Afghanistan : une cuisante défaite pour l’impérialisme américain

par Jean Dugenêt
jeudi 19 août 2021

Les scènes dramatiques de l'aéroport de Kaboul ont parcouru le monde, montrant des milliers d'Afghans qui essayaient de monter dans un avion militaire. Les talibans ont pris Kaboul, la capitale, le dimanche 15 août, ainsi que les grandes villes d’Afghanistan. Les occupants américains et leurs alliés de l'OTAN se sont échappés dans un chaos qui rappelle la débâcle de Saïgon en avril 1975. C’est cette évidence qui saute aux yeux quand on voit ces images.

Le retrait américain, près de 20 ans après son invasion, laisse le pays sombrer dans le désastre. C'est l'une des défaites les plus importantes pour les États-Unis après le Vietnam. Cela se produit au moment de la plus grave crise mondiale de domination de l'impérialisme nord-américain. Une crise politique, économique et militaire. Le président Biden reproche à Trump l’accord signé l’année dernière avec les talibans. Le secrétaire britannique à la Défense, principal allié des États-Unis lors de l'invasion de l’Afghanistan, a qualifié cet accord de "pourri". En février 2020, l'administration Trump avait en effet conclu un accord avec les talibans pour retirer ses soldats en mai 2021. Biden a déclaré que le retrait devait avoir lieu en septembre, mais a été contraint de le faire avancer. Actuellement, 6 000 soldats américains et britanniques interviennent encore mais limitent leur action à la garde de l'aéroport de la capitale pour permettre à leurs collaborateurs directs et aux représentants fantoches du gouvernement de s'échapper. Ashraf Ghani, l'ancien président afghan, a déjà fui le pays.

L'Afghanistan partage des frontières avec la Chine, le Pakistan, l'Iran, le Tadjikistan, le Turkménistan et l'Ouzbékistan. Aujourd'hui, avec 38 millions d'habitants, c'est l'un des pays les plus pauvres du monde. Son économie essentiellement agraire, est dominée dans une large mesure par les talibans. Sa principale exportation vient du pavot, dont elle est le premier producteur mondial, avec 328 000 hectares cultivés pour l'opium et l'héroïne. C'est précisément avec ces récoltes que se finançaient les talibans, qui ont continué à exporter en contrebande. L'invasion américaine de 2001 visait à remettre « de l'ordre dans le monde » c’est-à-dire à affirmer ici comme ailleurs la suprématie de l’impérialisme américain. L'invasion a commencé le 7 octobre 2001, moins d'un mois après les attentats terroristes de New York, de Pennsylvanie et de Washington, avec essentiellement « l’attentat des Twin Towers », lesquels ont fourni le prétexte à cette offensive comme à celle dirigée contre l’Irak en 2003. L'objectif affirmé par le président George Bush, était de « combattre le terrorisme » et de capturer Oussama Ben Laden, chef de l'organisation Al-Qaïda, considéré comme le cerveau des attentats et réfugié en Afghanistan. Le gouvernement afghan était alors accusé de protéger Ben Laden.

Les objectifs et les origines des « attentats des Twin Towers » n'ont jamais été tout à fait clairs. Ben Laden, né en Arabie saoudite, avait été financé par la CIA lors du conflit d’Afghanistan contre la Russie. C’était un bon moyen, du point de vue des dirigeants américains, pour mettre le gouvernement russe en difficulté dans le contexte de la guerre froide. Les USA ont donc fourni des armes et un entraînement aux troupes de Ben Laden pour combattre l'Union Soviétique. Celle-ci avait envahi l'Afghanistan pour défendre un gouvernement à ses bottes et arrêter l'avancée des mouvements islamiques, dont émergeront plus tard les talibans. Sous prétexte des attentats du 11 septembre, les Etats-Unis ont obtenu le soutien de la communauté internationale, et d’une grande partie de la population américaine elle-même, pour envahir l'Afghanistan, puis l'Irak en 2003 (un pays qui n'avait rien à voir avec Ben Laden ou Al-Qaïda). Mais le véritable objectif de l’impérialisme américain était de consolider sa domination et accroître son contrôle sur le pétrole d'Irak et du Moyen-Orient. Bush et les présidents qui l'ont suivi, s'érigeant en « gendarmes du monde », ont voulu mettre « de l'ordre ». Vingt ans plus tard, il est devenu clair qu'ils encourageaient plutôt « un désordre mondial », et que l'impérialisme ne s'est pas remis de son échec militaire et politique au Vietnam. Pour envahir l'Afghanistan, Washington avait le soutien militaire du Royaume-Uni, du Canada, de l'Australie, de l'Autriche, de l'Italie, de l'Allemagne, de la France et d'autres pays de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Le gouvernement américain avait également engagé des armées privées de mercenaires de Colombie et d'autres pays d'Amérique latine. À eux tous, il comptait plus de 200 000 soldats avec le soutien de sa puissante aviation. L'invasion yankee, avec les bombardements et les massacres qui ont produit un véritable génocide, a fait 200 000 morts et des millions de blessés et de réfugiés. Malgré cela, elle n'a jamais pu consolider sa domination sur l'ensemble du territoire. Les talibans ont continué à contrôler, avec un certain soutien populaire, une partie du sud de l'Afghanistan.

