Affaire DSK : le culot monstre du directeur de L’Express

par Paul Villach
lundi 12 décembre 2011

 « Journalisme et vie privée  », tel était le thème de l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut sur France Culture, samedi matin, 10 décembre 2011. Alain Duhamel et Christophe Barbier, directeur de L’Express étaient invités à donner leur point de vue. (1)

A. Finkielkraut a expliqué d’entrée que « le sujet (lui avait) été inspiré par les rebondissements sans fin de l’affaire Strauss-Kahn ». La manière dont les médias ont en effet rendu compte de ce fait divers politique, mérite examen. On tient là un cas pratique exemplaire pour illustrer « la relation d’information ». C’est ainsi qu’on l’a soi même présenté dans un bref ouvrage dès juin 2011 (2). Or, on a assisté en cours d’émission à un numéro audacieux de la part du directeur de L’Express qui a montré l’étendue de son talent en matière d’information.

1- Une capacité à diffuser des bobards

La première qualité qu’il faut lui reconnaître est une capacité peu commune à diffuser froidement des bobards. A. Finkielkraut a commencé par se demander si « à la lecture même des journaux, les journalistes français (n’étaient pas ) allés trop loin et (si) à la faveur de cette affaire hors norme, ils (n’avaient pas) allègrement franchi la frontière qui les séparait encore des tabloïds anglo-saxons. » On sait que cette presse de caniveau a atteint des sommets d’indignité.

C. Barbier a été catégorique : « Profondément et sincèrement, a-t-il répondu, je crois que non, je crois que nous n’avons pas franchi de frontière déontologique. En revanche que l’actualité politique a franchi plusieurs fois le mur du son et d’innombrables frontières, oui ! Nous sommes contentés, nous, d’aller au plus près des faits, et, quand les faits allaient au plus près du sordide, bien entendu nous nous sommes approchés du sordide par la simple relation des faits. Nous avons considéré que la vie privée des hommes publics devaient être portée à la connaissance du grand public quand certaines règles étaient bafouées  »

Or comment soutenir pareils bobards ? La presse écrite a un inconvénient : « Verba volant, scripta manent », sait-on depuis les Romains. On peut toujours lire les horribles bobards diffusés par la presse dans les années 1914-1918. N’a-t-on pas assisté cette fois entre les médias depuis le premier jour à un concours de représentations, toutes plus infidèles à la réalité les unes que les autres ?

N’a-t-il pas été ressassé que DSK s’était enfui de l’hôtel, paniqué, au point d’en avoir oublié un portable ? Or, que montre la viéo de surveillance de l’hôtel récemment publiée ? Un homme serein sur le départ. Il quitte sa chambre en traînant sa valise, paie sa note à la réception, sort, manque un premier taxi, et téléphone tranquillement en attendant de monter dans un second.

2- La violation délibérée de la présomption d’innocence

Une deuxième qualité de C . Barbier est une inclination à la pratique de l’amalgame entre prévenu et coupable. Tous les médias français ont, comme lui, violé la présomption d’innocence. "Le scandale qui change tout", titrait dès le lendemain l'Express en couverture sur une photo de DSK dans une voiture de police : n'était-ce pas prendre acte de la culpabilité de l'intéressé avant tout examen (3) ? Même Le Canard Enchaîné n’a pu se dispenser de misérables jeux de mots (4). France Inter s’est réservé le coup de pied de l’âne (5) : le journaliste de service, Patrick Boyer, a ainsi présenté la défense de DSK, lundi 23 mai 2011, au journal de 13 heures : « L'homme qui voulait présider la France sur des valeurs de Gauche, a-t-il estimé, ne devra peut-être son salut judiciaire qu'au prix du discrédit d'une femme de ménage africaine, travailleuse immigrée à New-York… C'est en ces termes que se pose aujourd'hui l'affaire DSK devant la justice américaine  ». Et dès fois que des auditeurs n’auraient pas bien saisi le problème, le même Patrick Boyer a représenté dans ces mêmes termes la défense de DSK au cours du journal de 13 heures, trois jours plus tard, le 26 mai. Pas de chance pour ce journaliste-prophète ! C’est le rapport du procureur lui-même qui a discrédité Mme Diallo, la femme de chambre, et non l’accusé.

