Alésia et les silences du ministre

par Emile Mourey
jeudi 2 décembre 2010

Encore un débat bidon de B. Duquesne suite au documentaire curieusement intitulé « Alésia, victoire d’une défaite ». Pas de latinistes sur le plateau, je veux parler d’agrégés qui ne disent pas n’importe quoi. Pas de militaires qualifiés sur le plateau, je veux parler de militaires latinistes, j’en connais au moins un. Et pourtant, il s’agissait bien de montrer que ce qu’a écrit César s’accordait bien avec le site d’Alise-Sainte-Reine, dans le dispositif des retranchements que nous révèlent les fouilles archéologiques et dans les opérations de combat appliquées sur le terrain décrit. Et il s’agissait pour les éventuels contradicteurs, latinistes, archéologues et militaires, de démontrer que ce qu’a écrit César ne correspondait pas. Rien de tout cela dans le débat ! D’un côté, un intellectuel qui sait manier la parole et en face de lui, des techniciens qui ne la manient pas. Et au milieu, un présentateur qui ne pense qu’à équilibrer le débat pour faire mousser l’affaire, tout en laissant planer l’ombre du scandale, vieille ficelle journalistique. Bref, un débat entre des intervenants aux connaissances très relatives qui semblent ignorer que c’est Labiénus qui a mené campagne contre Lutèce et non Brutus. Quant aux journalistes qui sont à l’origine de ce documentaire et du débat, on peut se poser des questions. Les études les plus récentes sur Alésia ont fait l’objet d’une série d’articles publiées sur le web par le journal citoyen Agoravox. Il suffit de faire une recherche rapide sur l’internet en faisant le mot clé « Alésia ».

Plusieurs amis m’ont téléphoné après avoir vu le documentaire. Le résultat est surprenant ; c’est le site jurassien qui l’emporte. Qu’en pense M. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture ? Certes, il ne s’est pas opposé à la construction du Muséoparc d’Alise-Sainte-Reine mais qu’en pense-t-il dans son for intérieur ? Dans le documentaire, le brillant défenseur du site franc-comtois déclare qu’il aurait été reçu par le ministre et que celui-ci lui aurait conseillé de ne pas faire de vagues.
 
Puisque le ministre est un homme de lettres, qu’on me permette, dans cet article, de lui proposer une autre traduction du texte de César qui remettra les choses en ordre. Car c’est bien là le noeud du problème. Voyez les arguments des partisans du site franc-comtois dans le forum de Public Sénat qui a suivi l’émission et mes réponses que je récapitule ci-après dans une lecture plus lisible et avec quelques modifications. http://www.publicsenat.fr/forum/viewtopic.php?id=874&p=1. Car la grande critique que l’on fait au site bourguignon, à laquelle les archéologues ne savent que répondre, serait, entre autre, la distorsion qui existerait entre le texte de César, ce que révèlent les fouilles et ce que sembleraient dire d’autres textes. Ma certitude est qu’il y a parfaite concordance... à condition de bien traduire le texte latin.
 
1. César n’est pas parti de Sens mais de l’oppidum senon d’Auxerre.
 
Pourquoi voulez-vous que César soit remonté jusqu’à Sens, alors que son intention était de rejoindre la Province par les frontières du pays lingon ? L’oppidum senon d’Auxerre s’impose. Et c’est en revenant de Lutèce que Labiénus est revenu à Sens et que de là -inde- il a rejoint César avec les bagages de l’armée. Ne nous dites pas que César est parti à l’aventure sans avoir auparavant regroupé ses forces et en laissant son train des équipages sous la seule protection de Labiénus ? La fameuse bataille de cavalerie prouve que lorsque César s’est mis en route, c’est avec les bagages de l’armée. Et puis, mettez-vous à la place des légionnaires que, dans votre hypothèse, vous faites remonter à pied jusqu’à Sens pour ensuite les faire redescendre, soit un certain nombre de kilomètres à pied supplémentaire pour rien. Sachez que s’il est une chose que les fantassins n’aiment pas, c’est qu’on leur fasse faire des kilomètres superflus.
 
