Affaire DSK : avis de débâcle en vue pour la Justice et les médias officiels

par Paul Villach
lundi 4 juillet 2011

Attention ! Manger de chapeaux et retournement de vestes à prévoir ! Au séisme de magnitude 9 du 14 mai 2011 qu’a été l’arrestation de DSK, correspond celui du 1er juillet de même puissance après l’audience surprise demandée par le procureur en charge de l’Accusation. « L’accusé présumé » pourrait devenir « l’innocent présumé » dans un renversement des rôles que tentent de prévenir pourtant les règles de la démocratie. Mais Justice et médias officiels n’en ont eu cure !

I- UNE DES DEUX HYPOTHÈSES EN VOIE D’ÊTRE ACCRÉDITÉE

Les journées du 30 juin et du 1er juillet ont déversé un faisceau d’indices qui tendent désormais à accréditer l’une des deux hypothèses d’égale fiabilité jusqu’ici et qu’une approche prudente de l’information ne permettait pas de départager. Il importe cependant encore de ne pas mélanger les informations : les unes sont de fiabilité certaine, d’autres non.

1- Les informations livrées par la justice

Doivent être considérées comme fiables les informations livrées par l’audience surprise à laquelle a été convoqué DSK, le 1er juillet.

1- L’audience surprise à la demande du procureur

Demandée par l’Accusation elle-même, c’est-à-dire le procureur Vance, elle manifeste son changement radical de point de vue, puisqu’il a jugé nécessaire de ne pas attendre la date de l’audience initialement prévue, le 18 juillet, pour procéder à un réaménagement immédiat des conditions de surveillance de DSK.

2- La libération sur parole de DSK

Sans doute cette audience s’est-elle limitée à une question de procédure. Mais les décisions du juge intéressent directement le fond du procès. Les charges qui pèsent sur DSK ne justifient plus, semble-t-il, les mesures draconiennes de surveillance imposées depuis le début de l’affaire : même si son passeport ne lui est pas rendu, sa libération sur parole supprime l’assignation à résidence, les caméras de surveillance et les gardiens, la limitation des sorties, le port d’un bracelet électonique et la caution de 1 million d’euros lui est restituée !

3- Les mensonges de la plaignante révélés par une lettre du procureur à la Défense

Et de fait, la lettre du 30 juin 2011 adressée par le procureur à la Défense qui l’a rendue publique, éclaire l’affaire d’un jour nouveau. Son enquête a révélé que la plaignante n’est plus crédible, car elle a accumulé une série de mensonges : « The complainant, écrit-il, was untruthful with assistant district attorneys about a variety of additional topics concerning her history, background, present circumstances and personal relationships. » (1) 

Le procureur relève des mensonges au cours de la procédure de sa demande d’asile politique aux Etats-Unis mais aussi dans les versions changeantes de l’agression sexuelle alléguée : elle n’aurait pas été du tout retrouvée en larmes dans un coin de couloir. Elle aurait quitté la suite de DSK pour aller tranquillement nettoyer une suite voisine et ce n’est qu’après le départ de DSK qu’elle serait revenue dans sa suite et aurait averti sa direction. On est loin de la mise en scène du traumatisme, racontée jusqu’ici, qui la décrivait en larmes, crachant le sperme au sol et sur les murs et cherchant à se faire vomir…

Telles sont les informations fiables signées de l’institution judiciaire. Certes, ce revirement conduit à s’interroger sur le crédit à accorder au procureur qui soutient désormais le contraire de ce qu’il affirmait précédemment au point d’exiger la plus grande rigueur envers DSK. Cette nouvelle version n’en est pas moins crédible car elle a la fiabilité de l’information extorquée  : elle tend à nuire dans un premier temps à la réputation du procureur dont la précipitation à accuser peut passer pour une preuve d’incompétence.

2- Les informations livrées par « une fuite organisée »

1- Une fuite organisée par l’intermédiaire du New York Times

Une première catégorie d’informations avait précédé celles de la justice, le 30 juin (2) . Elles n'ont évidemment pas la même fiabilité. Elles appartiennent au « leurre de la fuite organisée   ». Le New York Times a fait état d’informations émanant de sources proches de l’enquête, selon l’expression d’usage pour préserver l’anonymat de responsables qui veulent livrer une information sans en porter la responsabilité.

Il convient souvent de s’en méfier, car c’est une variante du leurre de l’information donnée non fiable déguisée en information extorquée fiable.

* Le contexte de l’audience du lendemain lui confère, cependant, une plus grande fiabilité que d’habitude. Elle traduit au moins l'état d'esprit de l'équipe du procureur.

