Affaire DSK : « la chute » et « la descente aux Enfers » des médias traditionnels ?

par Paul Villach
vendredi 8 juillet 2011

« C’est la théorie qui décide de ce que nous sommes en mesure d’observer  », disait Einstein (1). Une théorie erronée trompe donc celui qui y croit, comme une carte inexacte égare le voyageur. C’est ce qui arrive aux journalistes avec leur mythologie de l’information à laquelle ils s’accrochent contre toute raison depuis l’École et l’Université, pour, croient-ils, assurer leur crédit alors qu’ elle le ruine.

Le déni insensé de Renaud Dély du Nouvel Observateur

Sur le point de sortir en miettes de l’affaire DSK, sous réserve que bénéficie à l’accusé le discrédit de l’accusatrice, jugée « untruthful  » - qui ne dit pas la vérité - par le procureur Vance lui-même, des médias officiels commencent à se défendre d’avoir une nouvelle fois failli. Renaud Dély du Nouvel Observateur nie que la plupart des journaux français aient repris aveuglément la thèse de l’Accusation sans même avoir entendu celle de la Défense.

Malheureusement, sa démonstration prouve le degré d’ignorance de la relation d’information qui sévit parmi ceux-là mêmes dont la profession est pourtant de diffuser des informations. « (…) Hormis, écrit-il, quelques couvertures violemment accusatrices - "La honte", osa "le Figaro Magazine" -, la plupart des journaux français se sont contentés de titres certes accrocheurs, que la violence de l'événement justifiait, mais pour la plupart purement descriptifs, sans se prononcer ni sur la véracité de faits, qui demeuraient largement inconnus, ni sur la culpabilité de l'accusé. D'où quelques unes factuelles comme "Descente aux enfers" ("le Nouvel Observateur" ), "La chute" ("le Point"), "DSK KO." ("Libération")   » (2)

La chimère d’une information sans opinion

Un des dogmes absurdes de la mythologie de l’information, chère aux médias, tient en ces quelques lignes. C’est la prétention à distinguer « le fait   » du « commentaire  », et la poursuite de la chimère d’une information sans opinion, alors que l’expérience prouve que cette distinction est rigoureusement impossible. Jamais, en effet, on n’accède à « un fait   » mais seulement à « la représentation d’un fait plus ou moins fidèle   » qui est toujours assortie d’une opinion plus ou moins discrète, ne serait-ce que du jugement implicite qui conduit l’émetteur à la juger digne d’être diffusée ou au contraire d’être gardée secrète en application du principe fondamental de la relation d’information  : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. 

Des titres partisans

Il importe, pour s’en convaincre, d’observer les titres que R. Dély ose qualifier de « descriptifs  » et « (qui ne se prononcent, selon lui,) ni sur la véracité de faits, (…) ni sur la culpabilité de l'accusé   », ou encore ces « unes factuelles   », les unes et les autres étant exempts de toute pollution d’ opinion : « Descente aux enfers », « La chute   » et « DSK KO ». Le contraste étant le procédé de perception par excellence, il suffit d’opposer ces titres à d’autres pour percevoir l’opinion qu’ils expriment.

1- La condamnation prématurée du Figaro Magazine

Le premier est celui du Figaro magazine, « La Honte   ». Là, aucun doute n’est possible, R. Dély le qualifie de « violemment accusateur   ». Il a raison ! Le Figaro Magazine condamne bien DSK puisque « la honte   » dont il parle est le sentiment inspiré par une conduite condamnable divulguée. Or, l’enquête ne fait que commencer, seule l’Accusation a parlé, nul n’a entendu la version de la Défense, aucun tribunal ne s’est prononcé sur le fond de l’affaire. Comment savoir si une conduite condamnable peut être déjà imputée à DSK ? N’empêche ! Le magazine a déjà tranché : le sentiment qu’inspire l’accusation portée contre DSK, c’est « la honte   », sans même savoir si elle est justifiée !