2. Le texte de Plutarque n’est litigieux qu’en apparence.
 
César fut donc obligé de décamper de chez eux, et de traverser le pays des Lingons, pour entrer dans celui des Séquanais, amis des Romains, et plus voisins de l’Italie que le reste de la Gaule (site de Ph. Remacle).
 
Plutarque est peut-être influencé par la voie Sequanas par laquelle les Séquanes passaient - en pays lingon près d’Alise - pour rejoindre la Seine qui les menait aux mines d’étain de Cornouailles. Il n’est pas raisonnable de penser que César cherchait à fuir en passant par les montagnes dites séquanes du Jura. Il n’est pas raisonnable d’imaginer une autre voie que le couloir Saône/Rhône pour rejoindre la Province. Carcopino avait raison d’imaginer un pagus séquane de l’ouest. Enfin, il se peut que le texte de Plutarque ne veuille manifester qu’une intention. Et puis ne demandons pas à un prêtre d’Apollon d’avoir la précision d’un chef militaire ou d’un géographe.
 
3. En ce qui concerne l’effectif de l’armée romaine, la taille des camps et les effectifs gaulois.
 
A mon interlocuteur qui estime que la taille des camps romains d’Alise sont ridiculement minuscules par rapport aux effectifs des légions qu’indique Polybe, je réponds...UN, que tout le train des équipages était regroupé dans les camps de la plaine ainsi que les cavaliers germains, ainsi qu’un certain nombre de cohortes ; DEUX, que les légions installées dans les camps avaient détaché entre les deux lignes de retranchement un nombre conséquent de cohortes, lesquelles stationnaient en réserves locales dans des redoutes, TROIS, qu’une partie de ces cohortes se tenaient au rempart, le minimum suffisant ; QUATRE que les effectifs des légions de César ne sont pas connus mais qu’il est très possible qu’ils soient inférieurs à ceux que donne Polybe vu le type d’opération à mener en Gaule, QUINTO que les camps de César à Alise pouvaient très bien déroger au règlement de la vie en campagne de Polybe. SEXTO que l’effectif romain était tout à fait suffisant pour réaliser les retranchements décrits par César, compte tenu que le travail était réparti probablement par tranches sur tout le pourtour, compte tenu d’autre part que les retranchements décrits avec précision par César l’étaient principalement en plaine, qu’ailleurs de simples abattis installés judicieusement sur la pente suffisait, compte tenu par ailleurs que la hauteur du talus/terrassement, si l’on traduit correctement le texte, ne s’élevait pas à plus de 2 mètres au-dessus du niveau du sol etc.
 
Concernant les effectifs des Gaulois donnés par César, notamment de l’armée de secours, voyez par comparaison ceux que donne Hirtius Pansa pour le combat d’Uxellodunum qui sont beaucoup plus raisonnables. Vous croyez que César a fait une estimation des forces à vue ? Non ! Il n’a fait probablement que reprendre les chiffres prévus par le plan de mobilisation éduen (voir le texte) et ce n’était pas dans son intérêt de préciser que ceux qui sont venus étaient beaucoup moins nombreux.
 
4. Les retranchements à 120 mètres desquels le grand fossé large de 20 pieds a été creusé sont ceux d’un grand camp de la plaine où se trouvait alors César et non ceux de la contrevallation qui ne sera construite que plus tard, au chapitre 73.
 
A mon interlocuteur qui pense que la contrevallation a commencé à être construite dès le chapitre 68, d’où sa mauvaise interprétation et sa critique du site d’Alise, je réponds : Vous faites, ce qu’on appelle en latin un faux sens. Le verbe instituo, surtout chez César, n’a pas le sens principal d’exécution mais d’instituer, de décider, d’organiser, de régler, à la rigueur d’entreprendre. Comme je vous l’ai dit, il y a une logique dans le cerveau latin de César : avant de faire les travaux, il réunit ses lieutenants et avec eux, il organise l’affaire.
 
