Affaire Skyrock : quand les élites valident la médiocrité culturelle

par Bobignyblog
samedi 14 mai 2011

Les politiques sont venus mettre leur grain de sel dans le bras de fer qui a opposé le fondateur de l'antenne parisienne Pierre Bellanger au groupe Axa Private Equity.

C'est François Hollande -qui affirme faire de la jeunesse sa priorité dans les primaires socialistes -, qui a ouvert la marche en prenant la défense de la radio Skyrock, qui promeut depuis les années 90 les artistes rap et r'n'b de l'hexagone. Très vite, Jack Lang, Benoit Hamon, Jean-Luc Mélenchon, Rachida Dati, Xavier Bertrand ou encore Rama Yade lui ont emboîté le pas. Tous ont mis un point d'honneur à souligner que Skyrock était « un espace de liberté d'expression pour les jeunes », comme l'a laissé entendre Ségolène Royale sur son twitter. Comprendre, des jeunes de banlieue. On passera sur la généralisation assez outrancière, et sur l'opportunisme électoral de la droite et de la gauche, qui ne surprend guère, ni sur la dénonciation de la prédation financière, qui passe très bien auprès d'une audience jeune et peu informée, qui ignore par exemple que Pierre Bellanger avait à l'époque vendu 70% des parts de Skyrock à Axa Private Equity, ne tarissant pas d'éloge au sujet du fonds d'investissement privé qu'il fustige désormais.
 
On ne peut néanmoins faire l'impasse sur cette célébration unanime de la médiocrité culturelle véhiculée par les artistes égéries de Skyrock. De Diam's, dont les médias et l'industrie du disque s'accommodent définitivement très bien du message haineux, au groupe Sexion d'Assaut qui a récemment fait polémique pour ses propos ouvertement homophobes en passant par le très virulent Rohff, et bien d'autres encore.
 
Les ténors du parti socialiste qui ne manquent pas une occasion de défendre les fameuses valeurs républicaines semblent donc bien disposés à fermer les yeux sur les propos tenus par Diam's dans sa chanson La Boulette : « c'est pas l'école qui nous a dicté nos codes ! ». Pareillement, si le lobby gay n'a pas manqué d'épingler le groupe Sexion d'Assaut pour ses propos jugés homophobes, personne ne s'est offusqué du « pays de koufars » (« mécrants » en arabe) faisant référence à la France dans leur tube Désolé. Une banalisation des messages francophobes véhiculés par ces artistes, qui remplissent les grandes salles et écoulent des millions de disque. Il faut dire que la classe politique, déconnectée de la réalité, pense réellement que tous les jeunes de banlieue se reconnaissent dans de tels messages. Ou du moins, à des fins électorales, elle le souhaite.
Plutôt que de les condamner comme le bon sens l'eût exigé, elle a donc décidé de les acclamer béatement, faisant par la même occasion une double association : celle du terme « jeunes » à « banlieusard », et de ce statut factuel à celui de personne prenant ces artistes pour porte-parole.
 
Mais outre cette lâcheté des politiques, il y a aussi un silence médiatique sur la qualité des artistes en question. Même l'adage « chacun ses goûts » trouve ses limites face à la médiocrité lyrique et musicale affichée sans honte par des artistes qui se ressemblent tous, véhiculent les mêmes messages misérabilistes et révisionnistes, la même culture banlieuesarde binaire qui ne connaît pas de nuances. Le système politico-médiatique semble avoir développé un sens de la tolérance tout à fait inouï à l'égard d'« artistes » qui, avant même l'approbation idiote de la sphère bobo-parisienne, sont les premiers à produire le matériau brut de la fameuse « culture de l'excuse ». Le résultat est la dégradation de la culture française qui produit pourtant encore des artistes de qualité.
Il n'est donc pas étonnant, dans ce climat, d'entendre des journalistes pourtant sérieux, célébrer la novlangue et les « pépites » de banlieue, soit-disant un vivier de talents pour la nation, quand bien même leur fond de commerce serait justement le mépris aveugle, borné et permanent de cette dernière. Le tout dans le but, comme l'affirmait ce jeudi 21 avril le ministre de la culture Frédéric Mitterrand, de « la pluralité des expressions ». Une formule comique lorsque l'on constate qu'on a là affaire à une uniformité accablante dans la programmation.
 
L'art n'a certes pas vocation à être soumis et respectueux des dogmes établis ou même des lois, mais on n'attend certainement pas des politiques comme des médias qu'ils fassent l'apologie de telles dérives, surtout quand ils passent leur temps à guetter le moindre « dérapage » de leurs adversaires.
Toujours est-il que dans le cas présent, on est très loin de la subversion et de l'engagement dont se réclament les artistes en question.
 
On n'ira pas jusqu'à rejoindre Eric Zemmour lorsqu'il affirme que le rap est une « sous-culture pour analphabètes ». Il ne s'agit pas là d'une problème intrinsèque au rap, mais d'un point de jonction entre la pauvreté de son message politique et la médiocrité de son volet artistique.
 
Nul doute que les artistes de rap peut-être moins racoleurs mais plus talentueux n'ont pas, eux, bénéficié de la promotion de Skyrock pendant toutes ces années. Ainsi Akhénaton du groupe I am commentait « Skyrock est une radio commerciale. Aujourd'hui, si tu achètes de l'espace publicitaire, tu es sur la playlist, c'est comme ça que ça marche ». Le groupe La Rumeur, qui avait fait l'objet d'une plainte mutuelle de l'Elysée et de Skyrock, ne s'est pas exprimé sur la question.
 
Eux et bien d'autres n'auraient pas regrettée Skyrock si elle avait perdu son âme, comme l'affirmait son directeur Pierre Bellanger avant que le Crédit Agricole ne vole à son secours. Nous non plus.

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