Âmes sensibles s’abstenir

par Elric Menescire
jeudi 30 septembre 2021

 

« Ceux qui luttent, ne sont pas sûrs de gagner, mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu. »

-Berthold Brecht

 

 

Le siècle des Crises

Dérèglement climatique, crise économique, crise sociale, crise sécuritaire, crise civilisationnelle…et, cerise sur le gâteau, crise sanitaire.

Notre siècle est le siècle des dérèglements.

L’étymologie du mot « crise » nous apprend quelque chose de très intéressant : le mot vient du grec krisis, qui signifie « action de distinguer, de choisir, de séparer » voire « action de décider ».

En découle un dernier sens, pour cette civilisation qui a inventé le Serment d’Hippocrate et nous a donné le Père de la médecine : « Phase décisive d’une maladie ».

Nous sommes à une croisée des chemins, même si la très grande majorité, par son apathie politique et sociale (peu de mobilisations et une grande majorité de personnes qui ne viennent jamais aux manifestations, acceptation large des atteintes de plus en plus nombreuses aux libertés et aux droits fondamentaux, repli communautaire, taux d’abstention aux élections historiquement bas, etc.), cette grande majorité donc, continue de refuser de le voir, refuse d’accepter le réel qui nous fait face.

Le réel ?

Nous sommes face à un mur, et nous accélérons dans notre bolide en carton-pâte, tout en chantant à tue-tête.

Notre civilisation est malade depuis bien, bien longtemps, et en phase terminale de sa pathologie.

Le fait que le malade soit victime d’acharnement thérapeutique depuis plusieurs longues années n’y changera rien : la chute est juste retardée à chaque fois un peu plus, mais elle se profile toujours, inéluctable, et la majorité préfère faire comme si de rien n’était, un peu comme l’orchestre sur le Titanic.

L’orchestre sur le Titanic refusait de laissait les gens penser que le moment était crucial, et préférait jouer alors que le bateau coulait, et que les gens se battaient pour une place dans le canot. Etrange psychologie des foules, qui permet à chacun de guetter la réaction de l’autre, et de se rassurer de ne rien faire soi-même, parce que l’autre, non plus, ne fait rien.

Un peu comme cette foule dans le métro, qui va assister passivement à un viol collectif, et ne va pas bouger le petit doigt, détournant le regard devant l’insupportable, alors qu’elle est dix fois plus nombreuse que les agresseurs.

Qu’une seule personne prenne à témoin la majorité silencieuse, et vous pouvez être sûr que les neuf dixièmes de la rame s’interposeront entre les agresseurs et leur victime.

Mais comme personne n’ose, rien ne se passe, et le viol a lieu, et les agresseurs s’en vont sans être inquiétés.

Et la majorité silencieuse, le lendemain, de se dire « choquée » pour un fait qui est effectivement choquant, mais qui explique parfaitement son comportement quotidien, tous les jours, tout le temps.

Baisser la tête, ne surtout pas faire de vagues. Ça finira bien par se tasser, non ?

 

Ça s’arrange toujours

Cela me rappelle cette anecdote : le jour où je réalisai, après avoir lu plusieurs sources étatiques dignes de foi, toutes confirmant ce qui se disait depuis quelques temps dans les couloirs des ministères et dans les cercles « bien informés », que le pétrole avait atteint son pic en 2008, et que les pénuries et la décrue de production(et les problèmes qui vont avec) arriveraient dès 2024 (autant dire demain ), dans une société où tout, absolument tout ce que nous mangeons, buvons, consommons est fabriqué, produit, acheminé, à 99% grâce au pétrole…

J’en parlai donc à un ami proche, en lui confiant mes craintes, et lui expliquant que c’était pour cela que je commençai à me préparer, ne serait-ce que mentalement dans un premier temps, puis physiquement dans un second, changeant mon mode de vie, ma façon de consommer, voire d’envisager les choses…histoire de ne pas me retrouver moi et ma famille totalement à poil, le jour où le brutal réel frapperait à nos portes. Un peu comme en mars 2020 lors de la prise d’assaut des supermarchés, quoi. Ce n’est pas pour me vanter d’ailleurs, mais grâce à cette prise de conscience, qui eut lieu vers 2012 pour moi, j’ai pu épargner à ma famille ce type de « désagrément », car j’étais préparé depuis quelques temps…mais bon, ça n’est pas le sujet, passons.

