Applaudir la police est un signe de déconstruction sociétal

par ddacoudre
mercredi 11 février 2015

Les drames émotionnels font recettes dans nos sociétés, depuis qu’ils sont à la une des journaux. Beaucoup de citoyens fort de leur compassion et de leur empathie ignorent être l’objet d’une instrumentalisation d’opinion, dite publique, qui s’est installée comme mode de gestion des masses populaires grâce aux moyens de communications modernes.

Cela bien entendu n’enlève rien aux émotions manifestées devant tel ou tel événement, mais ils ignorent en toute bonne foi que leurs émotions sont injustes et partiales, parce que justement ce sont les leurs. C’est la différence entre avoir une réaction émotionnelle et émettre une opinion. La réaction émotionnelle n’a pas à se justifier, l’opinion oui, puisqu’il s’agit d’entrer en raison, donc de la construire sur la base de ses acquis.

Ce n’est toute fois pas cela qui devient problématique dans cette instrumentalisation des émottions, car nous sommes là, dans l’expression de toute notre humanité que l’on ne serait reprocher sans iniquité. Pourtant, toute l’existence humaine sociale se fait au travers du contrôle interne de notre système émotionnel afin de sélectionner les comportements que nous jugerons asociaux (s’entend de nature à nuire à autrui) pour pouvoir vivre en communauté. Aussi, chacun ne pouvant attendre de l’autre qu’il soit comme lui, se dessine alors des lignes de partages que fixent la morale acceptée ou imposée par les dominants systémiques tel, la loi du plus fort, les religions, les us et coutumes, les idéologies politiques. Au fil du temps cela construit l’élaboration d’un droit positif que veille à dispenser et faire respecter l’éducation, l’enseignement, sous peine de se trouver confronté aux conséquences des manquements qui s’y attachent.

Il faut donc comprendre que quand la police et la justice interviennent, ce n’est que pour procéder aux conséquences d’un événement asocial qui s’est produit, et ordonner par l’instance judiciaire la punition opportune et la réparation des dommages. L'un et l’autre n’interviennent que lorsque le fait s'est produit et n'en protège donc pas. Croire que leurs visibilités et leurs exemplarités suffiront est une erreur que soulignent des siècles de pratiques policières et judiciaires.

A aucun moment la justice ne peut se substituer au droit défini par l’organisation citoyenne. Or, depuis bientôt les années 1990 les citoyens placent la justice comme valeur suprême et attendent d’elle, qu’elle soit le guide de la société, qu'elle soit juste remplaçant en cela la religion, les idéaux politiques ou la conscience citoyenne. Une police ou une justice qui se substitue à la citoyenneté donne des dictatures.

 Dans l’étude du CEVIPOF de 2013, 66% des français font confiance à la police et 82% dans les hôpitaux, toutes les autres représentations sociales et économiques sont en dessous de la barre de 50%. Nous voyons bien en cela que c’est la peur qui est la représentation dominante dans notre vie. Cela, n’a pas surgi de nulle part et cela affectera nos analyses d’une situation donnée. Ainsi, dans n’importe laquelle de nos analyses ce seront ces facteurs de peurs qui prédomineront, voire les distordront. Alors, les faits analysés ne le seront plus pour eux, mais pour ce qu’ils induiront afin de s’en protéger pour ne pas courir un risque. Nous retrouvons là la marque du fameux principe de précaution qui a servi de support électoral et qui repose sur des comportements innées irréductibles de l’humain, celui de devoir survivre en toute situation.

Personne ne nous dira non à cela, même si immédiatement à côté de cela il prend des risques qu'il juge acceptables, alors qu'ils ne le seront pas forcément pour un autre.

Or, nos sociétés complexes imposent de faire appel à la « raison » sur la base de repères sociaux et scientifiques qui caractérisent le développement « civilisationnel » dans une confiance réciproque.

En conséquence, comme nous l’avons vu lors de la journée du 11 01, indépendamment de l’émotion suscité par le décès des policiers, applaudir la police c’est faire la démonstration de l’échec de cela. C’est faire état de l’échec du contrôle interne sociétal dévolu à l'éducation et à l'instruction. En écrivant cela je ne remets pas en cause la place sociale de la police, dont l’irréductibilité démontre l’imperfection de toute société à se suffire sous peine de ne plus pouvoir évoluer, y compris celles d’essences divines. Et je peux écrire que la présence des forces de polices nous rassure sur la garantie que notre société évoluera de fait, puisqu’ils existent. Sans entrer dans le débat de l’usage qu’il en est fait.

Dans l’affaire Charlie nous avons vu la population applaudir la police. Cela est l’évidence de la confirmation que le contrôle interne que doit effectuer toute société par l’éducation, l’instruction, l’autonomie économique ne fonctionne pas. Cela a commencé il y a 30 ans et en permanence le traitement émotionnel des drames a servi à cacher cela. Des hommes politiques s’en sont même servis sans vergognes pour se faire élire ou redorer leur blason. Nous vivons aujourd’hui les conséquences de cette instrumentalisation émotionnelle tous azimuts où la voix des sociologues fait baisser l’audimat contrairement à celles des polémistes, et où l'homme politique devient un pantin que s’arrachent les médias, qu’eux même sollicitent pour occuper la scène médiatique.

L’autre affaire qui symbolise l’appel à la justice pour répondre à des problèmes sociaux, c’est l’affaire de la mort de Charlotte renversé par un chauffard en 2012, et dont les défenseurs réclament la criminalisation d’infraction routière, avec en surplus la justice qui rend coresponsable le passager qui n’a pas interdit au chauffard de prendre la route. En 1999 j’écrivais ceci sur un sujet semblable : Nous avons fait le choix de la criminalisation ; sous la pression complexe : d’une part des familles de victimes avec de compréhensibles raisons, ensuite des campagnes « médiatiquo-politiquo-socios affectives » « électoralistes » et de l’hypocrisie des citoyens qui eux même préfèrent criminaliser certains d’entre eux, comme si c’était une condition qui allait de soi, Et pour être cruel jusqu’au bout du raisonnement, s’il était envisageable d’interdire l’alcool, des technocrates évalueraient les profits économiques qu’ils rapportent et les emplois qu’ils induisent, face au coup des pertes de vie qu’ils causent. Ainsi l’on ne peut pas sous le coup d’une émotion terrible se laisser aller à qualifier de criminel n’importe lequel de nos comportements…/

Ainsi, au terme du verdict rendu dans l’affaire « Charlotte », aujourd’hui une personne qui laisse un automobiliste conduire un véhicule diésel se rend responsable d’un acte criminel, car les particules qu’émettent ces véhicules provoquent la mort de 3000 personnes d’affections pulmonaires par an.

Il faut comprendre cela, sinon nous devrons tous aller en prison pour crime contre l’humanité, car chacun de nous a, par la consommation de produits technologiques, pollué la planète et des hommes en meurent sans y avoir participé. Une association écologiste à dans ce cadre porté plainte contre X. Si nous ne pouvons pas et devons pas taire nos émotions elles n’en sont pas pour autant une référence de crédibilité quant à la justification qui les suscitent tant elles font l’objet, et feront toujours l’objet d’enjeux.


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