* D'autre part, Le New York Times est, cette fois, lui-même crédible. On se souvient, en effet, qu’il a dressé de la plaignante une statue de femme modeste et modèle après une enquête qui avait mobilisé pas moins de sept journalistes (3). Qu’il soit obligé désormais de démentir ses premières informations, jette le doute sur les comptétence de ses « experts », mais il préfère, à l’évidence, admettre s’être trompé pour ménager l’avenir. Nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire mais il arrive qu’ entre deux maux il doive choisir le moindre.

2- Un portrait négatif de la plaignante

Or, cette fuite organisée brosse un portrait négatif de la plaignante qui entretiendrait des relations avec le milieu des trafiquants de drogue. D’importantes sommes d’argent auraient transité sur ses comptes ; elle disposerait de plusieurs contrats téléphoniques qui lui reviendraient chacun à plus de cent dollars par mois. Curieux train de vie pour une simple femme de chambre ! En outre, dans les 24 heures qui ont suivi l’agression alléguée, elle se serait entretenue en dialecte guinéen par téléphone avec un prévenu, détenu pour avoir été en possession d’un stock de marijuana,. Elle entendait tirer un avantage financier de l’affaire : « Don’t worry, aurait-elle dit à son interlocuteur, this guy has a lot of money. I know what I’m doing  » (4).

II- LES DÉGÂTS CENTRAUX ET COLLATÉRAUX PROVOQUÉS PAR CETTE AFFAIRE

Après cette audience du 1er juillet 2011, sous réserve évidemment d’un nouveau coup de théâtre qui inverserait la tendance en faveur cette fois de la plaignante, on ne compte plus les victimes que cette affaire est en passe de provoquer.

1- Les trois victimes centrales

1- DSK et la plaignante

« Le coupable présumé » que DSK a été, dès les premières heures, cloué à un pilori planétaire, est sans doute la première. Mais la plaignante dont la crédibilité est mise désormais en cause, en est une aussi. On ignore seulement encore quelle est sa part de responsabilité dans la situation où elle se trouve. A-t-elle agi seule pour exercer un chantage financier ou n’est-elle que l’agent d’une machination dont il resterait à démasquer les instigateurs ? Pourquoi cette agression alléguée s'est-elle produite le 14 ma 2011, à la veille d'échéances politiques cruciales pour l'accusé, et non dans les années précédentes ?

2- La justice étatsunienne

La justice étatsunienne ne sort pas indemne non plus de l’aventure. Sans doute certains se féliciteront-ils de sa rapidité au regard de la lenteur de la justice française. C’est, en effet, une qualité, mais qui a son revers : la précipitation conduit à violer la présomption d’innocence du prévenu. L’image de DSK, mains menottées dans le dos entre deux policiers à la sortie du commissariat, et celle de son entrée au palais de justice sous les huées d’un groupe de femmes ameutées, a-t-on dit, par un syndicat du personnel hôtelier de New-York, resteront des flétrissures moins pour le prévenu que pour les institutions qui autorisent pareil piétinement public sordide de la présomption d’innocence. La tâche du procureur serait moins compliquée s’il n’avait pas aujourd’hui à se dédire publiquement après avoir exigé la plus grande rigueur envers DSK dans un climat de lynchage planétaire.

2- Les victimes collatérales : les médias officiels et leur public fidèle

Les médias officiels, de leur côté, pour nombre d’entre eux, sortent en miettes de cette affaire.

1- Entre ignominie et inconscience

Tous, sans doute, ne sont pas allés au bout de l’ignominie comme le New York Post ou le Daily News. Mais la plupart ont été incapables de résister aux puissants réflexes socio-culturels conditionnés que stimulait ce conflit entre femme et homme, employée modeste et puissant richissime, noire et blanc. Ils ont condamné DSK sans même connaître sa version des faits, aveuglément soumis aux autorités policière et judiciaire. Le respect de la présomption d’innocence leur est parfaitement étranger : ils ne cessent pas d’ailleurs de parler de « violeur présumé   », quand l’adjectif présumé dans le contexte juridique signifie « considéré comme avant tout jugement  ». Or, avant tout jugement, un prévenu, accusé ou soupçonné de viol, est considéré comme innocent ! La violation de ce principe démocratique entraîne le désastre qu’est en train de devenir peut-être elle aussi « l’affaire DSK », après « l’affaire Baudis » et « l’affaire d’Outreau ».