Revenons à cet ami, avec qui j’évoquai ce risque de pénurie de pétrole, et les troubles qui inévitablement surviendraient, un beau jour de 2015 si mes souvenirs sont bons. Quelle ne fut pas ma surprise de l’entendre me répondre, cet ami proche, ce bon père de famille, responsable, travailleur, honnête citoyen payant toujours ses impôts à l’heure : « Ohhh mais, ils trouveront bien quelque chose ! Ils trouvent toujours quelque chose »…

Fin de la discussion.

 Et ainsi, la majorité joyeuse d’être impuissante refuse toujours de faire le grand saut, qui consisterait juste à accepter d’ouvrir les yeux, même si ça fait extrêmement mal. Et, par enchaînement logique, à commencer d’agir, sans garantie de succès certes, mais d’agir enfin, pour tenter de changer la roue du désastre qui n’arrête pas de tourner.

Hélas, ce mécanisme salvateur, la majorité joyeuse préfère continuer de l'ignorer. Car la majorité joyeuse –ou qui croît l’être- ne croit plus en grand-chose, à part au fait qu’« ils trouveront bien quelque chose. Il le faut. »

La grande majorité de l’Humanité a abandonné, en un mot comme en cent, sa souveraineté.

 

L’ère des pénuries

A la lumière de ce qui vient d’être évoqué, il faut désormais évoquer l’état plus qu’inquiétant de tout ce qui tient nos sociétés, et notamment d’une de ses composantes essentielles, j’ai nommé l’acheminement des ressources, via les chaînes logistiques ou « chaînes longues » qui irriguent en temps réel les supermarchés et autres temples de la consommation moderne.

Ces chaînes dites "logistiques" sont incroyablement performantes, mais aussi extrêmement fragiles, à la moindre crise, elles peuvent se rompre. regardez un peu ce qu'il se passe en ce moment, que ce soit en matière de composants informatiques (pénuries), de bois (pénuries) ou d'autres marchandises (masques, tests, vaccins etc..), voire même des plus basiques et essentielles comme les pâtes ou le blé dont elles sont constituées...

Ainsi l’acheminement des denrées en vrac dit « vrac sec » via le trafic maritime par conteneur, véritable cœur du processus, a considérablement chuté durant la crise Covid. Mais, plus grave encore, il n’a pas retrouvé son niveau d’avant cette crise, sachant qu’il était déjà en crise structurelle en Mars 2021, et ce depuis plusieurs années.

L’indice Baltic Dry Index, qui mesure précisément l’état de ce paramètre, ne peut mentir : et quoiqu’en disent les menteurs patentés qui font semblant de nous gouverner depuis des décennies, la réalité n’est pas que « la croissance va revenir », qu’elle « reviendra » ou « qu’elle est déjà là » mais bien que le BDY, indicateur parmi les plus pertinents pour mesurer l’état de la sacrosainte croissance mondiale, chute de manière quasi ininterrompue depuis…2008, tiens donc. Avec une nette accélération depuis 2020 : rien que l’étude des données sur la période la plus récente, entre 2017 et 2020, montre une dégringolade historique à peine interrompue par une timide hausse suite au déconfinement, hausse nettement insuffisante pour rattraper plus de dix années de chute.

Plus éloquent encore : cette chute vertigineuse se traduit, dans les faits, par des faillites ultrarapides et « inattendues » de mastodontes tels que Gearbest, qui fut jusqu’en septembre le numéro 2 des chinoiseries de toutes sortes (ils appellent ça « commerce en ligne »), derrière son concurrent le plus connu Alliexpress. Gearbest a déposé le bilan sans préavis le 14 septembre dernier, laissant des dizaines de milliers de clients « désemparés » qui ne reverront jamais la couleur de leur argent, à travers toute la planète.

Signes précurseurs de la chute : en début d’année, certains prix sur le site avaient bondi, accusant des hausses de + de 100%, la faute à, entre autres causes, une hausse des prix du transport maritime hors de contrôle. Le prix d’un transport de conteneur standard passant de 1800 dollars en juillet 2020…à 24 000 dollars aujourd’hui. Sachant que le prix moyen de la totalité de la camelote à l’intérieur du container, n’excèderait pas les 10 000 dollars…on se rend compte de l’inanité de tout ceci : des fabricants, autant que des acheteurs, travaillent aujourd’hui à perte pour écouler les stocks, ni plus ni moins.

