Alésia : qui ment ? César ou les archéologues ?

par Emile Mourey
mardi 15 février 2011

Que mes lecteurs habituels se rassurent. Ce titre beaucoup trop polémique à mon goût n'est pas de moi. C'est celui de la conférence prononcée le 21 janvier par M. Claude Grapin, conservateur du musée, pour lancer la campagne médiatique du muséoparc d'Alésia. Sachant que le conseil scientifique était, ou est toujours, dirigé par MM. Goudineau et Reddé, archéologues/historiens aux connaissances en latin très discutables, on devine toute de suite qui est le coupable. Je suis très étonné de cette stratégie. En effet, critiquer César, c'est encore relancer le doute, c'est se livrer, poitrine découverte, aux flèches particulièrement destructrices de Mme Danielle Porte, auteure du livre à succès "L'imposture d'Alésia". Enseignant-chercheur au prestigieux Institut de latin de Paris IV-Sorbonne, cette historienne combat le site d' Alise-Sainte-Reine depuis de nombreuses années, le livre des Commentaires à la main.

Après l'émission du 6 février de l'éminent intellectuel et journaliste d'investigation Michel Field sur Europe I, évidemment sans référence à mes articles, où en sommes-nous ?

Première erreur de Claude Grapin http://www.dijonscope.com/010908-cote-d-or-l-irreductible-bataille-d-alesia.
Curieusement, le conférencier commence par reconnaître que le témoignage de Dion Cassius est en faveur du site franc-comtois "250 ans après le départ de César, dit-il, Dion Cassius, qui est un compilateur, a résumé le siège d'Alésia et a affirmé que le site était en Franche-Comté" mais il récuse ce témoignage en arguant du fait que l'auteur était très mal instruit de la géographie de la Gaule. 

Non ! On pourrait dire cela, à la rigueur, de Plutarque mais certainement pas de Dion Cassius. Reprenons la traduction du passage litigieux que donne le site de Philippe Remacle : Avant cet événement, Vercingétorix, à qui César ne paraissait plus redoutable à cause de ses revers, se mit en campagne contre les Allobroges. Il surprit dans le pays des Séquanais le général romain qui allait leur porter du secours, et l'enveloppa ; mais il ne lui fit aucun mal : bien au contraire, il força les Romains à déployer toute leur bravoure, en les faisant douter de leur salut et reçut un échec par l'aveugle confiance que le nombre de ses soldats lui avait inspirée. Les Germains, qui combattaient avec eux, contribuèrent aussi à sa défaite : dans l'impétuosité de l'attaque, leur audace était soutenue par leurs vastes corps, et ils rompirent les rangs de l'ennemi qui les cernait. Ce succès imprévu ne ralentit point l'ardeur de César : il contraignit les barbares fugitifs à se renfermer dans Alésia, qu'il assiégea.

En fait, c'est très simple. Dion Cassius ne fait que résumer le texte des Commentaires : Vercingétorix a donné l'ordre au frère d' Eporédorix d'attaquer les Allobroges (DBG, VII, 64) ; il lance son attaque de cavalerie contre César qui s'était mis en mouvement pour se porter à leur secours (VII, 66-67) ; il se replie sur Alésia (VII, 68). Sautant à juste raison le paragraphe 63 du DBG, Dion Cassius a fait partir César aussitôt après la campagne de Labiénus à Lutèce. Tout cela est en accord avec les Commentaires et en parfaite logique avec un déplacement de César depuis le pays senon jusqu'à Alise-Sainte-Reine. La curiosité est que Dion Cassius place la bataille de cavalerie dans un pays séquanais, ce que ne précise pas le texte des Commentaires. La seule conclusion qu'on peut en tirer est que cette bataille a eu lieu dans un pagus dont les habitants se donnaient encore le nom de Sequanais, un nom qui, de toute évidence, leur venait du temps où, ancienne colonie des Séquanes de Besançon, ils gardaient leur voie de l'étain qui conduisait aux mines d'étain de Cornouailles. On retrouve le même phénomène en région parisienne où les anciens habitants d'Ile de France se considéraient, eux aussi, comme des Séquanais http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/alesia-les-etonnants-silences-du-85366.

Quant à Plutarque, quand il écrit que César se mit à traverser le pays lingon pour se rendre chez les Séquanes, il ne dit pas autre chose.

Deuxième erreur de Claude Grapin. "Le naturaliste Pline l'Ancien parle d'Alésia dans son ouvrage consacré à la métallurgie, en expliquant ... une spécialité qui consiste à appliquer du plomb blanc à chaud sur des objets en bronze pour prendre l'apparence de l'argent massif." Pourquoi Pline l'Ancien ne précise-t-il pas la localisation d'Alésia ? Claude Grapin avance le fait que cette référence "s'imposait à ses contemporains".

