans un cadre plus large ?

Alors que la planète « brûle » de tous cotés, quotidiennement l'opinion relayée par des médias necessent de rappeler et se plaindre que l'essence augmente, ce qui semble être une constante de l'histoire. Des pétitions avec plus de 500 000 signataires circulent sur les réseaux sociaux appelant même à des blocages le 17 Novembre. Des responsables politiques se précipitent sur les plateaux de télévision où ils trouvent là une tribune pour dénoncer des taxes croissantes qui « influent sur le pouvoir d'achat », oubliant que lorsque leurs amis ou certains d'entre eux étaient au pouvoir, ils ne se gênaient pas pour abuser de ces taxes, dont ils sont les premiers à les dénoncer aujourd'hui.

Le combat en cours contre la hausse du prix des carburants n'est-il pas aujourd'hui un combat d’arrière-garde ? L’augmentation du prix de l’essence ampute le pouvoir d’achat, dit-on, mais peut-on s’arrêter là dans la réflexion ou bien s’intéresser à la question dans un cadre plus large ?

Que l'augmentation du prix de l'essence soit une occasion pour une partie de la classe politique et de l'opinion de réagir contre certains choix politiques du Président de la république, ne doit pas détourner l'attention d'une réalité tout autre. Il faut rappeler que les augmentations actuelles dérivent d’une loi de programmation énergétique qui date de plusieurs années et récemment réaffirmée. Elle prévoit une hausse graduelle des tarifs de l’essence et du diesel, étalée sur cinq ans. L’objectif de ce plan est connu : réduire la part des énergies fossiles dans la consommation du pays, de manière à limiter autant que possible le réchauffement climatique. Peut-on à la fois déplorer le départ de Nicolas HULOT, exiger l’application de l’accord de Paris sur le climat (négocié sous la houlette de la France), prêcher la « transition écologique » et récuser l’une de ses premières conséquences, à savoir la réduction du recours au pétrole dans le fonctionnement de l’économie ?

Concernant le prix des carburants, entre mémoire courte et ineptie du raisonnement

C'est une évidence, nous sommes tous, ou à peu près tous, capable de mémoriser le prix du carburants sur quelques semaines voire quelques mois, mais pas au-delà. Si bien qu’il est difficile de savoir de combien les prix de l’essence ont augmenté, et c’est ici qu’il est utile d’accéder aux travaux des historiens, qui eux peuvent reprendre les cours de l’essence sur la longue durée, calculer leurs évolutions, et analyser ainsi l’effectivité de leur augmentation en euros constants.

Les travaux de l'économiste Jean FOURASTIE (1907-1990), notamment ceux qui concernent la question de l’évolution des prix avaient mis en lumière qu’il existait une différence fondamentale entre le prix courant et le prix constant. Cette différence n’est toutefois pas intégrée par bon nombre de ceux qui jugent pourtant les prix et à fortiori par l'opinion.

Selon Jean FOURASTIE, le prix courant,c’est le prix constaté en un lieu et à une date donnée, en monnaie courante, c’est-à-dire le prix de l’étiquette. Le prix constant, c’est le prix courant lavé des scories de l’inflation, c’est-à-dire le prix de la monnaie. Comment comparer dix franc de 1980 avec son homonyme en euros de 2018 ? C’est certes bien, aux deux dates, la même monnaie en équivalence, mais elle n’a pas la même valeur intrinsèque à ces deux moments à cause des dévaluations ou évaluations subies.

Il faut également éviter des inepties du raisonnement quand à partir du prix des carburants à un moment donné, avec une certaine nostalgie on va les comparer avec celui d'une période antérieure, alors que ce n'est pas exactement le même carburant et que la capacité du pouvoir d'achat n'est pas la même en regard du nombre de litres à acquérir.