Ce qui peut éventuellement en conduire certains à la faillite, mais pas que ; n’oublions pas qu’une des caractéristiques intrinsèques de l’économie capitaliste mondialisée actuelle est toujours la même, depuis presque deux siècles désormais…il s’agit bien d’écouler les stocks, avec la certitude qu’à un moment où un autre surviendra une crise de surproduction, et qu’il faudra y faire face d’une manière ou d’une autre. C'est ce qu'on appelle un cycle, Kondratieff l'ayant très bien thorisé il y a pratiquement un siècle déjà, cette théorie se révélant à chaque nouvelle crise toujours aussi pertinente...

Mais ce léger « problème », qui a toujours été résolu d’une manière ou d’une autre par les capitalistes jamais en manque d'inventivité (hyperinflation, guerres, bankrun, dévaluation, déflation, stagflation etc.) ne devait pas composer, comme c'est le cas aujourd’hui, avec de nouveaux trouble-fêtes, bien caractéristiques, eux, de notre époque si innovante et connectée « all around the world ».

J’ai nommé le dérèglement climatique, associé à une pénurie accélérée des ressources, et gratinée d’une fine et délicieuse couche de Covid19 multiconfinant.

Sur la pénurie de ressources, et pour couper court à toute objection : non la planète n’est pas infinie, contrairement à ce que le cerveau étroit de tout énarque a appris durant ses longues années d’inutiles et couteuses études, et oui, nous y arrivons à grand pas, ici et maintenant, pas en 2030 ou que sais-je.

Regardez ne serait-ce que ce qui se passe sur le prix de certaines denrées déjà cité plus haut, ou même le phénomène actuel en Grande-Bretagne  : les masses, bien plus sensées que ce que les « élites » veulent nous faire croire, le sentent. Et elles se préparent en ce sens, quitte à paniquer et à accélérer le processus.

 

L’heure des comptes a sonné

Une seule info, un seul chiffre : l’Agence Internationale de L’Energie Atomique, vous savez ce dangereux consortium de complotistes, vient de confirmer officiellement « le déclin de la production mondiale de pétrole d’ici à 2025 » dans son dernier rapport de situation. Et le rapport d’ajouter qu’ « il faudrait multiplier par 2 ou 3 les extractions actuelles pour maintenir la demande qui ne cesse de croître ».

Traduction : cela fait déjà des années -en fait depuis 2008, ça ne vous rappelle rien ?-que le pic est survenu, mais plusieurs facteurs liés ou pas, volontaires ou non, en ont retardé les effets concrètement observables sur notre belle société ultraconnectée. Mais maintenant, c’est la fin de la récré. Pour tout le monde, mais « particulièrement pour l’Europe, grande consommatrice et importatrice, avec très peu de réserves et presqu’aucune capacité de production »…

Des facteurs qui auraient retardé l’heure des comptes ? Lesquels ?

Citons le « boom » du pétrole de gaz de schiste aux USA, ou celui des sables bitumineux du Canada -qui nous ont permis tous deux de gagner une dizaine d’années de répit, et qui furent une bénédiction à tous les niveaux pour l’écologie et la planète. Ou pas. Ça, c’est pour les causes « volontaires ». Du côté de l’involontaire, il nous faut tordre ici le cou à une idée largement répandue, et brandie à tout bout de champ par les sceptiques lorsqu’on évoque la réalité du pic pétrolier. « Ouais, mais le prix lui il grimpe pas. Si c’était vrai, le pétrole il deviendrait hors de prix rapidement passque tous on en voudrait et que tous on se transformerait en Mad Max et on irait tous égorger notre voisin –musulman ou pas- pour y piquer le plein du réservoir de sa 2008 ».

J’exagère à peine, mais vous voyez le topo : tout le monde ou presque, pense que la rareté fait le prix, et que le prix, comme disent les économistes, est « en élasticité avec la demande ».

Rien de plus faux : il n’y a pas de rapport d’élasticité entre le prix du pétrole et sa disponibilité.

C'est pas parce que c'est plus rare, que le prix augmente, ou parce qu'il y en a à profusion, que le prix baisse.