Les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN disent avoir dépensé 1 000 milliards de dollars pour maintenir une énorme armée d'occupation. Les envahisseurs ont eu environ 8 000 morts, dont des soldats américains et d'autres pays de l'OTAN ainsi que des mercenaires embauchés par eux. On estime que 88 milliards de dollars ont été dépensés pour former les 300 000 soldats afghans, qui se sont maintenant rendus sans combat. Encore une fois, il est démontré qu'une force d'invasion ne peut pas consolider efficacement une armée à son service. La haine des occupants impérialistes est à la base de cet échec. Ils n'avaient aucune légitimité. Les afghans embauchés par les américains ne voulaient pas affronter leurs propres compatriotes.

Vingt ans plus tard, après les administrations de Bush, Obama, Trump et maintenant Biden, les forces impérialistes se retirent dans la défaite. Les talibans sont un mouvement politique religieux islamique pro-capitaliste (de la branche sunnite), qui dirigent une fédération de tribus centrée sur l'ethnie pachtoune. Les talibans, ou "étudiants" en langue pachtoune, ont émergé au début des années 90 comme une fraction de la résistance afghane à l'invasion de l'ex-URSS dans les années 80. Ils faisaient partie des "mudjahideen", la guérilla financée par le Pentagone américain et la CIA et avec le soutien du Pakistan. En d'autres termes, les talibans ont été créés par l'impérialisme américain lui-même. Mais ensuite, ceux-ci sont devenus incontrôlables. Les talibans apparaissent en 1994 confrontés à une guerre civile avec d'autres ailes de l'ex-guérilla. En 1996, ils ont pris le pouvoir en Afghanistan et l'ont gouverné jusqu'à l'invasion américaine en 2001. Ils ont formé l'Émirat islamique d'Afghanistan (une sorte de monarchie islamique, dirigée par une autorité politico-religieuse absolue, qu'ils veulent reconstruire maintenant). Les talibans ont établi une dictature islamique bourgeoise, basée sur leur interprétation de la charia ou de la loi islamique. Les meurtriers et les adultères étaient exécutés publiquement, amputant les mains et les pieds des coupables de vol. De même, les hommes devaient se laisser pousser la barbe et les femmes devaient porter une burqa qui couvrait tout leur corps, elles ne pouvaient pas circuler sans la compagnie d'un homme, ni étudier après l'âge de 10 ans. Ils ont également interdit la télévision, la musique, les films…

Où va maintenant l'Afghanistan ? En raison de leur passé répressif, lors de la période où ils ont gouverné (de 1996 à 2001), et aussi parce qu'ils sont majoritairement pachtounes (40 % de la population), les talibans se heurtent à la résistance d'une grande partie du peuple afghan, en particulier dans les villes. Notamment les femmes citadines et d'autres groupes ethniques sont le plus souvent opposés au pouvoir des talibans. Le chef religieux Mawlawi Hibatullah Akhundzada a été nommé commandant suprême des talibans le 25 mai 2016. Il est fort possible que, comme ils l'ont annoncé, ils rétablissent l'émirat dictatorial islamique. Bien qu'ils se soient heurtés aux États-Unis, ils n'ont pas de programme anti-impérialiste et ont déjà entamé des négociations publiques avec l'impérialisme chinois, qui a promis des investissements dans le lithium et le cuivre, et donné des garanties à la Russie.

L’AGIMO, et les organisations de l’UIT-QI et de la LIT-QI, soutiennent la résistance afghane et se félicitent de cette cuisante défaite de l’impérialisme américain et de ses institutions comme l’Union Européenne. Nous soutenons sans hésitations la résistance du peuple afghan pour expulser les troupes des envahisseurs et les institutions de l’impérialisme (qu’elles soient nord-américaines, européennes ou « mondiales »). Cependant, notre soutien ne signifie aucunement que nous soutenons le gouvernement ultra-réactionnaire des talibans. Nous comptons qu'il y aura nécessairement une résistance populaire importante contre ce nouveau gouvernement. Nous anticipons notre rejet de toute action répressive à l'encontre des femmes et du peuple afghan en général. Ce sont les travailleurs afghans qui méritent la solidarité internationale pour lutter pour leur indépendance et reconstruire leur pays sans envahisseurs et sans dictatures théocratiques d’où qu’elles viennent. La solidarité est également nécessaire avec les millions de réfugiés afghans qui sont discriminés et exploités en Asie et en Europe, afin qu'ils soient acceptés comme migrants d'un pays détruit par l'impérialisme, avec tous leurs droits sociaux, notamment le droit au travail.

Le 18 août 2021, Jean Dugenêt, d’après un article de l’UIT-QI.


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