2- Une mention spéciale pour France Inter et Le Canard Enchaîné

- Une mention spéciale mérite d’être accordée à France Inter qui est allé jusqu’à dénier à DSK la possibilité de se défendre sans violer ses valeurs de Gauche. Par deux fois, le lundi 23 mai 2011 et trois jours plus tard, le 26 mai, le journaliste de service, Patrick Boyer, a ainsi présenté la défense de DSK au journal de 13 heures : « L'homme qui voulait présider la France sur des valeurs de Gauche, a-t-il estimé, ne devra peut-être son salut judiciaire qu'au prix du discrédit d'une femme de ménage africaine, travailleuse immigrée à New-York… C'est en ces termes que se pose aujourd'hui l'affaire DSK devant la justice américaine  ». Quelle partialité de prophète charlatan ! La radio publique en est pour ses frais : c’est le procureur lui-même qui a jeté le discrédit sur la « femme de ménage africaine, travailleuse immigrée à New-York  » ! La rédaction de France Inter va-t-elle dans un sursaut d’honneur avoir le courage de démissionner après cette faute déontologique inexcusable ?

- La seconde mention spéciale est méritée par Le Canard Enchaîné qui a, lui aussi, fait peine à voir : il en a perdu, à une exception près, tout sens de l’humour : « Hors compétition au festival de Strauss-Kahn…, a-t-il ricané   : « Le journal d’une femme de chambre »   » - « Les amis de Dominique Strauss-Kahn se lamentent : « Érection, piège à cons ! »  » - « Le comité de défense de DSK prêt à partir pour New-York : « La braguette… nous voilà !   ». Ses misérables jeux de mots ont fait sourire mais de l'hebdomadaire lui-même ! Un seul d’entre eux a visé juste et c’est aux détriment de ses « confrères : « DSK : course aux révélations dans les médias   : a-t-il écrit en manchette. Un inventaire à la pervers  ».

 

III- UNE APPROCHE PRUDENTE DE L’INFORMATION VALIDÉE PAR L’EXPÉRIENCE

Inversement, et fort logiquement, on s’est fait reprocher par nombre de lecteurs, en des termes parfois injurieux, l’intérêt que l’on portait à « l’affaire DSK » et la position qu’on adoptait. 

1- Dix articles et un livre en un mois et demi

On lui a, de fait, consacré pas moins de dix articles en un mois et demi (5). Mieux, on a éprouvé le besoin de développer l’analyse dans un petit livre de 90 pages (6), car le format d’un article, même si on en a publié dix, ne permettait pas d’offrir une vue d’ensemble de l’affaire. Qu’on se reporte aux commentaires délirants de certains lecteurs en pied d’articles : ils prennent aujourd’hui une saveur particulière et montrent comment l’esprit humain peut déraisonner avec bonne conscience !

2- Un cas pratique d’application d’une approche prudente de l’information

Cette affaire est, en effet, apparue comme un cas pratique de l’approche prudente de l’information que l’on développe depuis 25 ans par diverses publications et sur AgoraVox depuis janvier 2006 par des articles sur tous sujets d’actualité pris comme autant de cas pour illustrer les contraintes qui s’exercent sur l’information. Très vite, on s’est trouvé en présence de deux hypothèses susceptibles de résoudre l’énigme que constituait cette agression sexuelle alléguée, mais rigoureusement contraires sans qu’il soit toutefois possible de les départager.

3- La débâcle médiatique  : on juge l’arbre à ses fruits.

On est étonné que cette méthode d’analyse ne soit pas du tout celle des médias officiels qui se sont fourvoyés en adhérant très vite à la version policière et judiciaire sans opposer le moindre doute méthodique

Or, on juge l’arbre à ses fruits. Il devient évident qu’il faut chercher la cause de cette débâcle dans la mythologie de l’information dont les médias sont imprégnés voire gangrénés et qu’ils diffusent quotidiennement avec, en plus, le secours de l’École et de l’Université. Ils ignorent Descartes et Fontenelle. Il n’est donc pas étonnant qu’ils s’égarent et entraînent avec eux leur public, comme les aveugles de la parabole qu’on voit conduits par l’un des leurs dans un trou, sur un tableau de Brueghel l’Ancien exposé au Musée de Capodimonte de Naples !

