Allez Jean-Luc, ressaisis-toi !

par Emmanuel Glais
mardi 27 mai 2014

Jean-Luc, te dis-tu parfois, que ton affection pour le peuple de gauche, que tu voudrais rassembler, ne masque pas une crainte plus profonde pour le peuple tout court ?

Le peuple tout court, Jean-Luc, n'est pas forcément partagé comme le cerveau humain ou l'Assemblée Nationale (c'est ce qu'on nous fait croire en tout cas) entre droite et gauche.

Le peuple est le peuple. Il travaille ou il chôme, il spécule ou économise son petit pécule, il fraude ou il mendie. Une partie s'abstient parfois de voter, de penser ou de prendre position. Une autre pense toujours la même chose et choisit toujours la même couleur. Beaucoup ne se retrouvent pas dans les programmes des partis politiques. Tout le monde juge à l'aune de son vécu, du petit bout de sa lorgnette, de la hauteur de son étage dans les strates humaines.

Jean-Luc, tu te plantes avec ton parti de rassemblement qui ne veut pas rassembler tout le monde.

La gauche c'est quoi la gauche, putain ? Il n'y a pas plus de peuple ou de gens de droite ou de gauche que de races humaines. C'est de la connerie ces catégories. C'est fait pour nous diviser, comme les partis politiques. Lis Simone Weil et son texte contre les partis politiques, qui date de 1940.

J'ai écouté ton dépit dimanche soir. J'aime ta sincérité mais ton manque de lucidité m'exaspère. Tu as perdu tes moyens. Qu'est-ce qu'un homme sensé aurait-dit ?

Un homme sensé aurait soulevé des points comme :

1/ la légitimité du président normal est gravement atteinte 
2/ la légitimité de l'euro comme monnaie française, et peut-être celle de la France dans l'UE, sont aussi touchées


La première question pourrait aboutir à des débats comme : la révocabilité du chef de l'Etat, ou plus gentil, la dissolution de l'Assemblée Nationale. 

La seconde question pourrait aboutir à l'idée de référendums-plébiscites sur l'euro et l'UE. Pour refonder sa légitimité et celle de la France en Europe le Président de la République devrait en appeler au peuple pour trancher ces questions. Et d'abord poser un vrai débat national sur la souveraineté politique et monétaire, ou l'union européenne et transatlantique. 

Jean-Luc, pardon si je me répète un peu c'est pour le dire autrement.

Tu ne me plais pas beaucoup et peut-être que ce qui ne me plait pas chez toi ne plait pas plus à des millions de gens. Je crois que ta façon d'être témoigne de ta vision politique. Ton agressivité mâtinée d'intolérance pour ton adversaire politique n°1 depuis ton aventure malheureuse à Hénin-Beaumont, interroge ton goût pour la démocratie.

Tu sembles toutefois gagner en tempérance. Tu t'étais déjà un peu calmé avant le triomphe dominical de Marine... Tu ne sembles plus apte à te ridiculiser en te prononçant pour l'interdiction du FN.

Tu restes sans doute encore travaillé par un désamour pour la liberté politique et la libre-concurrence des opinions. Ta conception bien particulière de la démocratie s'associe à une gentille pensée de gauche. Cela te conduis à esquiver, marginaliser ou ridiculiser des questions posées par la droite et l'extrême-droite comme : les frontières et l'immigration (jadis elles n'effrayaient pas le Parti Communiste1). Ceci trahit une défaillance de ton logiciel. On peut y voir un mépris pour des thèmes qui intéressent (parmi d'autres) le peuple et touchent à la question de la souveraineté populaire.

Car oui la question de l'immigration et des frontières mérité d'être débattue. La situation actuelle n'est pas plus humaine que celle proposée par Marine ou d'autres fadas des frontières. Est-ce que les murs aux portes de la Grèce et de la Bulgarie sont des réussites de l'Union ? Est-ce que les noms de Lampedusa, Ceuta et Melilla ne suffisent pas à discréditer la politique migratoire européenne ? Calais est une malheureuse place faibles à ajouter à la liste des chancres de l'universalisme européiste. Un Soudanais sans nom entre 16 et 18 ans est mort le 18 mais, écrasé par le car sous lequel il se cachait pour passer la Manche. Au moment où je t'écris, 12 ans après la fermeture du centre d'accueil de Sangatte, on s'apprête à démanteler les trois camps calaisiens, où la gale sévit allègrement.

Tu dois aussi dénoncer tout ce que je raconte, et pourtant tu n'es pas crédible, mais pas crédible du tout sur ces questions là.

Immigration zéro ou immigration choisie, difficile d'établir quelle option est la moins injuste. L'immigration zéro mais l'immigration choisit assassine.

Je ne veux pas me focaliser sur ces points là, ce sont seulement des points à inclure dans une politique démocratique.

La démocratie c'est tout l'humain – pas seulement le « peuple de gauche » - d'abord et les oligarques perdent leurs pouvoirs.

Un démocrate ne considère t-il pas que c'est au peuple lui-même, directement et non à ses représentants, de fixer les grandes lignes politiques de la nation ?

