Alger et le Polisario au secours du pamphlet de Moulay Hicham

par Benoit Alphand
samedi 3 mai 2014

Comment le régime algérien et les séparatistes du Polisario se mobilisent pour faire la promotion du livre du prince Moulay Hicham.

« Le Journal d’un prince banni » a fait pschit. Selon les statistiques officielles du site des professionnels de l’édition Alexia, l’ouvrage du prince Moulay Hicham déçoit au point où les Editions Grasset qui ont en fait l’événement littéraire du printemps de leur catalogue Essais et documents se sont mis en ordre de bataille pour tenter d’enrayer la mévente de l’ouvrage qui, au terme d’une semaine de mise en place auprès des libraires, n’a pas dépassé le cap fatidique des 1000 exemplaires écoulés. De quoi donner la gueule de bois à la machine qui voulait en faire un best-seller.

Selon le site Demainonline, la direction de Grasset a vertement réagi à l’initiative de Moulay Hicham de mettre à disposition en accès gratuit sur les réseaux sociaux et notamment sur Facebook la version numérisée sous format PDF du livre. Le prince, conscient de son flop, a décidé seul et sans l’avis de son éditeur de le distribuer gratuitement, faisant fi de l’effort commercial et de la quote-part dévolue à Grasset. « Le prince est desemparé, il veut battre à tout prix les records de vente des ouvrages précédents sur le roi du Maroc » assure un responsable des ventes chez Grasset qui ironiquement tourne la page de cette mésaventure en avouant que « nous nous rattraperons sur la biographie de Michel Platini à paraître en mai, ce sera plus sportif et plus fair-play ! ».

A en croire des sources dans le milieu de l’édition à Paris, Grasset compte aussi procéder à un appel de marge sur les 10% représentant les bénéfices futurs de l’auteur sur le chiffre d’affaires des ventes par mesure de rétorsion sur ce que leurs avocats considèrent déjà comme une rupture abusive de la clause du partage des droits d’auteur de la part du prince. « Normal, on le vend cher et lui nous fait un enfant dans le dos en le distribuant gratos comme du papier à cacahuètes ! » assène le même responsable des ventes.

Grasset qui a investi des sommes considérables dans la promotion du livre en recrutant une équipe de d’attachés de presse et en achetant des espaces publicitaires sur les lieux de vente a jugé dérisoire le recours fait par les communicants de Moulay Hicham dans leur tentative d’actionner des relais dans la presse algérienne et auprès d’associations proches du Front Polisario, le mouvement sécessionniste du Sahara Occidental, un territoire que ce mouvement marxiste-léniniste conteste au royaume du Maroc depuis les années 70 et ce en vue de faire redemarrer les ventes. « On lui a fait Europe 1, une télé et des bonnes feuilles dans Le NouvelObs et lui nous parle d’acheteurs officiels à Alger, c’est un peu court, vous ne trouvez pas ?  » réplique-t-on d'un ton amère chez Grasset.

Le prince Moulay Hicham a, selon certains journalistes marocains, ordonné à son secrétaire aux affaires médiatiques, El Houcine Majdoubi, de commander des articles à certains organes de presse en Algérie pour contrer le flot de critiques de la presse marocaine, toutes tendances confondues. Une information confirmée par Algérie-Interface qui révèle que les achats d’articles se font à un meilleur tarif que ceux proposés pour un simple encart publicitaire.

Par ailleurs, et pour faire diversion sur l’actualité politique lourde entourant la réelection d’Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’Etat algérien, l’ambassade d’Algérie à Paris a passé commande directement à Grasset d’un nombre "non négligeable" d’exemplaires du livre pour les distribuer aux ONG françaises de défense des droits de l’Homme, à certaines associations espagnoles proches du Polisario et à l’adresse d’une liste conséquente d’hommes politiques et de parlementaires européens.

Enfin, les instances européennes du Polisario ont mobilisé une armée de propagandistes du Net pour diffuser le plus largement possible des extraits choisis du livre, notamment ceux ayant trait à la vision crépusculaire du prince Moulay Hicham sur l’avenir du Maroc. Ces morceaux choisis sont systématiquement traduits en espagnol, arabe, amazigh et anglais et disséminés sur les réseaux sociaux.

Au Maroc, malgré le feu vert donné par le ministère de la communication à la diffusion du livre, les grandes librairies n’enregistrent pas un grand engouement du public ce qui rend rétifs des enseignes comme la FNAC à le proposer en tête de gondole. « Ce livre crée un sentiment de répulsion assez logique » commente un libraire de Rabat qui juge sa sortie « franchement anecdotique au vu des commentaires lus ça et là ».

Un régisseur professionnel du secteur du livre basé à Casablanca témoigne : « Le fait que des journalistes considérés comme critiques du pouvoir aient eux aussi mis en cause le contenu factuel du livre, nombre d’acheteurs potentiels ont finalement renoncé à l’acheter, préférant se résoudre à en lire de maigres extraits sur internet, voire l’ignorer tout simplement ».

Benoit Alphand

 

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