Apiculteurs, agriculteurs : frères ennemis ?

par alinea
jeudi 5 juillet 2012

Le métier d'apiculteur n'a guère plus de trente ans et il n'aura fallu pas plus de temps pour quasi détruire l'abeille !

L'homme qui, par son exploitation de l'environnement, de ce qui n'est plus nature mais campagne, des animaux, du sol, de l'eau, veut s'octroyer un salaire correct du point de vue des normes modernes, détruit inexorablement la source de son profit.

En effet, à peu près dans les mêmes temps, l'agriculture industrielle, l 'élevage, la pêche ont détruit les écosystèmes.

Cela ressemble à un travail de parasites !

Naguère, les paysans, polyvalents, sans 4X4 ni écran plat ni frigo américain, faisaient "vivre » les espèces ; ils les protégeaient, dessinaient le paysage dont ils étaient garants.

Ils soignaient leurs haies, ils connaissaient leurs sols et jour après jour, ils entretenaient ce qu'on appelle aujourd'hui, biodiversité.

Aujourd'hui, non seulement pour ces gadgets mais encore pour la survie dans un monde urbain de modèle, pour la simple appartenance à un mode d'organisation, ils les tuent.

Mais ne croyez pas qu'ils vivent mieux ni, bien sûr en meilleure santé.

Je connais des parents, secs comme des sarments, qui ont enterré leurs enfants cancéreux et dont les petits-enfants sont gras, bouffis de malbouf.

L'apiculture, après tout le monde, s'est donc mise au pas.

Pour être apiculteur de nos jours, il faut au minimum quatre cents ruches. C'est ce qu'on appelle la S M I, avec toute la poésie dont on est capable.

Pour vivre agréablement, il faut transhumer.

Une ruche sédentaire fait avec ce qu'elle a : dans des régions trop chaudes, ou trop sèches, ou trop froides ou trop humides, elle réussit cahin-caha à survivre.

Mais , pour que l'homme en vivre bien, sinon pour s'enrichir, il faut qu'elle donne plus, et, si possible, chaque année, indépendamment de la météo.

Nous voici donc rendus, après plusieurs évolutions, à un système très pratique : sur une palette, on dispose quatre ruches avec chacune leur entrée aux quatre points cardinaux. ( tant pis pour celle qui est au nord !)

Personne n'a jamais vu des essaims sauvages s'installer quelque part en HLM ! Il doit bien y avoir une raison !

Les ruchers modernes, comme tout ce qui est moderne, n'est pas fait pour l'abeille mais pour faciliter le travail de l'apiculteur : donc, plateforme, plus ou moins naturelle, plus ou moins artificielle, et des ruchers de plus de cent ruches ! Ainsi, battus aux quatre vents, s'ils reçoivent le moindre traitement d'un voisin indifférent, s'ils subissent la moindre épidémie, ce n'est plus une, ce ne sont plus vingt mais cent ruches ou plus qui sont affectées.

L'hiver, on les transporte sur un camion, on les dépose avec un trans palettes dans un pays chaud ( le sud ou un endroit abrité), puisque, en hiver, les abeilles hivernent et, plus il fait chaud dehors, moins elles consomment de miel.

Au printemps, on les transporte sur le colza précoce ( agriculture industrielle), de manière à ce qu'elles butinent pollen et nectar ( quand il y en a !), ce qui « forcera » ( au sens de forçage pour faire profiter !), la reine et intensifiera la ponte. À cette occasion, on divise les ruches pour multiplier les colonies.

Au passage, les abeilles amasseront des kilos et des kilos d'un miel sans goût qui a, en plus, la particularité d'être riche en saccharose donc de cristalliser tout de suite !

Au début de l'été, ou à la fin du printemps, on les transportera pour qu'elles butinent, l'acacia puis le châtaignier.

En été , après avoir fait ces deux premières récoltes, on les transportera sur le sapin ( miellat) ou sur la bruyère callune.

Avec toutes les variantes selon les régions : ailleurs, à la place du châtaignier, on aura la lavande ou le tournesol.

La plupart des miels de qualité et de goût ne se font pas sur les cultures industrielles : le colza ni le tournesol ni le trèfle ni la luzerne ne donne de bons miels ; mais par l'intensité des fleurs sur un petite surface, elles sont éminemment attractives aux dépens de quoique ce soit d'autre alentour pour nos abeilles et plus productives pour notre apiculteur.

A la fin de l'automne, on les ramènera au sud où elles pourront passer l'hiver sans trop de réserves.

Vous avez bien compté : on peut leur faire faire jusqu'à quatre récoltes par an !

Je prends là l'exemple le plus abouti ; certes tous les apiculteurs ne peuvent ou ne veulent pas travailler de la sorte !

Ainsi, voilà nos abeilles, cet insecte merveilleux, symbole d'éloquence, de poésie, d'intelligence, de sagesse, d'immortalité :



« Elle brûle par son dard, elle purifie par le feu et elle nourrit par le miel »,

rendue au statut de vache à miel, ce qu'elle ne peut, n'en doutez pas, supporter.