Le prix, par exemple, de l’essence évolue, mais l’essence elle-même évolue aussi. L’apparition et la généralisation des moteurs diesel, avec le gas-oil pour carburant, la naissance du super et sa disparition, puis des essences sans plomb et celles avec de l'éthanol, tout cela fait évoluer les produits. C’est pourquoi Il serait incohérent de comparer le prix de l’essence de 1980 avec le prix de l’essence de 2018, dans la mesure où ce n’est pas la même essence. D’ailleurs, dans les années 1980 l’INSEE relevait, par exemple deux types d’essence : l’ordinaire et le super. Mais que le produit évolue, c’est une chose, qu’il soit de meilleure qualité, c’est certain, mais au final la question reste la même : avec l’augmentation du prix des carburants et un plein équivalent combien coûtera-t-il et quelle distance pourra-t-il parcourir en 2018, par rapport à 1980 ?

Au delà du prix moyen des carburants, il faut aussi intégrer la distance pouvant être parcourue avec la même quantité entre deux périodes de référence

Si depuis les années 1980 le marché est libre, ce qui signifie que les prix varient selon le groupe pétrolier : par exemple, BP, Shell, Esso, Total... n’ont pas la même politique de prix. Sans oublier les stations-services des hypermarchés qui ont des prix plus bas.C’est la consommation des véhicules qu'il faut intégrer et donc les kilomètres parcourus.

Non seulement la qualité de l’essence n’a cessé de s’améliorer au cours des années. Une essence d’aujourd’hui fait moins consommer les voitures qu’une essence d’il y a vingt ans. La raison en est que le produit est plus performant, que l’on maîtrise mieux les additifs et les lubrifiants. En plus de cette valeur intrinsèque du produit, les voitures elles-mêmes consomment de moins en moins, quel que soit le modèle. Ce qui signifie qu’entre la plus forte rentabilité du produit, et la moindre consommation du moteur, un automobiliste de 2018 parcourt plus de kilomètres avec un litre d’essence, que l’automobiliste des années 1980 ou 1990. Donc, si le prix au litre a augmenté, le prix au kilomètre parcouru a lui baissé. Or c’est finalement ce prix qui est important, non pas tant combien coûte un litre d’essence,mais combien coûte le carburant nécessaire aujourd'hui pour parcourir un nombre de kilomètres équivalentà la même distance qu'en 1980 ou 1990 pris dans cet exemple. Avec des kilomètres supplémentaires parcourus de plus en plus nombreux, le coût du carburant aura donc diminué.

Le prix du carburant, une dépense importante, mais presque marginale dans le budget d'une automobile

Selon les analystes, la voiture est le second poste budgétaire des foyers après le loyer et représente une dépense moyenne annuelle d'environ 5 à 7000 euros, suivant le modèle de véhicule et la distance parcourue. Bien quele carburantsoit un poste de dépense important il ne représente qu'environ 10 % des dépenses. Il ne faut pas oublier qu'outre l'amortissement de l'achat avec des frais financiers divers il y a l'entretien, les réparations, l'assurance, les frais de stationnement, péages et divers ( contrôles techniques et PV par exemple).

Exemple qui démontre qu'à salaire équivalent avec 1980, en Octobre 2018 on peut acheter le double de carburants

Si l'essence augmente, il ne faut pas oublier qu'à niveau de salaire en euros équivalent, avec une heure de travail au SMIC en 2018 on peut s'acheter plus de litres d'essence qu'en 1980.

Par exemple : en 1980, le SMIC horaire était de 14,76 francs, soit 2,25 euros, le prix moyen de l'essence étant de 4,17 francs, soit 0,63 euros, avec une heure de travail on pouvait s'acheter un peu plus de 3 litres d'essence (3,4 L). En Octobre 2018 le taux horaire du SMIC est de 9,88 euros le prix moyen d'un litre d'essence est de 1,539 euros. Autrement dit actuellement avec une heure de travail on peut acheter un peu plus de 6 litres d'essence (6,4 L).

Amélioration des carburants et des moteurs qui consomment moins, mais progression des rejets polluants, notamment en CO2 par les automobiles

Avec 111 g de CO2 en 2017, la France a déjà atteint l’objectif du compromis européen, signé le 17 décembre 2008, qui prévoyait de ramener la moyenne des émissions de CO2 des voitures neuves à 130 grammes par km d’ici à 2015.Un nouveau seuil de 95 grammes de CO2 / km a été fixé par l’Union européenne. Le pourcentage de la gamme des véhicules ne dépassant pas 95 grammes de CO2 / km devra être de 95 % d’ici à 2020 puis de 100 % en 2021.

