Analyse d’une catastrophe sanitaire annoncée, la saga du Dengvaxia, vaccin contre la Dengue

par delepine
jeudi 5 septembre 2019

REGLEMENTS DE COMPTE AUX PHILIPPINES : responsables poursuivis pour « homicide par imprudence pour avoir facilité l’approbation hâtive du dengvaxia et la mise en place de la campagne scolaire de vaccination »

Les familles manifestent pour obtenir justice, accusent Sanofi d’avoir traité les enfants philippins en cobayes, et accusent les politiques et administratifs de corruption.

Depuis, les électeurs ont chassé les politiques responsables de cette catastrophe du pouvoir ; le nouveau gouvernement philippin demande à Sanofi de créer un fonds d’indemnisation pour prendre en charge l’hospitalisation et les traitements de tous les enfants qui pourraient développer une forme sévère de dengue. Le procureur a procédé à des mises en examen, après avoir réuni des charges contre près d’une vingtaine de philippins dont Aquino (ex-président), Janette Garin (ex-ministre de la santé), Butch Abad (ex-ministre du budget), et Paquito Ochoa (ex-secrétaire du gouvernement) et 6 responsables français de Sanofi (qui ont tous quitté les Philippines). Sans oublier 19 autres mis en examen dont Rose Capeding, ex-chef du département de médecine tropicale et Tropical Medicine (RITM) qui encourent une peine de 48 ans de prison pour « homicide par imprudence pour avoir facilité l’approbation hâtive du dengvaxia et la mise en place de la campagne scolaire de vaccination »

On espère que les procès permettront d’établir la responsabilité des uns et des autres et que les peines prononcées dissuaderont les futurs responsables de dérives semblables.

 

  

Analyse d’une catastrophe sanitaire annoncée, la saga du Dengvaxia, vaccin contre la Dengue

 

 

TOUS CONCERNES : autorisation de mise sur le marché du vaccin controversé contre la Dengue, en Union Européenne ! Pourquoi ?

 

 Qu’est-ce que la dengue ?

La dengue ou grippe tropicale[1] est une maladie virale transmise par deux espèces de moustiques de la famille Aedes. Il existe quatre souches répertoriées (DEN-1, DEN-2, DEN-3, DEN-4) du virus qui fait partie de la famille des arbovirus, (comme le zika, le chikungunya, la fièvre du Nil et la fièvre jaune).

La première infection, première rencontre avec le virus, est marquée par un syndrome grippal banal (fièvre, douleurs articulaires, nausées, fatigue) et évolue habituellement favorablement en quelques jours. La guérison confère une immunité solide envers la souche concernée, mais ne protège pas contre les autres souches.

 La seconde attaque de dengue, le plus souvent bénigne, expose parfois à une forme grave, hémorragique qui peut entraîner la mort, d’autant qu’aucun traitement curatif n’est connu.

 

 Expansion de la maladie, à la suite de la mondialisation, donc un marché gigantesque pour big pharma et affiliés

Cette maladie a connu une expansion considérable depuis la mondialisation, du fait de la multiplication des transports internationaux et du réchauffement climatique. L’OMS estime que le nombre annuel de cas est passé de 40000 en 1996 à 3 200 000 en 2015 et que plus de 200 millions de personnes y sont actuellement exposées, représentant un marché prometteur pour un vaccin efficace (il pourrait rapporter plus de 1 milliard d’euros par an).

 

LA SAGA DU DENGVAXIA, presque un roman (noir !)

La saga du dengvaxia commence en septembre 2008 lorsque Sanofi acquiert, pour 332 millions d’euros la société Acambis, propriétaire d’un candidat vaccin utilisant un virus génétiquement modifié, véritable chimère obtenue à partir des virus de la dengue et de la fièvre jaune.

Six mois plus tard, en mai 2009, Sanofi investit 350 millions d’euros pour la construction d’une usine près de Lyon destinée à la fabrication de ce vaccin et commence la production sans attendre les résultats des essais cliniques de phase 2, en cours en Thaïlande, résultats attendus trois ans plus tard.