2- La condamnation des trois autres hebdomadaires par métonymies

Les trois autres titres cités par R. Dely sont-ils si différents ? « Descente aux enfers   », « La chute » et « DSK KO   » ont en commun d’être des métonymies qui montrent les effets à la place de la cause qui les provoque. Mais ces effets à des degrés divers apparaissent comme des échecs, voire des punitions pour une conduite supposée négative, sinon condamnable. Ces titres sont bien des jugements, d’autant qu’ils sont éclairés par les rapprochements que suscitent les intericonicités soulevées  :

- l’ambiguïté du mot « Enfers   », qui désigne dans l’antiquité grecque et romaine le séjour des morts avec Champs Élysées pour les Bons et le Tartare pour les Méchants, est oblitérée par le sens chrétien du mot « Enfer  », le séjour réservé aux condamnés.

- De même, « la Chute   » rappelle l’expression biblique stigmatisant, selon le récit de la Genèse, la désobéissance à Dieu du premier couple de la création, Adam et Ève, qui leur vaut le bannissement du Paradis terrestre comme châtiment.

- Quant au « KO  » réservé par Libération à DSK, l’ambiguïté de sa cause n’exclut pas une faute de sa part pour en être arrivé là. 

3- Une confirmation de cette condamnation par opposition au seul titre approprié

La prise de parti de ces hebdomadaires en faveur de la condamnation de DSK saute encore plus aux yeux si on oppose ces trois titres à celui qui paraissait, ces jours-là, et le demeure encore aujourd’hui, le plus approprié. On l’a choisi soi-même pour son livre : « L'affaire DSK, deux hypothèses pour une énigme  ».

Qu’on ne se méprenne pas ! On ne prétend pas davantage s’abstenir de juger puisque c’est impossible ! On émet au contraire une opinion qui n’est pas une adhésion à la condamnation de DSK jugée prématurée, mais une suspension de jugement dans l’attente d’indices décisifs, selon la règle du doute méthodique de Descartes. Car cette affaire est une énigme que deux hypothèses contraires peuvent résoudre dans un sens ou dans l’autre : la culpabilité de DSK ou son innocence en cas de machination. On en fait la démonstration dans le livre.

On mesure donc comme devant cette représentation de l’affaire, les titres des « unes » des trois hebdomadaires, qualifiés ingénument de « descriptifs  » et de « factuels  » par le journaliste du Nouvel Observateur, émettent ouvertement des jugements de condamnation prématurés.

 

La croyance en la distinction du « fait   » et du « commentaire  » conduit R Dely et ses confrères à nier la réalité : car, qu’ils le veuillent ou non, toute « représentation d’un fait   » est un jugement. Son expression est seulement plus ou moins ouvertement affirmée : Le Figaro Magazine par exemple cloue franchement au pilori DSK, comme les femmes de ménage ameutées devant le palais de justice de New-York, le 6 juin 2011, pour le conspuer aux cris de « Shame on you !   » - Honte à vous ! Mais les trois autres condamnent aussi DSK, même s’ils le font plus discrètement. Est-ce plus perceptible si, leur appliquant le même traitement, on parle de « la chute » et de « la descente aux Enfers  » des médias traditionnels dans l'affaire DSK ? Aucun d’eux, en tout cas, n’a songé à tenir la balance égale entre l’Accusation et la Défense, ce qui est encore un jugement, mais plus prudent parce qu’on ne connaissait que la version de la première et que la seconde n’avait toujours pas parlé, selon l’usage de la procédure accusatoire américaine. Cette ignorance de la relation d’information par les journalistes eux-mêmes est sidérante : elle ne peut que les exposer à rééditer les mêmes erreurs « factuelles  » à l’avenir et à accroître un peu plus leur discrédit. Paul Villach

(1) Cité par Paul Watzlawick in « La réalité de la réalité  », Éditions Le Seuil, 1978.

(2) Renaud Dély, « DSK : les médias en ont-ils trop fait ? - A peine le "New York Times" avait-il annoncé que les charges contre DSK étaient "sur le point de s'effondrer" que la cohorte de ceux qui accusent les médias de tous les maux s'est remise en marche sur le Net. Un mauvais procès ?  », Nouvel.Obs.com, 06.07.2011.


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