Le problème : conjugaison de la croissance démographique et celle de la croissance des véhicules automobile qui l'accompagne il y a une croissance des rejets polluants, en particulier le CO2. Malgré l'amélioration de la qualité des carburants et la réduction de consommation des véhicules, en 20 ans la consommation moyenne unitaire des véhicules a diminué de près de 20 % passant de 8,25 l/100 km à environ 6,5 l/100 km, en 2018. Malgré cela, c'est un kilo d'équivalent C02 émis toutes les 4 secondes par les voitures européennes. Ce sont donc 4,9 million de tonnes de C02 qui s'ajoutent chaque année à l'atmosphère du fait des voitures en Europe https://www.planetoscope.com/automobile/311-emissions-de-co2-par-les-voitures-en-europe.html 

L'automobile accentue ainsi et développe des maladies respiratoires

Par exemple, en Ile-de-France, le transport routier est le secteur prépondérant dans les émissions de monoxyde de carbone (CO), d'oxydes d'azote (NOx) et de particules fines (PM10).

La pollution atmosphérique cause en moyenne chaque année la mort prématurée de 7 millions de personnes dans le monde dont 600 000 en Europe et 45 000 en France, selon l'Organisation Mondiale de la Santé.

Bien sûr, des progrès sont réalisés : filtre à particules (encore que moins de 25 % des véhicules diesel neufs en sont équipés avec une efficacité limitée), essence sans plomb, Agrocarburants pour lesquels on peut s'interroger : est-ce vraiment un progrès ou plutôt une tromperie ?.. Et les défenseurs de l'automobile se hâtent de le rappeler au point que l'automobile apparaît pour certains moins polluante que les transports en commun ! La réalité est hélas toute différente d'autant près de 32% des déplacements automobiles font moins de 5 km !. C'est justement durant cette période semée de ralentissements, de freinages et d'accélérations que la pollution automobile est maximale.

D'après une étude du fournisseur d'info « trafic INRIX », en 2013, les embouteillages auraient coûté 151 milliards d'euros à seulement 4 pays : l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et les USA. En France, c'est17 milliards d'euros de gâché en 2013, une perte colossale qui devrait augmenter de plus de 30 % d'ici 2030...

En concentrant la « grogne » de l'opinion sur le prix des carburants et des taxes, on détourne son attention de l'essentiel

Nul doute que les constructeurs se moquent ouvertement des graves problèmes engendrés par les automobiles et l'infrastructure routière, dégradation d'écosystèmes, accidents sur des animaux sauvages, imperméabilisation des sols, sans parler de l'impressionnante pollution marine conséquence des approvisionnements pétroliers, crises géopolitiques... Et c'est en nous faisant croire le contraire (méthode classique en marketing) que les constructeurs automobiles veulent berner les citoyens.

Enfin, même lors d'événements tragiques comme la multiplication des inondations sur le territoire français, des médias tendent à s'apitoyer davantage sur le sort des automobiles que sur celui des personnes. En effet, ne voit-on pas des reportages télévisés se concentrent sur l'automobiliste indemne mais désemparé face au spectacle affligeant de sa voiture sous les eaux...

Pour conclure

Lorsque l'opinion relayée par des médias ne cesse de rappeler et se plaindre que le prix des carburants avec leurs taxes qui augmentent et grèvent lourdement les budgets, appelant même, via les réseaux sociaux, à des actions de blocages le 17 Novembre, ne tombe-t-elle pas dans un piège ? N'est-ce pas le fruit d'une subtile manipulation, quand on sait qu'en terme d'équivalent capacité d'achat, on a une quantité supérieure de carburant qu'à l'époque où il était moins cher et que l'essentiel des problèmes de l'automobile se trouvent ailleurs ?


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