Aimer les mots

par Françoise Beck
vendredi 15 mars 2019

 

Toujours ma mise en garde : les accents circonflexes restent mystérieux sur mon clavier italien.

Le vocabulaire s'appauvrit à mesure que les expressions ridicules fleurissent. Peut-etre que celles avec "trop" utilisé erronément atteignent un certain sommet.

Je viens de lire, sur un réseau social, lieu, il est vrai, des pires excès (orthographe, vocabulaire, pseudo-idées, opinions), un commentaire à propos de pièces de vaisselle : je les aime trop. Il nous vient l'envie de répondre : Alors, aime-les moins !

Devant une belle photo : c'est trop beau ! Pourquoi, vous entretenez le culte de la laideur ? Pour féliciter quelqu'un : tu es trop fort ! Essaie toi-aussi de le devenir ! Après avoir dégusté un plat : c'est trop bon ! La prochaine fois, choisis un plat de médiocre qualité !

Le lexique se retrécit et je ne connais pas une langue, qui n'en soit victime. Or, le vocabulaire traduit le mode de penser. Et le mode de penser permet ou non de résister aux tentations perverses, dont l'extrémisme n'est pas le moindre exemple. Quand je parle d'extrémisme, j'entends évidemment celui de certains régimes ou tendances politiques, mais je vise aussi les attitudes en société, de groupe ou individuelles et, évidemment, les discours (ce que les gens disent). Les mots permettent d'exprimer un ressenti, de développer un raisonnement. Quand ils sont pauvres, il faut une tete bien faite, comme disait Montaigne, pour éviter les dérives. L'une d'elles, parmi les plus connues, se nomme cliché. Elle est soeur de l'a priori. A eux deux, ils déclenchent des souffrances personnelles, et aussi des guerres mondiales.

Si, comme le dit Sophie de Menthon (1), le langage est le reflet de la société, notre société est indigente. (1) www.atlantico.fr, Haro sur l'appauvrissement de la langue française

Alors, nous rencontrons des personnes attentives, qui courent à son chevet. Elles souhaitent lui apporter des médecines de leur choix : influence, manipulation, illusion. La société les absorbe, car elle a une pensée tronquée, et elle espère pallier ses manquements par les formules pretes-à-énoncer. Elle est séduite par "les Italines d'abord" ou les Français, toutes les nationalités sont interchangeables. Elle croit que l'étranger vient manger son pain. Elle cavale derrière celui qui lui promet des revenus pour ne rien faire. Bref, elle ne résiste pas au chant des sirènes politiques. Pas plus qu'elle ne refuse celui des publicitaires, les deux castes utilisant plus ou moins des procédés identiques, mais souvent la publicité produit moins de dégats, tout en représentant elle-aussi un fameux exemple de carence linguistique.

Ne pas se laisser tenter par les antiennes affriolantes en amplifiant son vocabulaire passe par une exigence scolaire renforcée pour une culture plus affirmée et une cohésion sociale plus ferme. Las ! De plus en plus s'installe un esprit de dérision face aux connaissances. Si avant, l'intellectuel suscitait le respect, il se voit actuellement mis en doute, on le considère comme un empecheur de parler misérablement avec satisfaction. C'est le règne de la médiocrité, Et souvent, les médiocres sont les plus populaires.

On est donc face à un choix. Celui d'une société. Celui de ne pas systématiquement rejeter la faute sur l'autre parce qu'il nous abuse ou parce qu'il est plus compétent. Rien ne va plus ... ou presque. Faites vos choix !

Françoise Beck

 


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