Jancovici l’a démontré par A+B depuis des années, et ne cesse depuis d’en parler (dans le désert on dirait).

La preuve : il y a encore de gigantesques réserves de pétrole sous terre, et on en découvre encore tous les jours, et pourtant le prix est très volatil, tantôt à la baisse, souvent à la hausse ces derniers temps.

C’est juste que ces réserves et nouveaux gisements sont situés à des profondeurs où les extraire coûte, aujourd’hui, un baril d’équivalent en énergie pétrole pour en extraire deux. Alors qu’au début de l’exploitation des nappes les plus prolifiques (Texas, Arabie Saoudite, Mer du Nord…), il y a 180 ans (dieu que le temps passe vite), cela coûtait seulement un baril de pétrole pour en extraire l’équivalent de 100, car le pétrole affleurait littéralement à la surface.

Ce qui est d'une logique implacable pour tout bon investisseur qui se respecte : tant que je peux mettre 50 pour en gagner 100, à la limite pourquoi pas, mais quand, comme aujourd’hui par hasard, ça me coûte 100 d’endettement pour extraire 50, là comment dire, c’est plus possible.

Or c’est exactement ce qui est en train de se passer avec le pétrole de schiste en ce moment. Les compagnies pétrolières ayant participé à ce boom météoritique étant toutes endettées jusqu’à la gorge, et en train de déposer le bilan une à une. Elles n'ont d'ailleurs jamais été, à proprement parler, "rentables", au vu des investissements qu'elles ont dû faire.

Incroyable, mais vrai. Tout ce ravage écologique et économique pour gagner quelques années (et quelques degrés) supplémentaires. Le rêve.

C’est pas moi qui le dit, mais Mathieu Auzanneau, un des spécialistes mondiaux de la question, dans son ouvrage phare « Or noir, la grande histoire du pétrole », aux éditions La Découverte, que je vous conseille chaudement (le livre, pas les éditions. Quoique. Et non je n’ai aucune action dans la boîte, je hais les actionnaires de tout mon être). Une somme gigantesque, que tout honnête homme un tant soit peu préoccupé par son avenir et celui de sa famille, autant que par sa culture générale et historique, se devrait de lire de toute urgence. Vous y apprendrez comment le pétrole a façonné nos sociétés modernes, et comment il les façonne encore aujourd’hui, et les façonnera jusqu’à leur chute, qui ne peut être, à la lumière de ce que je viens d’évoquer, qu’à brève voire très brève échéance -dans six mois comme dans, maximum, disons une dizaine d’années.

Cette dernière précision étant bien sûr, purement prédictive et n’engageant que moi.

Mais elle a au moins le mérite de la clarté : il y a longtemps que j’ai arrêté de me voiler la face.

Et toi, cher lecteur ?

 

Âmes sensibles s’abstenir

Alors…après tout ça, que nous reste-t-il ?

Naturellement, il faut commencer à chercher les coupables pardon les responsables comme dirait l’autre, de tout ce merdier.

Mention spéciale, avec félicitations des (futurs) jurés : la classe politique, les fameuses « élites », qui ont réussi depuis des décennies l’exploit d’agrandir à chaque fois un peu plus les barreaux de la cage, tout en prétendant qu’elle n’existe pas.

Des « élites » qui ont réussi à nous faire accepter l’idée que plus de restriction de nos Libertés fondamentales, mais aussi de nos droits les plus élémentaires –vivre décemment de son travail, ne pas se tuer à la tâche, pouvoir se loger, se vêtir, manger à sa faim…ne pas crever sous les coups d’une bande de racailles, ou lors d’un contrôle de police- étaient souhaitables, si cela impliquait de vivre « plus en sécurité ».

Et là est le problème conceptuel : comme si l’insécurité n’était pas la jauge même de nos vies !

Nous sommes mortels, c’est l’évidence même. Qu’est ce qui me fait croire que je ne ferai pas un AVC d’ici ce soir, et ne serai pas en train de me décomposer d’ici quelques heures, juste un peu en avance sur le calendrier initialement prévu ?

Rien.

Nous sommes mortels, faibles, faillibles, et par là-même en insécurité permanente, que nous le voullions ou non.

Nous pouvons juste l'oublier, mais le réel finit toujours par nous rattraper.

Mais même ça, notre société a réussi le tour de force de l’invisibiliser.

