Alésia, interprétation archéologique ou interprétation militaire ?

par Emile Mourey
lundi 10 mars 2025

Après la bataille de cavalerie que Vercingétorix a perdue contre les Romains (à Noyers) - voyez mon article Agoravox du 11 janvier 2023 - les traductions classiques nous disent que César campa le lendemain à Alésia (DBG 7, 68), je corrige : César n'arriva, en fait, que le surlendemain...

"Ayant reconnu la situation de la ville, et voyant les ennemis consternés de la défaite de leur cavalerie, qu'ils regardaient comme la principale force de leur armée, César exhorta les siens au travail et fit commencer les lignes de circonvalation"... je corrige : il ne s'agit alors que d'un fossé que César a fait creuser pour protéger son grand camp K.

César est arrivé par une grande voie gauloise qui correspond à la route actuelle. Pour choisir l’emplacement de son grand camp dans lequel il abritera son convoi de charriots, l’emplacement K s’impose. C’est le meilleur endroit pour observer le mont Auxois depuis la plaine. Il jouxte la voie par laquelle viendra le ravitaillement. La rivière protège la position contre une attaque de cavalerie qui se déploierait dans la plaine et lui apporte l’eau indispensable pour la boisson et l’hygiène. Enfin, ce camp est judicieusement placé en début de pente - car la pente, c’est très important pour dominer un assaillant éventuel ; et encore plus important, il y a le camp A qui, sur le sommet du mont de Flavigny, assure sa sécurité et son soutien. César a installé son PC lourd au camp K et son PC tactique au camp A. Pour aller du camp K au camp A, il lui suffisait de suivre la ligne de crête montante. La distance entre les deux camps est relativement courte.

 

Aussitôt arrivées, les légions s'étaient mises au travail pour construire le camp K qui abritera le train des équipages de toute l'armée. Quand César dit qu’il range des légions « pro castris » cela ne peut être que pour protéger ce camp K que les cavaliers de Vercingétorix harcèlent. César craint même une attaque de l’infanterie gauloise. Il écrit textuellement qu’il envoie ses légions à ceux qui travaillent (laborantibus). Quand les autres légions arrivent, elles laissent leur train des équipages dans ce camp K avant d'aller prendre position dans l'encerclement que César a prévu.

C'est derrière ce fossé, prés du camp K, que se fabriquent les obstacles qui renforceront les lignes d'encerclement. Je fais l'hypothèse qu'il s'agit du tracé incurvé en rouge qui va de la plaine des Laumes à la montagne de Flavigny, lequel sera ensuite inclus dans la circonvallation qui entourera tout le site.

Un jour se passe pendant lequel les Gaulois de l'armée de secours préparent un grand nombre de fascines, d’échelles et de harpons.
 Au milieu de la nuit, ils sortent en silence de leurs camps et se dirigent vers les retranchements romains de la plaine. Ils poussent une grande clameur pour signaler leur approche aux assiégés. Ils amènent au plus près les fascines pour combler les fossés. Ils sortent leurs frondes et leurs arcs. Ils accablent les défenseurs du retranchement sous une grêle de pierres et de traits. Ils se préparent à donner un assaut en règle.


 Les Romains se portent aussitôt aux emplacements de combat. Avec des piques, avec des pieux, avec des frondes, ils repoussent les Gaulois ou les tiennent à distance.
 On se bat dans le noir. Des deux côtés, les blessés ne se comptent plus. Les javelots s’envolent des machines à jet multiple. Les officiers supérieurs romains prélèvent des renforts sur les garnisons des redoutes (qui sont entre les deux lignes de retranchement) et les envoient sur les points menacés...
 Lorsque les Gaulois se trouvaient assez loin du retranchement, la multitude de leurs traits leur donnait l’avantage. Mais quand ils se rapprochaient, ils mettaient les pieds sur les aiguillons, ils glissaient dans les trous et s’empalaient sur les pieux. Ou bien, ils étaient frappés à mort par les pilum lancés du haut des tours et des remparts.

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Interprétation Michel Reddé, archéologue, et musée d'Alésia

Texte de César, traduction et interprétation du militaire

César fit ouvrir un fossé à parois verticales de 6 mètres de large, sans talus, en avant des autres fortifications. Il fit ensuite creuser deux autres fossés de 4 m 50 de large et de profondeur identique. En arrière, on éleva un terrassement surmonté d'une palissade à laquelle on ajouta un parapet et des créneaux.

L'ensemble de l'ouvrage avait une profondeur de 120 mètres.