Claude Grapin ne veut voir dans l'Alésia citée par les auteurs antiques qu'Alise-Sainte-Reine, alors que pourtant, il reconnait qu'il s'agit d'un terme générique. Il oublie de nous dire que Pline a précisé que cette invention était à la gloire des Bituriges et non des Mandubiens (XXXIV, 17, 162). Il existe donc une autre Alésia, celle que Diodore de Sicile dit être la métropole de la Gaule, une autre Alésia autrement mieux fortifiée ; pensez aux fortifications de Bourges contre lesquelles César a dû dresser une rampe de presque 23 mètres de haut. Cette confusion est très grave car elle nous conduit à une représentation complètement erronée de la Gaule de cette époque.

Que veut dire M. Grapin au sujet de l'urbs gauloise qu'il localise sur le mont ?

S'il s'agit d'admettre enfin que les fondations urbaines mises au jour sont d'origine gauloise, j'applaudirais. Mais si c'est seulement pour supposer que la ville gauloise qu'a vue César est toujours à rechercher, je pleure sur les contribuables qui vont encore financer des fouilles inutiles http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/au-sujet-d-alesia-13269.

S'il y a quelqu'un qui ment, ce n'est certainement pas César. Ce sont les erreurs des archéologues et leur absurde théorie du faisceau d'indices qui permettent à Mme Porte de développer avec succès son argumentation.

Il est absurde de penser que le grand fossé que César a fait creuser en premier est celui qui se trouve au pied du mont Auxois (VII, 72). Ce fossé a été creusé par les Gaulois pour protéger leur position (VII, 69). Le grand fossé de César est celui où, par la suite, il a tiré ses colonnes de la mort, et il se trouvait bien, alors, à 120 mètres des retranchements de son grand camp de la plaine (et non des retranchements de la ligne d'investissement qui n'était pas encore construite, c'est une évidence). César est très précis et ne ment pas.

J'ai déja mis en exergue combien la reconstitution des obstacles du livre de M. Reddé est inacceptable, tellement ces obstacles sont irréalistes et insignifiants. Alors que le croquis de fouilles des archéologues allemands s'accorde parfaitement avec le texte de César, je ne comprend pas qu'on l'interprète en dépit du bon sens http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/alesia-le-bafouillage-continue-57411. César est très précis et ne ment pas.

Il est également absurde de faire attaquer l'armée gauloise de secours en prenant à revers le mont Rhéa alors que seule la montagne de Bussy permet une attaque sur un large front. C'est là une tragique erreur qui, non seulement permet à Mme Porte de souligner les multiples contradictions que cela engendre, mais aussi de rendre la compréhension logique de la bataille absolument impossible http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/a-mme-danielle-porte-au-sujet-d-71273. César est très précis et ne ment pas.

Enfin, cerise sur le gâteau, les fameuses balles de fronde aux initiales de Labiénus retrouvées sur la montagne de Bussy et que les archéologues brandissent comme si ce vestige, intéressant certes, mettait fin à toutes les polémiques et justifiaient toutes leurs interprétations (page 152 du livre de Michel Reddé, "Alésia, l'Archéologie face à l'imaginaire").

Non, messieurs les archéologues, ces balles de fronde ne justifient pas votre interprétation de la bataille mais mon interprétation. Labiénus était premier lieutenant de César, son second en quelque sorte, parfois son double. A quel autre officier plus digne de confiance aurait-il pu confier le commandement de sa réserve d'intervention ? Quel autre officier aurait mieux mérité de le seconder, voire de le remplaçer au cas où ? Aucun autre que Labiénus. Et c'est bien Labiénus qu'il a envoyé en renfort contre les troupes de Vercassivellaunos qui menaçaient de franchir le rempart (VII, 86)... et ce rempart, c'était celui de la montagne de Bussy comme en témoignent ces balles de fronde, et non celui du mont Rhéa.

Autre joyeuseté à laquelle les touristes étrangers ne devraient pas rester insensibles, l'inscription portée sur le socle de la statue de Vercingétorix : "La Gaule unie, formant une seule nation, animée d’un même esprit, peut défier l’Univers" qui fait dire au chef gaulois ce qu'il n'a jamais dit, tout en le présentant comme un barbare prétentieux alors que la bonne traduction est la suivante : "Je ferai de toute la Gaule un seul conseil dont personne au monde ne pourra contester les décisions dès lors qu'elles auront été prises dans une volonté commune" (DBG VII, 29). 

Autre joyeuseté : prendre pour argent comptant les effectifs de l'armée de secours indiqués par César alors qu'il ne s'agit que d'un plan de mobilisation et non d'un effectif engagé même si César fait comme si. Il avait déjà utilisé ce procédé en donnant les chiffres de recensement des Helvètes, tels qu'ils étaient inscrits sur leurs tablettes. César ment mais il peut prouver ce qu'il dit.

Voyez également mon précédent article intitulé "Le projet inquiétant du muséoparc d'Alésia" http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-projet-inquietant-du-museoparc-86455.

Monsieur le député Sauvadet, président de la SEM d'Alésia, permettez-moi de vous remercier, vous et vos collaborateurs, pour cette grande saga si riche en joyeux rebondissements.

Emile Mourey
officier en retraite,
auteur d'ouvrages sur la Gaule.


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