ALERTE INITIALE IGNOREE

Fréderic Tangy chef de l’unité génomique virale et vaccination à l’Institut Pasteur interrogé par B et C Heketsweiler[2] rappelle que « lorsque Sanofi a lancé les essais cliniques chez l’homme, nous l’avons alerté sur différents risques potentiels, comme celui d’une interférence possible entre les différentes souches de dengue, mais surtout celui d’une réaction immunitaire spécifique qui permet au virus d’entrer encore plus facilement dans les cellules cibles après une première exposition ». 

Mais cette mise en garde a été ignorée.

ESSAIS PHASE 3 MAL CONCUS

En 2011 commencent les essais de phase 3, incluant 30 000 enfants dont 10% sont testés pour savoir s’ils ont été préalablement exposés au virus de la dengue. Seulement 20% des 3000 enfants testés se révèlent ne jamais avoir infectés par un virus de la dengue et c’est donc à peine 600 d’entre eux qui permettront d’évaluer les risques encourus avec la vaccination dans ce groupe.

 Surrisque important chez les plus jeunes avec décès

Les résultats de ces premiers essais cliniques sont médiocres. Seulement 56% d'efficacité à deux ans et un sur-risque important (700%) de formes graves chez les enfants les plus jeunes après l'injection du vaccin. Plusieurs décès sont rapportés sans explications convaincantes. Ces résultats peu favorables motivent la réticence des clients potentiels. Les millions de doses de vaccin déjà fabriquées ne trouvent pas preneurs et certaines ont une date de péremption qui approche.

 

 PROPAGANDE MEDIATIQUE, POLITIQUE ET NON SCIENTIFIQUE

Sanofi mobilise alors tous ses réseaux jusqu’au président de la république F Hollande pour promouvoir son vaccin.

En avril 2014, lors d’un voyage du Président français François Hollande, la décision du Mexique d’accorder une AMM est obtenue. Elle sera officiellement signée en décembre 2015 par le vice-ministre mexicain de la santé, Pablo Kuri Morales, auparavant directeur scientifique de Sanofi dans ce pays de 2009 à 2011.

En novembre 2014, le vice-président de Sanofi, accompagnant le président F Hollande lors du sommet de l’APEC rencontre le président philippin B Aquino, pour lui vanter son vaccin miracle.

MENSONGES ET PROPAGANDE : LE TEMPS DES FAKE NEWS

Début 2015, Sanofi-Pasteur proclame dans tous les médias la mise sur le marché d'un vaccin « révolutionnaire, efficace et sans danger », capable « d’éviter 93% des dengues hémorragiques ».

En mai 2015, la ministre de la santé des Philippines, J Garin, se rend en France pour visiter l'usine du Dengvaxia et elle accepte le prix demandé par Sanofi (17 euros la dose), lors d’un dîner sur les Champs-Elysées avec les dirigeants de l’entreprise.

 RESULTATS INITIAUX MEDIOCRES ET GROS RISQUES CHEZ LES PETITS

En septembre 2015, les résultats des trois premières années de suivi sont rendus publics[3]. Ils confirment que le vaccin n’est pas très efficace et que dans l’essai mené en Asie « les enfants vaccinés avant 5 ans ont un risque d’hospitalisation de dengue sévère 5 fois plus élevé que les enfants non vaccinés ». 

AU LIEU D’UN MORATOIRE, ON FONCE DANS LE MUR

Mais plutôt que d’avertir de ce risque et faire un nouvel essai pour mieux l’expliquer, Sanofi accélère ses efforts pour une commercialisation la plus rapide possible.

En décembre 2015, après une nouvelle rencontre, les dirigeants de Sanofi, le président B. Aquino et J. Garin organisent en urgence une campagne massive de vaccination dont le coût dépasse les 3 milliards de pesos (plus que l'ensemble des sommes allouées à l’ensemble des autres programmes de vaccination aux Philippines, alors que la dengue ne fait pas partie des dix premières causes de mortalité).