Même faux sens concernant ce même verbe instituebatur Il ne s’agit là encore que de la ligne d’encerclement que les Romains ont prévu de faire.
 
A mon interlocuteur qui évoque enfin les camps, je réponds : Oui ! et c’était bien la première chose à faire que d’établir des camps et de les fortifier, et cela, avant de construire la ligne d’encerclement. Mais au sujet des forts, je lui réponds : Non ! il n’est pas du tout dit que ces postes fortifiés s’élevaient à l’intérieur des camps. La suite du texte prouve qu’ils étaient disposés en avant, à des intervalles tels que, je vous cite : pendant le jour pour prévenir toute attaque subite (par des corps de garde qui y étaient détachés depuis les camps) ; la nuit ; on y tenait aussi des sentinelles et de fortes garnisons. J’ajoute que ces forts, ou plutôt redoutes (castellum), sont localisés à Alise-Saint-Reine depuis Napoléon III.
 
Mon interlocuteur : Pendant ces travaux, il y eut un combat de cavalerie dans cette plaine, c’est donc que les Romains ont déjà commencé à travailler sur la contrevallation. Moi : Non ! Il s’agit seulement des travaux de fortification des camps et des redoutes.
 
Lui : Vercingétorix, avant que les Romains eussent achevé leur circonvallation, prit la résolution de renvoyer de nuit toute sa cavalerie.
Moi : Non ! Vous faites un contre-sens. César écrit : avant que les "munitiones perficiantur", c’est à dire avant que la ligne d’encerclement vienne s’ajouter à la ligne de surveillance que constituent les redoutes.... Perficio, pensez à perfectionnement.
Lui : Instruit de ces dispositions par les transfuges et les prisonniers, César arrêta son plan de fortification comme il suit...
Moi : Non ! Il décide seulement de réaliser le retranchement qui suit.
Lui : Il fit creuser un fossé large de vingt pieds, dont les côtés étaient à pic et la profondeur égale à la largeur.
Moi : Et alors ? C’est bien seulement à ce moment-là qu’il fait creuser la grand fossé à bords droits à 120 mètres des retranchements de son camp de la plaine, pour se protéger des harcèlements gaulois. A ce moment-là, la ligne de retranchement n’est pas encore construite. Il ne l’entreprendra qu’au chapitre 73... Et sauf erreur de ma part, le chapitre 73 vient bien après ceux que vous venez de citer. A noter par ailleurs que César na jamais dit que son fossé était à pic et que sa profondeur était égale à sa largeur, comme on le lit dans certaine traduction, mais que la largeur au sol était égale à sa largeur du haut.
 
Un modèle de littérature latine.
 
Car c’est bien ce que révèle ce simple passage d’une précision inégalée, qui démontre à l’évidence la supériorité du cerveau latin césarien, en qualité de rigueur, sur celui de ceux qui n’ont même pas réussi à le traduire correctement, d’où le procès d’incohérence qu’on lui a fait et le doute que cela a entrainé pour la localisation d’Alésia. César suit la logique des événements et des choses et tout en marquant les différentes étapes, il les explique dans le contexte. Le cerveau français, lui, papillonne. Cela ne le surprend pas qu’on puisse passer du coq à l’âne, de revenir, de reprendre, d’inclure, bref de tout embrouiller. Et puis, il y a la langue latine qui est une langue en formation. Le latin de César n’est pas celui de Cicéron.
 
Conclusion.
 
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, dans ce débat où manifestement les arguments de la thèse franc-comtoise ne sont plus, ni crédibles ni recevables, ne pensez-vous pas qu’une initiative argumentée de votre part pourrait enfin mettre clairement un terme à une polémique qui n’a malheureusement que trop duré ?

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