Depuis des temps immémoriaux la mort poursuit les Hommes, et, malgré l’aspect foncièrement déplaisant de la chose, cela n’a jamais posé autant de problèmes qu’à notre époque dite « civilisée ».

Je vous invite à rechercher l’expression « photos post-mortem » dans la catégorie "images" de votre moteur de recherche préféré.

« Âmes sensibles s’abstenir », comme le veut, justement, la formule d’usage…

Vous y trouverez tout ce que notre époque dite « ultra moderne » et connectée a décidé d’ignorer depuis des décennies : le réel, sous la forme brute de photos de personnes ayant passé l’arme à gauche depuis peu de temps lors de la prise de vue. Hommes, femmes, viellards, enfants…immortalisé(e)s quelques heures après leur trépas, et mis en scène avec leurs proches, dans des situations de la vie courante.

Vous avez un exemple de ce que cela peut donner avec la photo illustrant ce billet.

Ça fait bizarre, maintenant que je vous l'avoue, hein ?

Ça me l'a fait à moi aussi, la première fois.

Ne vous inquiétez pas : à la longue, on s'y fait.

Et il va bien falloir, hein.

Cette coutume de photos post mortem date principalement du 19ème siècle, lors de l'ère dite "Victorienne", à peine après l’invention de la photographie par Daguerréotype. Une petite révolution à l’époque, pensez : on pouvait immortaliser ses êtres chers autrement que par la peinture, qui était couramment employée au cours des siècles précédents.

Résultat ? Quelque chose qui nous paraît tout droit sorti d’un film d’horreur des plus malsains, avec une frénésie de production, les familles de l’époque se mettant volontiers en scène avec le cadavre de la petite dernière, très souvent bien maquillé, apprêté, mais aussi tenu debout, ou assis, voire les yeux ouverts, grâce à un savant système de câbles, poulies, soutiens… On dirait de charmantes photos de famille, certes anciennes, en noir et blanc ou en sépia, mais délicieusement surannées. Un brin poétiques parfois, ou alors carrément glauques.

Ce qui nous horrifie en fait, c’est juste le fait de réaliser qu’une des personnes photographiées au milieu de tous ces vivants, n’est plus qu’un cadavre, et que sa famille prend la pose à ses côtés le plus naturellement du monde.

Et que celles et ceux qui participent à la mise en scène (parents, frères, sœurs…) au milieu de tout ça, ne semblaient pas le moins du monde gênés par ce petit détail.

Ils faisaient comme si de rien n’était.

Il le fallait bien, pardi : ça s'appelait l'acceptation.

Un mot que nous avons érigé en dogme, mais pour les mauvaises raisons, nous.

Eux, ils acceptaient cette camarde, cette faucheuse qui nous attend tous.

La mort faisait partie de leur vie ; mais nous, aujourd’hui, on ignore ça comme on ignore le reste, tout le reste, tout ce qui nous gêne.

Pire : nous refusons absolument de le voir, alors que cela fait toujours partie de nous.

Il ne s’agit pas de glorifier la mort, ou d’en être fascinés de manière macabre, ne déformons pas les choses, non.

Juste simplement de l’accepter.

En sommes-nous encore capables ? J'en doute...

Pire : des tarés comme Laurent Alexandre chez nous, ou Elon Musk outre-atlantique, allant même jusqu’à souhaiter abolir la mort, via leur délire transhumaniste.

Ce qui représente, avouons-le, le sommet du déni de notre condition humaine. Le sommet de l’idéalisme, qui est en train de se heurter durement à l’épais mur du réel. Un mur en béton armé.

Ainsi, nous sommes allés jusqu’au bout de notre logique mondialiste : nous avons réussi l'exploit de déléguer notre souveraineté jusque sur la mort, notre plus intime destin individuel.

Dans notre société hyper spécialisée, hyper cloisonnée, hyper connectée, nous avons donné le soin à d’autres de s’occuper de ces choses-là.

 

Ames sensibles s’abstenir : à 99.9%, nous sommes devenus des « âmes sensibles ».