L’un des plus fervents apôtres du vaccin est K Hartigan-Go, sous-secrétaire à la santé de 2015 à 2016, mais aussi fondateur de la Zuellig Family Fondation, dont la branche pharmaceutique obtient l’exclusivité de la commercialisation du vaccin aux Philippines. Partout mélange des genres et conflits d’intérêt.

 PROMOTION POLITIQUE DU VACCIN A GRANDE ECHELLE AUX PHILIPPINES

J Garin ministre de la santé s'auto-nomme directrice de l'Agence du Médicament pour décerner l’autorisation immédiate de mise sur le marché pour le Dengvaxia, sans respecter la procédure d'attribution des marchés publics. Puis elle annonce qu’un million d'enfants philippins bénéficieront gratuitement de ce vaccin « miracle » grâce au gouvernement, avant les prochaines élections. Lors de retransmissions télévisuelles, cette vaccination sera souvent accompagnée de distribution aux enfants de tee-shirts jaunes, couleur de son parti[4]. Dans le même temps, une intense campagne de publicité trompeuse et parfois mensongère mobilise tous les médias philippins pour la promotion de ce vaccin.

En avril 2016, l’OMS se joint à la campagne de promotion du Dengvaxia en déclarant[5] la dengue comme « la maladie virale transmise par les moustiques la plus importante du monde  », et affirme « qu’endiguer sa propagation est une priorité » et « conseille la vaccination dans tous les pays à forte endémie de dengue.

Décision très étonnante pour un vaccin peu efficace et mal étudié, et d’autant plus suspecte qu’elle rappelle la déclaration scandaleuse de pandémie à l’origine de la crise de la grippe H1N1 et des liens entre les experts de l’OMS et l’industrie très largement soulignés par British Médical Journal sans qu’aucun effort de transparence n’ait été réalisé depuis lors.

 

 LES CHERCHEURS ONT FAIT LEUR JOB ET AVERTI DANS UN SILENCE ASSOURDISSANT

Déclaration d’autant plus inappropriée qu’à cette date, plusieurs articles de chercheurs d’universités de quatre pays (Portugal, Brésil, Grande Bretagne, USA) mené par S B Halstead[6] avaient alerté sur les risques qu’entraînerait une vaccination contre la dengue. Leurs analyses contestaient les résultats de Sanofi et soulignaient que le vaccin était susceptible d’augmenter le risque de dengue sévère chez les sujets jamais contaminés[7], [8] ,[9]. Ils exhortaient les organisateurs de la campagne de pratiquer des tests de diagnostic avant vaccination et insistaient sur le fait que l’OMS n’aurait pas dû recommander le vaccin sur des résultats publiés par la compagnie pharmaceutique, sans analyser les données brutes.

En plus des publications internationales sur le sujet en 2016, le Dr Halstead avait adressé au comité philippin chargé d’évaluer l’intérêt de la vaccination une vidéo rappelant ces risques[10].

 

LE HAUT CONSEIL DE SANTE PUBLIQUE REFUSE DE RECOMMANDER LE VACCIN 

 PENDANT QUE SANOFI LE FABRIQUE EN FRANCE ET L EXPORTE DANS LE MONDE !

Ces mises en garde ont motivé le refus du Haut Conseil de la Santé Publique de recommander ce vaccin dans les territoires français d’Outremer où sévit la maladie, dans une déclaration datée du 7/10/2016. « Le HCSP n’est pas favorable à l’utilisation anticipée de ce vaccin dans les Territoires français d’Amérique. Certaines comorbidités, essentiellement la drépanocytose, pourraient favoriser la survenue de formes graves de dengue ». 

Pourtant, dès avril 2016, commence aux Philippines une campagne massive de vaccination scolaire touchant en priorité les zones qui rassemblent le plus d'électeurs. Les vaccinations se déroulent dans de nombreux cas sans la présence de médecins et sans que les parents soient prévenus. Elles concerneront au total plus de 830 000 écoliers philippins.

LA CATASTROPHE ANNONCEE ARRIVE

Rapidement des accidents se multiplient touchant particulièrement les plus jeunes vaccinés et en novembre 2017, Sanofi reconnait enfin « un risque accru de dengue sévère pour ceux qui n'ont jamais été exposés au virus ». Le gouvernement suspend enfin la vaccination et les pays qui avaient autorisé la commercialisation du Dengvaxia l’ont retiré, ou restreint son utilisation aux personnes ayant déjà subi une attaque de dengue.