L'abeille est trop précieuse pour être exploitée selon les normes capitalistes ; asservie, abâtardie, elle meurt.

Dans tout ce que je ne vous rappellerai pas, parce que vous l'avez lu partout ailleurs, on ne remet en cause les apiculteurs.

On exploite les mammifères, on les marie pour les « améliorer », on exploite les hommes mais on ne marie pas impunément une caucasienne avec une petite noire du sud de la France, une italienne et une yougoslave : on ne joue pas avec la quintessence de la nature : car l'abeille EST, et seule l'avidité de l'homme semble pouvoir en venir à bout. Et si vite !

Ne croyez pas que je ne dénonce pas, moi aussi, tous les insecticides, les traitements intempestifs, tous les produits dangereux !

Mais, dans les zones non agricoles, la mortalité des colonies aussi est importante.

Il y a eu l'importation de quelques reines des Philippines, par un inconnu probablement passionné, qui , avec elles, apporta le fameux varroa, ce petit pou dont le rythme et les conditions de reproduction sont parfaitement synchrones à celles de la ruche, qui détruit le couvain et qui,en tant qu'acarien, se fiche sur le dos de l'abeille et finit par la parasiter jusqu'à la mort.

L'image donnée, pour se faire une idée de la proportion, est un rat qui se calerait sur votre dos et sucerait sa nourriture de votre moelle !

Le varroa est arrivé en Europe dans le courant des années quatre vingt et s'est propagé rapidement parce qu'il a pris de court des apiculteurs récemment professionnalisés et tous les petits propriétaires de ruches. S'est mis en place assez vite quand même, un mode de traitement : d'abord un acaricide, ( utilisé jusque là dans l'arboriculture), efficace mais qui a été vite retiré de la vente pour de sombres histoires de concurrence entre les fabricants !

Puis un insecticide devant être donné à très faibles doses ( on s'en doute ! Les abeilles étant des insectes !).

Comme les professionnels n'étaient pas organisés en syndicats ou en corporation, chacun faisait ce qu'il voulait : aucun traitement pour les ignorants qui faisait de l'apiculture un loisir, ou cinq traitements par an, chez certains professionnels « consciencieux » ! Bref ! :

Le varroa a tué des millions de colonies car nos pauvres bêtes n'étaient pas adaptées à ce parasite inconnu.

Le varroa a éradiqué les abeilles d'Allemagne, et partout à l'est de l'Europe ( aux conditions climatiques difficiles) il les a décimées.

Suite au varroa, donc subséquentes à cette importation, des maladies virales, nombreuses et variées, peu détectables donc peu détectées, en ont tué des milliers d'autres ; l'apiculteur, ignorant de ce mal nouveau, ne désinfectait pas ses outils en passant d'une ruche à l'autre, et infestait ainsi, quasi tous ses ruchers.

Les dernières expériences dont j'ai eu l'écho, montraient que des abeilles mouraient sur des champs dont les plantes avaient été protégées des insectes nuisibles, par manipulations génétiques. Pas des O G M, non, non, juste des insecticides partie prenante de la plante.

Aucune trace de produit toxique n'était détectée sur l'abeille.

Alors que d'autres expériences sur d'autres cultures faisaient montre de plusieurs sortes d'insecticides, à doses infimes.

Interrogation des chercheurs : y a-t-il des insecticides qui ne laissent pas de traces ? Et qui tuent ?

En parallèle à cette réalité, depuis une bonne dizaine d'années, les variétés de colza et de tournesol utilisées dans ma région, en tout cas, ne sont plus mellifères, après , aussi, quelques manipulations rentables.

C'est presque surréaliste de voir des hectares entiers de tournesol sans une seule abeille sur les fleurs !

Aussi mon hypothèse est-elle que ces nouvelles variétés commercialisées, et peut-être imposées (?), génétiquement protégées des attaques d'insectes nuisibles, restent néanmoins mellifères.

Ce qui ferait que nos amies, les insectes bénéfiques (!), attirées par cette miellée, se retrouveraient dans l'impossibilité d'en extraire le nectar, étant très sensibles aux poisons de toutes sortes et pour tout dire incapables d'en ingurgiter.

Voyez-vous, je ne peux et je ne veux pas croire que l'homme puisse abuser l'abeille : l'homme est capable de dominer, de soumettre, mais l'abeille ne peut être dominée ni soumise ; elle est hors du contrôle du mental dévoyé de l'humain. Là où les mammifères s'adaptent, je veux dire, survivent, malgré les tortures abominables : l'abeille meurt.

Comme je l'ai expliqué dans mon précédent article sur l'abeille, celle-ci dépense énormément d'énergie pour aller butiner, et revenir ; les premières micro gouttes de nectar de la fleur sont pour elle, pour la nourrir à l'instant ; on imagine sa déception, létale, de ne pouvoir boire ce nectar si attractif.

Aussi, je suppute que ces abeilles, mortes en nombre, sans aucune trace de pesticides, meurent de faim.

Il me paraît donc urgent, d'une part de revenir à une agriculture naturelle, ( variétés mellifères qui restent mellifères !), et à une apiculture d'appoint.

