Affaire Meklat : lâcheté des bobos, hypocrisie des natios

par Nicolas Kirkitadze
lundi 27 février 2017

Voilà une semaine que natiosphère et gauchosphère glosent sur l'affaire Meklat. Ce jeune écrivain présenté comme une "étoile montante du journalisme de banlieue" et invité dans plusieurs émissions culturelles qui s'est avéré être l'auteur de tweets antisémites, homophobes et misogynes, à quoi s'ajoutent des menaces de mort envers Caroline Fourest et les journalistes de Charlie Habdo.

Les réactions à cette "affaire" ont été doubles selon les sensibilités politiques : la lâcheté le dispute à l'hypocrisie.

Presque toutes les personnes qui ont côtoyé Meklat de près ou de loin (éditeurs, journalistes l'ayant interviewé, collègues) ont tenu à se désolidariser du jeune trublion et à condamner ses propos, tel un gage de bonne foi.

C'est à Libération et Médiapart que revient la palme du courage, nonobstant leurs attaques stupides contre la "fachosphère" ; ils ont en effet persisté en défendant le côté artistique de Meklat et en ne reniant pas leur engouement passé pour cette jeune plume. Un courage qui a fait défaut à François Busnel, animateur de La Grande Librairie sur France 5 qui, tout penaud, s'est excusé de l'avoir invité dans son émission. Le Bondy Blog a réagi dans la même veine en prenant ses distances avec celui qui avait pourtant signé plus de 200 articles sur leur site. Ah, ces bobos, même pas foutus d'assumer leurs brebis galeuses…

Si la lâcheté de la bobocratie médiatique parisienne n'est une surprise pour personne, l'hypocrisie des prétendus mal-pensants est autrement plus étonnante et décevante. Ainsi, même Eugénie Bastié est tombée dans les filets de cette hypocrisie bourgeoise ; dans un article fort éloquent qu'elle a rédigé au lendemain de la révélation des tweets haineux de Meklat, elle affirme que les médias ayant "encouragé et promu" le jeune auteur seraient "compromis" par les tweets de ce dernier, comme s'il fut un pestiféré contaminant toute personne qui lui aurait adressé la parole. Un avis repris par plusieurs sites patriotiques qui reprochent aux médias d'avoir fait la publicité du jeune Mehdi Meklat.

L'effarouchement de ces droitards (qui se découvrent une soudaine sympathie pour les féministes, les LGBT et Charlie Hebdo) n'est pas sans rappeler les cris d'orfraie poussés par le Camp du Bien lorsqu'un des nôtres outrepasse les limites de la bien-pensance. Les tenants de la tolérance se jettent sur le malheureux qui doit s'estimer heureux s'il ne perd que son travail et ne finit pas au trou.

Les prétendus "dissidents" sont alors les premiers à monter au créneau pour le défendre et dénoncer la "pensée unique" de ces duègnes moralistes et boboïsées qui empêchent la libre-expression des avis mal-pensants et enclosent la parole dans un ensemble réduit d'opinions autorisées. On se souvient du boycott d'I Télé par de nombreux patriotes à la suite du licenciement de Zemmour, ainsi que des pétitions en tous genres pour soutenir Houellebecq, Finkelkraut, Anne-Sophie Leclère et d'autres personnalités en mauvaise passe à cause de leurs opinions.

Pas plus tard que la semaine dernière, la natiosphère s'émouvait du sort de Luc Poignant, ce syndicaliste policier boudé par les médias depuis qu'il a affirmé que le terme "bamboula" restait "plutôt convenable". Les mêmes réclament la tête de Meklat pour quelques tweets. Cela reflète le dogmatisme omniprésent dans notre pays où chacun prêche pour sa chapelle : les "dissidents" ne sont pas tant attachés à la liberté d'expression qu'à leur liberté d'expression, ils ne valent guère mieux que le Camp du Bien qu'ils dénoncent à juste titre ; une fois au pouvoir, ils n'hésiteraient guère à appliquer à leurs adversaires les diktats dont ils font eux-mêmes l'objet aujourd'hui.

J'ai pour ma part défendu Hervé Ryssen, Vincent Reynouard et Boris Le Lay quand ils traversaient l'Achéron médiatique pour quelques tweets jugés "racistes" ou "antisémites" par les héritiers de Torquemada. Refuser d'en faire de même pour ce Meklat dont je suis le premier à réprouver les propos serait une trahison de l'esprit voltairien et de la liberté d'expression que nous voulons pour les "nôtres" mais que nous dénierions à ceux dont les propos (et la tête ?) ne seraient pas à notre goût. Ce serait là un procédé fallacieux revenant à reprendre à notre compte les armes qu'utilise le Système contre nous. Or, ce qui est valable pour "notre camp" doit aussi l'être pour nos adversaires : simple principe de réciprocité.

On ne peut rire aux blagues de Dieudonné ou de PewDiePie et hurler à l'antisémitisme en lisant celles de Meklat. On ne peut déplorer l'acharnement subi par le couturier Galliano pour une blague malheureuse sur Hitler et s'acharner à son tour sur quelqu'un pour un malheureux tweet posté en 2010. On ne peut se moquer des pétitions à la mords-moi-le-nœud qu'aiment signer les bobos contre des personnalités mal-pensantes et signer à son tour de semblables pétitions réclamant l'interdiction d'antenne, l'expulsion ou l'arrestation d'une personne dont les propos ont choqué notre zone de confort. Si le principe établi pour nous autres dissidents est – qu'à l'instar des États-Unis – la liberté d'expression doit être totale, alors elle doit l'être pour tous : y compris ceux dont les vues sont aux antipodes des nôtres.

Enfin, il n'y a pas de quoi regretter d'avoir publié les ouvrages (au demeurant fort bien écrits) de M. Meklat et de lui avoir permis d'être connu. Un écrivain doit être jugé sur ses seules qualités artistiques, l'aspect moral passe au second plan. Ceux qui pensent le contraire sont priés d'éviter (sous peine de faire un infarctus) les oeuvres de Céline, Poe, Bataille, Boulgakov, Villon et d'autres écrivains aux propos autrement plus sombres que ce jeune banlieusard. Oui, un écrivain est aussi là pour heurter les sensibilités et appuyer sa plume acérée sur les plaies mal cicatrisées de la société, quitte à revêtir la toge de l'ignoble. Or, l'ingoble n'est-il pas, comme l'affirmait Jean Rostand, "du noble mal tourné" ?


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