On accrocha dans l'angle que faisait la terrasse et le parapet, des chevaux de frise tout en dards et en piquants, pour retarder l'ennemi qui aurait voulu escalader la palissade (il s'agit d'épines noires).

Tous les 24 mètres, on dressa des tours en bois.

On prit des troncs d'arbres ; on coupa les branches de façon à n'en conserver que les parties rigides qu'on écorça et qu'on tailla en pointe. On les tira dans les fossés que l'on combla ainsi jusqu'à 1 mètre 50. Après les avoir descendus dans le fond, on les liait ensemble par le bas pour qu'ils ne puissent être arrachés. Seules, les branches acérées dépassaient. Cela faisait cinq couches intimement entremêlées. Ceux qui essayaient de franchir cet obstacle s'empêtraient dans cet enchevêtrement de branches toutes en pointes. On les appela les colonnes de la mort.

Devant, on creusa des trous en pente, profonds de 90 centimètres, en quinconce, suivant des rangs obliques. On descendit dans ces trous des troncs ronds de la grosseur de la cuisse dont le bout avait été taillé en pointe et durci au feu. Ils ne dépassaient du sol que de quatre doigts. Pour les faire tenir, on tassait dans le fond du trou 30 centimètres de terre et on recouvrait le tout de branchages et de broussailles pour cacher le piège. On en réalisa huit rangs à 90 centimètres les uns des autres. On leur donna le nom de fleurs de lis.

On dissémina en avant, un peu partout, de très nombreux piquets de 30 centimètres de long qu'on enterrait entièrement dans le sol et au bout desquels étaient fixées de grandes pointes en fer que les soldats appelèrent aiguillons.

Enfin, dans la plaine et dans les parties basses du terrain, on dériva l'eau de la rivière dans le fossé intérieur.

Lors de la bataille de Gergovie, c'est de la butte d'Orcet dont César s'est emparée en arrivant ; c'est à son pied qu'il avait établi son grand camp, c'est de là qu'il avait pensé sa manoeuvre. A Alésia, c'est sur la montagne de Flavigny qu'il établit son poste de commandement. C'est de là qu'il pense sa manoeuvre. C'est là qu'il donne leurs missions aux unités qui vont se mettre en place. Cest "à sa botte", en réserve, que se trouvent les 6 cohortes de Labienus qu'il enverra en renfort sur le front de Bussy qui menaçait de céder, mais aussi celles de Brutus et de Fabius sur le front de la plaine des Laumes. Tout cela pour dire qu'il ne s'en est fallu de peu pour que les Gaulois l'emportent. Débordés sur deux fronts, les Romains n'en pouvaient plus. C'est dans ce moment critique, comme dans d'autres, que César a retourné la situation en sa faveur. Abandonnant son PC à une garde provisoire d'une ou deux cohortes, il s'est porté sur le front de Bussy qui menaçait de céder, prenant au passage les cavaliers germains qu'il avait judicieusement placés au camp H, à l'extéreur des remparts. Il précipite sa marche. Il veut participer à la bataille. On le reconnait à la couleur de son manteau de général qu’il a l’habitude de porter au combat. On aperçoit les escadrons de cavalerie et les cohortes dont il s’est fait suivre. Il descend la pente. Sur les hauteurs, les Gaulois l’ont vu. Ils se rassemblent et ils donnent l’assaut en poussant un cri terrible. Du rempart et des fortifications, une autre clameur leur répond aussitôt. Les Romains abandonnent le pilum et mettent l’épée au poing. La cavalerie gauloise est prise à revers ; Vercassivellaunos est fait prisonnier. On apporte à César 74 enseignes...

 

 

Mais ou sont passés les Gaulois de l'armée de secours ? 

Nous avons vu qu'ils avaient combattu. Auraient-ils renoncé ? Se seraient-ils enfuis emportant leurs blessés et leurs morts ?

Réponse : César est parti à la rencontre de la victoire, emmenant avec lui ses dernières réserves, ne laissant pour garder son camp K que le minimum de défenseurs. Cela n'a pas échappé à l'attention des Gaulois. Ils montent à l'assaut du camp ; ils s'en emparent ; ils le pillent ; ils le brûlent. Les chariots romains tombent en cendres. César a perdu son train des équipages. Le butin que les Romains ont volé à la Gaule, ils le reprennent pour en faire don à nos musées. Honneur aux Gaulois d'Alésia !

Emile Mourey, 92 ans, 8 mars 2025


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