On peut, en attendant, éviter la proximité des plantations de l'agriculture industrielle.

Car, figurez-vous, l'abeille est travailleuse, on l'a vu, mais tout de même, aucune abeille n'irait jusqu'à faire quatre récoltes par an !

Par ailleurs, une coopération avec les agriculteurs bio seraient de bon ton !

Je veux juste, par cet article, faire la part des choses : il n'y a pas un gentil et un méchant !

Il y a des responsabilités et des culpabilités bien partagées.

Les apiculteurs ont été et restent des agriculteurs à part.

Ils n'ont jamais reçu de la P A C, la moindre subvention, si ce n'est la D J A ( dotation aux jeunes agriculteurs), qui leur impose les quatre cents ruches de la SMI, l'achat de matériel neuf et un dossier dont le budget prouve qu'ils retireront un salaire égal, au minimum, à un SM I C.

Tout le monde court vers ces aides. Depuis qu'elles existent, tout le monde a couru vers ces aides.

Et pourtant, en courant si vite, tous se sont aliénés.

Et tous ne se sont pas enrichis, loin s'en faut !

Nos apiculteurs, pour les plus anciens d'entre eux, sont restés libres, assez individualistes, assez méfiants de la manière de faire du concurrent ( un adage : la meilleure manière de faire de l'apiculture ? la mienne. Ce qui n'est pas faux, l'apiculture étant un travail qui demande beaucoup d'intuition) ; néanmoins, l'évolution des anciens et l'arrivée des nouveaux, rompus aux dogmes du néo-libéralisme, apportant : rationalité, efficacité, rentabilité, retours sur investissements(!) ont perverti le métier.

Aussi singuliers qu'ils furent dans le monde paysan, les apiculteurs sont devenus comme les autres : poussés aux investissements, ils sont, par nécessité devenus adeptes de la rentabilité à outrance.

Il nous faut voir, dans cette courte période d'exploitation d'un animal impossible à "améliorer », puisque parfait, le symbole de l'agriculture toute entière ; donc la mort imminente de toute vie si l'on persiste dans cette voie.

Cependant, on peut constater que malgré leur manque d'organisation professionnelle (comparée aux autres secteurs de l'agriculture quasi organisés en lobbies) , leur individualisme - voire leur anarchisme - les apiculteurs ont su se protéger.

Je dénonce tout de même des silences, des points d'ombre par lesquels on laisse « le consommateur » dans l'ignorance.

Il me plaît néanmoins que tout ce qui concerne l'abeille soit en marge des intox médiatiques, que les combats fassent toujours appel au bon sens et à la sauvegarde de notre environnement.

Vous n'avez jamais entendu des apiculteurs manifester pour que des mesures soient prises pour l'accroissement de leurs revenus. À peine ont-ils dû râler à une époque où la concurrence déloyale de l' Uruguay, de la Chine et des pays d'Europe de l'est les empêchait de vendre leur récolte, et à des prix très bas, alors que la France ne produisait pas la moitié de sa consommation.

Cela m'est cher malgré toutes les critiques que je peux formuler, et cela doit être noté car il semble bien que qui que ce soit approche une ruche, y reste par « passion » et à tout le moins se vautre moins que d'autres dans les revendications mercantiles.

Car :

Oui, l'apiculture est un métier de soumission aux éléments, un métier où l'on ne peut rien prévoir, juste envisager. Aussi intégré soit-il aujourd'hui au monde libéral capitaliste, l'apiculteur reste un être proche de la nature.

Dans ce métier, on est prêt à vivre des jours et des jours harassants de coups de bourre, d'imprévus ou au contraire, de repos forcé.

Certes, il y a toute une part de travaux d'atelier : l'extraction, la décantation, la mise en pots, le nettoyage des ruches et du matériel, la récupération de la cire.

L'hiver nous laisse le temps de vendre si on a fait le choix de la vente au détail, de la transformation si on a fait celui de la fabrication de gâteaux, de nougats.

Ou bien de longues vacances..

L'apiculteur travaille avec un animal qui ne se laisse pas dominer ; à peine peut-on le feinter quelques instants, aussi, n'est-il pas enclin à laisser libre cours à ce qui pourrait, en lui, ressembler à une volonté de pouvoir.

Il ne peut soumettre ; il ne peut que s'adapter et même s'il s'organise avec trop de rationalité, il restera proche de la nature ou c'est lui qui en pâtira.

Néanmoins, et pour conclure, j'affirme, d'autant plus fort que cela n'engage que ma conviction, que l'abeille sauvage n'est pas menacée tant que notre écosystème n'est pas mort.

Les apiculteurs ont multiplié de manière faramineuse les colonies ; ce sont ces abeilles, tripotées, forcées, déménagées, victimes de la surpopulation, qui sont en danger.

Et cela est le fruit d'un travail conjugué des apiculteurs, des agriculteurs et de l'industrie chimique.

Et je me plais à penser que les abeilles organisées dans une société si parfaitement communiste, ne peuvent pas s'adapter au capitalisme ultra libéral.


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