Il faut des votations comme en Suisse, populaires surtout, et pas seulement des référendums plébiscitaires. Nous devons dire que notre système politique faillit chaque jour et que ce n'est pas le numéro devant la République qui changera quelque chose. C'est un changement profond, une première démocratie qu'il faut.

Je ne sais pas quelle politique migratoire serait la meilleure pour la France et nos frères les humains, voisins immédiats ou lointain étrangers. Personne ne sait cela. Mais tout le monde sait que la politique actuelle de la France, extérieure et intérieure, n'est pas moins fasciste que celle proposée par le FN. Personne ne sait quoi faire et pourtant tout le monde doit décider. Il n'y a aucune question à mettre sous le tapis parce qu'il n'y a pas de questions fascistes. Toute question est légitime.

Début mai 2014, un Afghan a été sauvé alors qu'il dérivait sur la Manche sur une embarcation dont le mat était un pied de table.

Pourtant en 2009 Eric Besson avait été chargé d'expulser les Afghans illégaux de France. 5 ans plus tard la France occupe toujours l'Afghanistan. Nos patrons ricains et nous-mêmes devons bientôt partir mais aucune amélioration sur place depuis 13 ans que nous y sommes n'est suffisante pour nous proposer de beaux reportages sur comment la France a encore mis tout le monde d'accord pour faire une démocratie tout belle et gentille.

Nous continuons d'être une puissance coloniale via le Franc CFA2. Notre politique économique impérialiste, sécurisée par notre armée, conduit des gamins à mourir dans la Méditerranée, dans et sous la Manche.

Alors est-ce que le fascisme n'est pas chez tes anciens amis du Parti à la rose ?

Jean-Luc, cesse de vouloir instruire le peuple, l'inonder de ta lumière.

Tu vois l'ampleur de la merde dans laquelle nous sommes ? Avoue que tu es complètement, comme moi, désemparé par la tâche qu'il y aurait pour un seul homme, même bien entouré, pour commencer à relever notre beau pays, la France ou l'espèce de continent dans lequel elle se trouve.

Tu as déjà fait un bout de chemin. Tu as rejoins le FN sur certains thèmes où il était en avance. Je n'aime pas ce parti, je n'aime aucun parti, mais il faut l'avouer il y a plus de cohérence chez lui que chez toi car il y a moins de tabous. Que les actes ne suivent pas, qu'au fond ce sont des amis du patronat, c'est possible. Je sais que dans la région Rhône-Alpes les élus FN ont voté contre un vœu hostile au Traité Transatlantique. Oui ce sont des traitres et des menteurs. Comme d'autres.

Sur le discours le FN est plus crédible, mieux audible que ton rassemblement de gauchers. C'est comme ça. Je t'ai dit pourquoi. Examinons comment s'en distinguer.

Plus largement : comment la gauche peut-elle déborder la droite souverainiste ?

En abolissant la gauche. En devenant démocrate. Jean-Luc, tu n'as qu'à dire : j'ai compris qu'un parti politique est toujours néfaste à la démocratie. Je suis devenu démocrate, je veux redonner le pouvoir au peuple.

Les élections ça n'est plus possibles. La politique du pays doit être orientée par des votations. Le gouvernement doit obéir au peuple et non l'inverse.

François Hollande et le PS ont trahi. Ils n'ont pas renégocié les traités européens ni séparé les banques. Si nous étions en démocratie ils seraient révoqués.

Je préfère les souverainistes aux mondialistes3. Mais je préfère les démocrates aux souverainistes.

Si la gauche devient démocrate alors peut-être deviendrais-je de gauche. Non, c'est ridicule si la gauche devient démocrate je reste démocrate et la gauche n'est plus la gauche mais le parti de la démocratie. Le parti de tout le monde. Car oui, c'est comme ça, en démocratie il n'y a pas de partis. Les gens discutent et votent point par point au lieu d'élire des gueules sur des programmes jamais appliqués.

Il est temps qu'on rebatte les cartes en brisant les catégories dans lesquels nous baignons. Il est temps que l'on trouve les principes qui nous permettront d'ôter à l'oligarchie les pouvoirs qu'elle nous a pris.

Si tu veux faire ta part, Jean-Luc, tu pourrais être un colibris de bon calibre.

Fais-ce que Démocratie Réelle avait proposé : consulte la population sur chaque projet de directive européenne et rapporte le résultat à Strasbourg. 

C'est plus constructif et moins indécent, quand on gagne 11 000 euros par mois, que d'appeler au ressaisissement des travailleurs.

C'est surtout audacieux et nécessaire, d'essayer autre chose en introduisant de la démocratie directe pour court-circuiter des institutions stupides. 

 

1. On se souvient que le PC de Marchais dénonçait l'immigration comme volonté du patronnat de faire pression sur les salaires. Jean-Luc lui ne s'en est pas toujours souvenu www.youtube.com/watch ?v=uo_wyrUKPKE

2. Ecouter à propos l'excellent Nicolas Agbohou

3. Il faudrait nuancer. EELV par exemple, bien que peu ardents contre les institutions européennes, vote souvent contre les lois mondialistes... en vain. Par exemple le 23 mai 2014 sur l'ISDS http://lesbrindherbes.org/2014/05/24/ptit-dernier-route-lisds-approuve-vite-fait-en-douce-parlement-europeeen-les-elections/

 


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