Ai-je le droit d’être facho ?

par Grégoire Duhamel
jeudi 20 novembre 2014

A cette question, l'Etat répond clairement non.

En juillet 2012, à la suite de la mort de Clément Méric dans une rixe, dont les tenants et aboutissants restaient assez obscurs l’instruction n’étant pas achevée, le Ministre de l’Intérieur Valls avait dissous plusieurs organismes d’extrême droite, « Troisième voie » du pétaradant Serge Ayoub ( l’ancien cogneur « Batskin »), les « Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires » et surtout l’ « Œuvre Française », un mouvement assez ancien fondé après 68 par Pierre Sidos, grand prêtre de l’extrême-droite et reconnu comme tel par ses pairs. Le Conseil d’Etat, saisis par les dissous furieux, confirmait la décision en octobre 2013.

Le fait que ces divers organismes soient d’extrême droite ne fait aucun doute : le Conseil d’Etat a estimé par exemple que les preuves produites par le ministère public étaient concordantes « en ce qui concerne, d'une part, la propagation [...] d'une idéologie incitant à la haine, à la discrimination et à la violence envers des personnes en raison de leur nationalité étrangère, de leur origine ou de leur confession, d'autre part, la participation de ces associations à des hommages rendus à des responsables du régime de Vichy et à des miliciens condamnés pour collaboration ou intelligence avec l'ennemi et l'exaltation de la collaboration avec l'ennemi  ».

Or il faut souligner que l’œuvre Française a bel et bien été interdite à cause de l’idéologie qu’elle épouse, et non de voies de faits qui, bien évidemment, justifierait une action publique pénale : son action consiste pour l'essentiel en quelques défilés folkloriques autour du Premier Mai. Donc, c'est au titre d'opinions, et d'elles seules, que le Gourou Valls a entrepris de zigouiller ces micro-partis qui ne représentent aucun danger réel à l'heure actuel.

Or, voici que leader Yvan Benedetti a été entendu par un juge d'instruction ce mercredi à Lyon. L'ex-dirigeant de l'Oeuvre française a été mis en examen pour reconstitution et maintien de ligue dissoute. Il en a fait l'annonce lui-même sur son compte Twitter : "L'audition a été très brève. Je m'en suis tenu à une déclaration de principe comme quoi je ne reconnais pas la dissolution. L'Oeuvre Française existe toujours car ce n'est pas à un gouvernement qui a deux ans d'existence de prononcer l'interdiction d'un mouvement qui existe depuis 1968", a-t-il indiqué. Son compère Alexandre Gabriac, autre représentant de l'ultra-droite lyonnaise, à la tête des Jeunesses Nationalistes, sera lui convoqué devant le juge d'instruction jeudi après-midi avec de probables résultats semblables.

La question de l’interdiction de structures pour opinions déviantes (et sans aucun doute condamnables dans le cas présent) reste épineuse et cette affaire le montre encore.

On peut en effet avancer ceci : « Si l’on interdit une opinion, je l’adopterai. Uniquement par refus de vivre dans un monde ou certaines opinions sont interdites. Ce n’est pas à l’Etat de me dire ce que je dois penser, ni qui je dois aimer ou haïr.  » Répondre cela : « Je suis d’accord. La pensée d’Etat, c’est totalitaire si ça déborde sur une restriction des opinions, fussent-elles sulfureuses. Il y a néanmoins une différence entre « je n’aime pas les juifs » (opinion que je ne partage pas mais que j’accepte) et « les juifs manipulent le monde » (accusation sotte et raciste).  » Et rétorquer encore : « les juifs manipulent le monde », c’est aussi une opinion. Le fait qu’elle puisse être sotte est raciste selon vous suffit-il pour que vous acceptiez (ou souhaitiez) que l’on tente de réprimer son expression par la puissance de la chose publique ? Pensez-vous que l’on puisse faire avancer l’intelligence par le simple fait d’interdire la sottise ? (…) Ne tournons pas autour du pot : si vous êtes pour la liberté d’expression, vous ne pouvez pas réserver cette liberté aux idées que vous trouvez justes. La liberté d’expression doit être aussi pour ceux que vous jugez sots et racistes.  »

Cet échange (qui a eut lieu en réalité sur Agoravox il y a quelques semaines et que je reprends tel) résume bien les enjeux contenus dans une « pensée d’Etat » qui exprime une doxa. En effet, que la puissance publique décrète ce qui est Bien ou Mal, puis prohibe ce qui n’est pas à son goût, c’est peu réjouissant, d’où, sans doute la position de principe des pays anglo-saxons sur ces questions (le KKK ou des micros partis nazis sont autorisés dans plusieurs états des USA, les islamistes radicaux s’expriment à Londres assez librement). Tout accepter ou poser des barrières : c’est au fond un choix de société, et il a été tranché en France dans un sens plus restrictif qu’aux USA, ce que montre la mise en examen de Benedetti, homme aux opinions très contestables MAIS qui n’a jamais porté la main sur quiconque. 

A chacun au fond de se déterminer.


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