Incapables d’abattre notre viande par nous-mêmes, mais incapables de prendre consciemment la décision d’arrêter d’en manger, nous acceptons cette infamie absolue qu’est l’élevage industriel de masse. Nous nous en contentons, non pas que nous en soyons de fervents partisans, -ô non !- car si d’aventure, une association un peu plus aventureuse qu’une autre, en vient à publier des images sur ce qui s’y passe réellement, dans ces usines ou des millions d’être sensibles voire sentients, souffrent et meurent dans la solitude tous les jours, à chaque minute, pour notre bon plaisir…une fois de plus, comme pour le viol collectif dans le métro, nous nous en trouverons choqués.

Avant de faire comme l’orchestre du Titanic, et de passer à autre chose.

Une fois de plus, sans aucunement changer nos habitudes, que ce soit passivement (arrêter la viande), ou activement (s’engager dans une association, un parti, des actions que sais-je, tout sauf de mauvaises excuses, pour interdire l’élevage industriel de masse par exemple).

Ames devenues « sensibles », nous nous abstenons ainsi de tout.

En croyant nous préserver, nous creusons toujours plus profond notre propre tombe.

Nous différons juste l’instant de la chute au fond du trou que nous continuons d'agrandir, jour après jour.

La société, la Nature, les êtres vivants, tout se meurt, et nous nous abstenons. Nous sommes comme ces cadavres mis en scène sur une photographie sépia un peu vieillotte : un peu encore là, mais définitivement ailleurs.

Nous sommes déjà morts.

 

Anomie

Emile Durkheim développa la notion d’anomie pour désigner le dérèglement social, l’absence de règles, la confusion ou la contradiction des règles sociales.

Quelqu’un victime d’anomie va finir par avoir de gros problèmes. Il verra le trouble augmenter en lui jusqu’à sa résolution finale : dépression, burn-out, voire pire suicide.

Mais il feindra de l'ignorer, car ce processus est vicieux : il est invisible directement pour celui qui le subit.

Mais le corps social ? Lui, qui peut aussi être victime de ce mal, va tout d’abord voir régresser la solidarité, l’entraide…pour voir progresser le chacun pour soi. Jusqu’à arriver à l’absence de règles, véritable suicide du corps social qui se traduit alors par le désordre social et le chaos.

Attention toutefois à ne pas confondre cette absence, ce nihilisme, avec l’anarchie : cette dernière est bien une forme d’organisation, qui prône juste l’horizontalité, la communauté, l’absence de hiérarchie mais certainement pas l’absence de règles. Pour les anarchistes, c’est la société actuelle, autoritaire, qui crée toujours plus de plus en plus d’inégalités, ce qui se traduit par de plus en plus de chaos et d’anomie. C’est la coercition de l’Etat qui se renforce jour après jour, année après année : celui-ci sentant de plus en plus le risque que les choses lui échappent, va donc poursuivre sa fuite en avant en conséquence, ajoutant de plus en plus de couches au millefeuille répressif et sécuritaire mis à sa disposition.

 

Avec, fait notable (et comme toujours en pareil cas) : le souhait, voire la bénédiction de la majorité des citoyens, qui préfèrent devenir des carpettes continuellement à plat ventre, du moment que cela leur accorde un peu plus de soi-disant « sécurité ».

Histoire vue et revue des centaines de fois, et non-je-ne-franchirai-pas-ce-point-Godwin-qui-me-tend-les-bras-en-évoquant-l'élection-parfaitement-légale-de-l'excité-à-moustache-en 1933...

Ceci marchera aussi bien sûr pour toutes celles et ceux qui aspirent à prendre le contrôle de cet appareil étatique de plus en plus puissant, renforcé par la technologie et la logique de la surveillance de masse, sans en remettre en cause les principaux fondements idéologiques (le marché ultralibéral) et le caractère foncièrement antidémocratique : candidats à la présidentielle, sauveurs « providentiels » et autres « humanistes » n’ayant que la formule désormais creuse « Liberté, égalité, fraternité » à la bouche.

Ils n’ont qu’un mot à la bouche, et ne s’en cachent même plus : ne regardez pas la lune, bande de singes, regardez plutôt mon doigt.

Il est pas beau, mon doigt ?

 

Saison finale

Faisons donc un petit calcul, vite fait sur un coin de table :

Crise économique + crise politique + crise des approvisionnements + abandon de souveraineté totale des peuples + impréparation psychologique totale de la très grande majorité des peuples + état tout puissant, en voie d’autonomisation + militarisation des forces de « sécurité » + moyens numériques de surveillance et de contrôle total des populations + désignation de boucs-émissaires + fuite en avant autoritaire.

Qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?

Franchement, tout peut se passer en cette heure historique.

Je ne suis pas Madame Irma pour deviner, ou même tenter de faire un quelconque pronostic sur ce qui risque de se passer.

Mais pour la forme, je parierai très prochainement sur un nouveau Krach boursier majeur, suite au dégonflement d’une des très nombreuses bulles en cours de formation, dans une économie complètement déréglée : les cours de la Bourse n’ont jamais été aussi déconnectés de l’économie réelle, et du réel de millions de personnes qui ont désormais largement basculé dans la pauvreté, et c’est d’ailleurs pour cela que ce gouvernement d’idéologues incapables totalement hors-sol ne bouge pas le petit doigt pour eux, et continue dans ses lubies irréalistes -comme par exemple, vouloir détruire l’assurance-chômage, dans un pays où plus de 6 millions de chômeurs officiels ne trouvent plus de travail, car il y a seulement 300 000 vraies offres d’emploi disponibles.

Oui, je dis « vraies », car je ne parle pas des offres d’emploi bidons, à temps partiel sous payé ou en intérim, ne permettant pas de vivre décemment de son salaire sans se retrouver à la rue le 15 du mois. Malgré la propagande éhontée de tous les médias possédés, faut-il le rappeler, par une poignée d’oligarques en France, c’est la triste réalité : l’économie est à l’arrêt, vous pouvez offrir des milliards aux entreprises, si le carnet de commandes ne se remplit pas, les milliards en question partiront dans les paradis fiscaux ou sur les marchés boursiers spéculatifs -ce qui fera s’envoler le prix des matières premières, par exemple….

Comme le dit pudiquement ce journaliste du Figaro, « les marchés les plus financiarisés intéressent les spéculateurs  ».

Je préfère la franchise de quelqu’un dont l’expertise est mondialement reconnue comme Olivier Delamarche, et qui le dit carrément : le gouvernement ayant arrosé les multinationales sans aucune contrepartie, juste en leur demandant gentiment d’embaucher, il fallait bien que les entreprises fassent quelque chose de tout ce pognon -sauf embaucher bien sûr ! Et quoi de mieux que la spéculation pour ça ? Tant pis si ça touche le blé, le prix des pâtes ou que sais-je…c'est y pas ballot ça ?

Quoi qu'il en soit, on ne peut pas constater tout ce que je viens d'évoquer, et rester là, les bras croisés.

Ça n'est juste pas possible.

Alors…en ces heures sombres et décisives, comme le demandait Lénine : que faire ?

 

Perspectives

Une seule chose est sûre : tout, sauf rien.

L’Histoire nous enseigne que seuls ceux qui ne se battent pas ont déjà perdu.

Quoi que vous envisagiez de faire, les pistes ne manquent pas.

On peut par exemple évoquer ce rendez-vous dans la rue, parmi des millions d’autres, le 5 octobre et au-delà.

Peut-être, et sans doute faites-vous partie de celles et ceux qui l'ont déjà fait, bien avant ce 5 octobre, et qui continueront sans doute, après.

Au-delà des clivages, des querelles de clocher, des dissensions, il faut désormais nous rassembler et réaffirmer haut et fort ce que nous ne voulons pas, ce que nous ne voulons plus, mais surtout ce que nous désirons.

Et là dessus : une autre voie est possible.

Clairement, ce moment est Historique, parce que justement, il constitue une croisée des chemins, un moment où des changements majeurs peuvent encore intervenir.

Il est certes très tard, mais il n'est pas encore trop tard.

C'est maintenant que ça se joue.

Bien sûr qu'il y a de quoi être pessimiste, mais si on a une once de courage, on se doit de regarder en face les choses, d'être réaliste (c'est très mal barré) mais aussi d'agir en conséquence pour essayer, malgré tout, de changer les choses. Chacun à son niveau.

Sinon, autant se mettre une balle maintenant, et ne plus en parler, non ?

Alors, contre la macronie et son monde d’après…agir, pour ne pas disparaitre sans avoir combattu.

Retrouvons notre souveraineté, dans l'adversité et jusque dans la mort s'il le faut.

C'est la seule dignité qu'il nous reste.

Et c'est la seule chose qu'ils ne nous enlèveront jamais.


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