Les photos montrant DSK, sortant du commissariat de New-York menotté dans le dos et encadré par deux policiers, ont fait la une des quotidiens et la couverture des magazines. En revanche, sa victime supposée a été célébrée au début comme une jeune femme au-dessus de tout soupçon. Sept journalistes du très sérieux New-York Times assuraient après enquête qu’elle était irréprochable. On a appris depuis, par une lettre du procureur adressé le 30 juin à l’accusé puis par son rapport définitif du 23 août, que cette femme était « untruthful ».

Ce qui est terrifiant avec C. Barbier, c’est que la décision d’abandon des poursuites pénales par le Procureur ne change rien à sa certitude de la culpabilité de DSK : par un nouvel amalgame, l’ agression sexuelle contre Tristane Banon, classée pour prescription, devient la preuve qu’il a aussi agressé Mme Diallo, la femme de chambre. Quant à son implication supposée dans l’affaire du réseau de prostitution de Lille, elle tend à confirmer la culpabilité foncière de DSK. C'est un « homme qui échappe pour l’instant à la justice, accuse C. Barbier. Tant mieux pour lui ! Parce qu’à New-York, les charges étaient trop fragiles, le procès a été abandonné ; dans l’affaire Tristane Banon, l’agression sexuelle a été reconnue mais il y a prescription ; et dans l’affaire de Lille, il n’a même pas été entendu et c’est d’ailleurs assez anormal qu’il n’ait pas pu donner sa version des faits. Pour l’instant, il est totalement présumé innocent. Et dans la presse il a été traité comme tel  ».

Drôle de façon, en effet, de respecter la présomption d’innocence !

L’usurpation d’une autorité de directeur de conscience

Une troisième qualité de C. Barbier est, enfin, sa virtuosité à user du leurre de l’argument d’autorité. Il se présente en directeur de conscience et s’arroge un magistère moral pour reprocher à DSK de ne pas appliquer dans sa vie privée les valeurs de Gauche qu’il prétend défendre en public : « Quand on est le futur candidat de la Gauche, s’écrie-t-il, le fait d’avoir de manière tarifée ou non une relation sexuelle fugace avec une femme de ménage immigrée, ça transgresse quand même des codes de valeurs. On doit se dire : mes valeurs politiques de Gauche m’empêchent de profiter de mon ascendant, de traiter cette personne ; quand bien même serait-elle consentante, je dois respecter une forme de dignité, de respect de l’individu qui doit m’obliger à renoncer à cela. Je dois être cohérent entre les valeurs que je professe à l’extérieur comme homme public, l’égalité entre les citoyens, le respect de la femme, le respect du petit par le grand, je dois les respecter aussi dans mon comportement privé. On n’a pas le droit de parler mal à un domestique quand on est chez soi et de professer publiquement le bon traitement du personnel de maison.  » 

Il faut tout de même être culotté pour se croire autorisé à faire la morale aux autres quand, au même moment en public à la radio, on manque soi-même aux devoirs élémentaires imposés par la loi, la morale élémentaire et la déontologie de sa profession.

 

Le clou du spectacle est survenu en fin d’émission quand C. Barbier a défini sans rire le journaliste comme « une sorte d’anarchiste, ou, en tout cas, un homme qui est contre tous les pouvoirs. » Ce n'est pas, il est vrai, l'image qu'on se faisait de C. Barbier. Mais qu’importe ! Au vu de sa pratique professionnelle, telle que la révèle son interview elle-même, on voudrait seulement apporter une correction : on lui accorde volontiers qu’un journaliste est homme à s’élèver "contre tous les pouvoirs", à une exception près... son propre pouvoir qui l’autorise à répandre des bobards, à violer la présomption d’innocence et à usurper une autorité pour jouer les directeurs de conscience. Paul Villach

(1) http://www.franceculture.fr/emission-repliques-journalisme-et-vie-privee-2011-12-10

(2) Pierre-Yves Chereul, « L’Affaire DSK : deux hypothèses pour une énigme  », Éditions Golias, juin 2011.

(3) Pierre-Yves Chereul, ibid. p.65 et sq.

(4) Pierre-Yves Chereul, ibid. p. 69 et sq.

(5) Pierre-Yves Chereul, ibid. , p 73 et sq.


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