Afghanistan : l’obsession démocratique

par Michel Koutouzis
mercredi 9 septembre 2009

 Durant mes enquêtes sur les produits singés et autres copies, j’en ai vu des vertes et des pas mûres. Mais des contrefaçons de bureaux de votes, ça, c’est une première. Il n’y a rien à dire, les afghans sont imaginatifs.
 
Au lieu de frauder bureau par bureau, transporter dans leurs souliers des bulletins (c’est plus compliqué que les chaussettes, d’autant plus qu’une grande partie des votants reste pieds nus), ils ont envoyé à la queue leu leu les soldats du régime nouveau et les ont dirigé vers des bureaux à un seul bulletin de vote, (celui de ce régime nouveau bien sûr). Des individus se promenaient avec des détergents ou du coca cola censés effacer les traces de l’encre indélébile en théorie, que tout votant doit promener sur son doigt plusieurs jours après l’élection. On peut les comprendre. Les talibans ont déjà coupé plusieurs doigts « d’ayant voté » stigmatisés de cette substance noire.
 
Bien sûr, les coups classiques, intimider et terroriser les votants d’une part, et promener sur des routes impossibles les inspecteurs des Nations Unies et autres contrôleurs, n’ont pas manqué. Mais, et c’est là la première, ils ont carrément créé des bureau de vote fictifs, plus de 900 selon le New York Times, dans des lieux oubliés des dieux et des hommes, et qui ont donné des résultats soviétiques pour le candidat Karzaï. 
 
Soyons juste, chacun son fief, sa tribu, son intimidation, ses coups fourrés. Nous sommes en Afghanistan, patrie des clans, des seigneurs, des « sages », des caciques, qui négocient les votes par paquet (package deal). Ici une canalisation d’eau, là des poteaux électriques, ailleurs la protection des champs de pavot, ailleurs la construction d’un dispensaire, la liste est longue.
 
C’est drôle ces élections : chacun les voit comme une monnaie d’échange pour régler ce qu’il désire le plus : du pire (garder son gynécée couvert à jamais) au meilleur (bâtir une école). Karzai, selon les dernières informations est en passe de l’emporter : il a réussi à intimider, acheter, offrir ou promettre plus. Plus ? Six cent bureaux de votes scellés pour cause de fraude dans « sa région » du sud, où les moins de vingt pour cent de participation n’ont pas empêché que celle-ci se transforme en 95 %. Plus ? Près d’un million de votes contestés. Plus ? Des milliers de femmes empêchées de voter, on oublie que l’Afghanistan est une République Islamique sous protection occidentale. Plus ? Un bon cinquième de la population n’a pas voté, habitant dans des régions incontrôlées. Là ou justement se sont érigés les bureaux fictifs.
 
Le président Obama vient de déclarer que ces élections, historiques, sont les premières organisées par les Afghans eux-mêmes. Avec une commission électorale indépendante et tout et tout. Sauf que, comme toujours dans ce pays, ce « tout » est le résultat de conciliabules et accords entre clans et seigneurs de la guerre.
 
Que le vote ouzbek est garanti par le « général » Dostom, exilé milliardaire en Turquie pour cause de trafic de drogue et gestion moyenâgeuse de sa ville Mazar e Charif. Que le vote tadjik est « garanti » par les soldats de l’ex alliance qui ont négocié leur intégration à l’armée. Que le vote pachtoun est sous le contrôle des alliés claniques de Karzai et de son frère. Il y a tellement de « sauf », que ces élections sont en effet purement afghanes…
 
Elles ne font que transcrire fidèlement les allégeances féodales des uns et des autres. 
 
Et, bien sûr, caresser chez nous notre obsession universaliste du concept électoral.
 

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