L’affaire DSK et les délires qu’elle a inspirés, vont-ils enfin sonner l’alarme, non pas dans les médias, mais à l’École et à l’Université ? Car il est normal et légitime que le pêcheur use de leurres pour capturer des poissons. On n’empêchera jamais les médias d’en faire autant dans leur chasse à l’audience. En revanche, il appartient aux poissons de reconnaître les leurres dont usent les pêcheur pour les attraper, s’ils ne veulent pas finir dans leur panier et leur poêle à frire. N’est-ce pas la mission de l’École et de l’Université républicaines d’apprendre aux futurs citoyens les leurres et les réflexes dont la relation d’information fait usage, pour ne pas s’y laisser prendre ? Combien de citoyens ont su résister aux réflexes de compassion humanitaire, de soumission aveugle à l’autorité et à la pression du groupe, de sexisme, de classisme et d’ethnisme que l’affaire DSK a permis de violemment stimuler au point de paralyser toute réflexion ? On a vu des féministes respectables, par exemple, perdre totalement le nord. C’est, en fait, de cette confrontation entre médias et citoyens avertis et d’elle seule qu’il faut attendre une amélioration graduelle de la qualité de l’information, comme, depuis les temps les plus reculés, flèche et bouclier et plus généralement armes d’attaque et armes de défense se sont mutuellement renforcées pour se neutraliser. Paul Villach 

(1) Extraits de la lettre du 30 juin 2011 adressée par le procureur Cyrus Vance jr à la Défense (DSK)

« (…) In the weeks following the incident charged in the indictment, the complainant told detectives and assistant district attorneys on numerous occasions that, after being sexually assaulted by the defendant on May 14, 2011 in Suite 2806, she fled to an area of the main hallway of the hotel's 28th floor and waited there until she observed the defendant leave Suite 2806 and the 28th floor by entering an elevator.

It was after this observation that she reported the incident to her supervisor, who arrived on the 28th floor a short time later. In the interim between the incident and her supervisor's arrival, she claimed to have remained in the same area of the main hallway on the 28th floor to which she had initially fled. The complainant testified to this version of events when questioned in the Grand jury about her actions following the incident in Suite 2806. The complainant has since admitted that this account was false and that after the incident in Suite 2806, she proceeded to clean a nearby room and then returned to Suite 2806 and began to clean that suite before she reported the incident to her supervisor.

(…Finally, during the course of this investigation, the complainant was untruthful with assistant district attorneys about a variety of additional topics concerning her history, background, present circumstances and personal relationships. »

 http://www.nytimes.com/interactive/2011/07/01/nyregion/20110701-Strauss-Kahn-letter.html?ref=nyregion

(2) J. Dwyer, W. K. Rashbaum, J. Eligon, « Strauss-Kahn Case Seen as in Jeopardy  », New York Times, 30 juin 2011.

(3) Adam Nossiter reported from Guinea, and Anne Barnard and Kirk Semple from New York. Reporting was contributed by John Eligon, William K. Rashbaum and Rebecca White from New York, and Abdourahmane Diallo from Guinea, « From African Village to Center of Ordeal  », New York Times, 14 juin 2011

(4) J. Dwyer, M. Wilson, « Strauss-Kahn Accuser’s Call Alarmed Prosecutors  », The New York Times, 1er juillet 2011

« When the conversation was translated — a job completed only this Wednesday — investigators were alarmed : “She says words to the effect of, ‘Don’t worry, this guy has a lot of money. I know what I’m doing,’ ” the official said. »

http://www.nytimes.com/2011/07/02/nyregion/one-revelation-after-another-undercut-strauss-kahn-accusers-credibility.html?pagewanted=2&_r=2&hp

(5) Paul Villach

- « Le mystère autour de la victime supposée de DSK, un article du JDD l’épaissit plus qu’il ne l’éclaire   » AgoraVox, 29 juin 2011

- « La pieuse copie pilleuse et copieuse, ce déshonneur des médias de Panurge   », AgoraVox, 14 juin 2011

- « DSK : la presse populacière et la manipulation des esprits   », AgoraVox, 10 juin 2011

- « DSK : deux barbares chorégraphies pour une redécouverte de l’Amérique !   », AgoraVox, 8 juin 2011

- « Le coupable présumé », disent-ils : ignorance ou calcul ?   » AgoraVox, 31 mai 2011

- « Le coup de pied de l’âne de France Inter à DSK  », 24 mai 2011

- « DSK condamné en couverture de six hebdomadaires avant tout jugement   », AgoraVox, 23 mai 2011

- « DSK : quand « Le Canard Enchaîné » ne fait pas sourire…   », AgoraVox, 20 mai 2011

- « La photo de DSK menotté : le pilori américain avant jugement   », AgoraVox, 17 mai 2011

- « DSK : l’hypothèse d’une machination   », AgoraVox, 16 mai 2011.

(6) Pierre-Yves Chereul, « L’affaire Strauss-Kahn, deux hypothèses pour une énigme  », Édiitons Golias, juin 2011.


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