Affaire Rudy, une justice aux ordres communautaires ?
par Bernard Dugué
mercredi 25 juin 2008
Imaginons un affrontement entre jeunes dans un lieu imaginaire. Verra-t-on un jour un juge ouvrir une information judiciaire pour une tentative de meurtre aggravé par le caractère antigaulois de l’agression, ou mettre en examen un jeune pour coups et blessures avec fait aggravé par le caractère antibreton de l’agression ?
Le cas de Rudy, ce jeune adolescent de confession juive massacré par une bande de sauvageons, risque de faire beaucoup parler. Cette agression est inacceptable, injustifiable et ses auteurs, quels que soient leurs motifs et intentions, doivent être punis. Cela est sans discussion possible. Par contre, les réactions des personnalités habilitées et autorisées à s’exprimer méritent une analyse. Tout comme celle de la qualification des faits par le procureur. La qualification est un élément-clé dans la suite judiciaire liée à des faits délictueux. Elle peut conduire un délinquant vers le tribunal de grande instance ou un criminel devant la Cour d’assises. Mais, en ce cas, c’est au procureur de qualifier les faits. Une mort peut être accidentelle, elle peut survenir dans un contexte de légitime défense, auquel cas le juge d’instruction qualifie un meurtre sans intention de donner la mort. Mais, en d’autres circonstances, ce même juge pourra décider de qualifier un assassinat, avec le cas échéant la circonstance aggravante de préméditation. Ou bien d’antisémitisme ou de racisme s’il s’avère que la victime a été assassinée parce qu’elle était de telle confession ou telle communauté. Quand il s’agit d’un crime « ordinaire », la qualification concerne la justice, le sort du futur condamné si les juges ou le jury en décide ainsi et les parties civiles. Dans le cas de « l’affaire Rudy », le déroulement de la justice et la qualification des faits ont un retentissement social et politique évident. Les mots sont importants. Le Grand Rabin de France, Gilles Bernheim, l’a rappelé à cette occasion, affirmant que face à ce grave fait, il faut utiliser les mots les moins faux possibles.
Après ce fait d’une extrême sauvagerie, les réactions ont fusé, dans l’incertitude la plus totale sur ce qui s’est réellement passé. Alors que des témoignages étaient disponibles. Certains savaient. Après avoir jugé le caractère antisémite probable, mais par certain, Bernheim s’est rétracté, sans doute suite à une pression interne des représentants de la communauté juive. Et, le lendemain, qualification par le Grand Rabin du caractère antisémite incontestable. Pourtant, les informations ont filtré et il apparaît qu’on se situe dans le contexte d’un affrontement entre bandes issues des communautés dans les quartiers. Que, parmi ces bandes, l’une est constituée par des jeunes juifs, se déplaçant parfois en groupe avec la logique tribale que l’on connaît ; marquer son territoire, et montrer sa force par le nombre ou bien en arborant quelques objets pouvant être utilisés dans des bagarres. Aux States, culture oblige, la batte de base-ball est prisée des gangs. Quant aux insultes liées à ce fait, elles n’ont pas le caractère antisémite qu’on trouverait lorsqu’un passant porteur d’une kippa se trouve agressé verbalement alors qu’il fait tranquillement ses courses. Dans le cas de ces jeunes de quartier, l’injure désigne le membre du clan adverse. Aux « sales feujs », les juifs en bande répliquent « sales gaulois » ou peut-être « sales beurs », « sales négros ».
Ce fait divers a donc été apparemment instrumentalisé par des personnalités politiques voulant afficher leur farouche opposition à l’antisémitisme. C’est légitime, comme peut l’être la réaction des instances juives prenant appui sur ce fait pour rappeler à l’opinion publique qu’il existe des actes antisémites en France. On se demandera aussi, sans mauvais procès, si cette qualification n’a pas pour intention de masquer une réalité. Au sein de la communauté juive, il existe comme dans d’autres communautés (et même en l’absence de communauté), des bandes de jeunes pratiquant la violence. Si bien que les Juifs sont comme les Arabes ou les Chinois, une communauté comme les autres. Ni pire ni meilleure.
S’il s’avère que la qualification d’antisémitisme participe à influer sur l’image de cette communauté, la question qu’on se pose à propos de la décision du procureur concerne la justice dont le rôle est d’appliquer le droit et la loi de manière impartiale et non pas d’entrer dans des enjeux spéciaux, communautaristes ou autres. Le procureur a-t-il été neutre, a-t-il mis les mots les moins faux possibles dans la qualification ? Voilà la question que je pose.