En décembre 2018, des milliers d'enfants philippins ont été hospitalisés, plus de 500 morts ont été déclarées par les parents et, selon le bureau du procureur P Acosta, les vérifications autopsiques ont prouvé que 103 enfants vaccinés étaient morts de dengue hémorragique.

REGLEMENTS DE COMPTE AUX PHILIPPINES : responsables poursuivis pour « homicide par imprudence pour avoir facilité l’approbation hâtive du dengvaxia et la mise en place de la campagne scolaire de vaccination »

Les familles manifestent pour obtenir justice[11], accusent Sanofi d’avoir traité les enfants philippins en cobayes, et accusent les politiques et administratifs de corruption[12].

Depuis, les électeurs ont chassé les politiques responsables de cette catastrophe du pouvoir ; le nouveau gouvernement philippin demande à Sanofi de créer un fonds d’indemnisation pour prendre en charge l’hospitalisation et les traitements de tous les enfants qui pourraient développer une forme sévère de dengue. Le procureur a procédé à des mises en examen, après avoir réuni des charges contre près d’une vingtaine de philippins dont Aquino (ex-président), Janette Garin (ex-ministre de la santé), Butch Abad (ex-ministre du budget), et Paquito Ochoa (ex-secrétaire du gouvernement)[13] et 6 responsables français de Sanofi (qui ont tous quitté les Philippines). Sans oublier 19 autres mis en examen dont Rose Capeding, ex-chef du département de médecine tropicale et Tropical Medicine (RITM) qui encourent une peine de 48 ans de prison pour « homicide par imprudence pour avoir facilité l’approbation hâtive du dengvaxia et la mise en place de la campagne scolaire de vaccination »[14]

On espère que les procès permettront d’établir la responsabilité des uns et des autres et que les peines prononcées dissuaderont les futurs responsables de dérives semblables.

 

CONSEQUENCES REGULIERES DE LA FINANCIARISATION DE LA MEDECINE ET DE LA MAIN DES POLITIQUES POUR FACILITER LES DERIVES

Cette catastrophe annoncée n’est pas un accident. Elle la conséquence de la financiarisation de l’industrie des médicaments et de sa prise de contrôle par des décisions politiques, Elle réunit tous les ingrédients habituels des scandales médicamenteux  : espoir d’un profit financier majeur, méconnaissance du mécanisme de la maladie, forcing pour que ce vaccin arrive le premier sur le marché pour obtenir un retour sur investissement le plus rapide possible, refus d’écouter les donneurs d’alerte, appuis politiques permettant de contourner les mécanismes de sécurité sanitaire, lobbying politiques imprudents (jusqu’au niveau présidentiel !), défaillance des agences de sécurité sanitaires, complicité de l’OMS, conflits d'intérêts locaux, corruption.

 Un beau scénario de film catastrophe !

En tous cas, cette catastrophe mortifère du vaccin contre la dengue rappelle que la sécurité sanitaire des vaccins (comme des autres médicaments) n’est jamais assurée sans des essais honnêtes et un long recul et démentent les affirmations de nos responsables politiques prétendant devant la représentation nationale et les médias que les vaccins sont toujours efficaces, bien étudiés et sans danger. Responsables, pas coupables ? On a déjà donné …

Restons sur nos gardes : l’EMA, agence européenne du médicament a décerné le 12 décembre 2018 une autorisation de mise sur le marché au Dengvaxia valide dans toute l'Union européenne, alors que les pays européens ne sont pas menacés par cette maladie. Cette AMM répond à l’argument des détracteurs philippins qui reprochent à Sanofi d’avoir expérimenté chez eux un vaccin jugé dangereux par nos propres autorités sanitaires. Nos territoires ultra marins sont maintenant à leur tour dans l’œil du cyclone sans qu’un avis de menace sanitaire n’ait été diffusé.

 


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