Après l’horreur : faire vivre dans le mouvement ouvrier la tradition anticléricale et laïque !

par CHALOT
lundi 26 janvier 2015

Le récent attentat contre Charlie Hebdo, l’assassinat des plus grands caricaturistes de notre époque et l’odieuse attaque de l’épicerie de la Porte de Vincennes ont suscité une émotion populaire salutaire. Ces immenses défilés ne doivent cependant masquer les débats qui continuent de traverser les organisations du mouvement social.

 La question laïque travaille en effet les syndicats, les partis de gauche et les associations depuis au moins 20 ans. Un malaise règne autour de cette grande revendication qui faisait pourtant l’identité et l’unité de tout le mouvement progressiste français depuis presque deux siècles. Le combat contre la mainmise de l’Eglise catholique, la bataille pour extirper toute influence du religieux sur la sphère publique était une évidence pour ceux qui luttaient pour une transformation progressiste de la société. Les lentes et difficiles batailles pour la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, contre les lois anti laïques de 1959 permettant le financement public des écoles confessionnelles avaient mobilisés des milliers de syndicalistes, de militants associatifs et politiques autour d’un seul mot d’ordre : vive la laïcité ! Depuis les années 1990, le camp laïque a beaucoup reculé, il s’est divisé et les cléricaux font un retour fracassant sur le devant de la scène. La gauche au pouvoir n’a abrogé aucune des lois qu’elle dénonçait jadis dans l’opposition. Les écoles privées continuent de bénéficier de généreux financements publics et le Concordat s’applique toujours en Alsace-Moselle. Le système unifié et public d’enseignement n’a jamais vu le jour et l’enseignement privé est aujourd’hui à l’offensive et prospère sur l’abandon de l’école publique par les gouvernements successifs.

Surfant sur ces reculs politiques et sur une misère sociale qui se développe les religions opèrent un retour inattendu et agressif. Les catholiques traditionnalistes marchent en tête des manifs contre le mariage pour tous tandis que les islamistes radicaux investissent les quartiers populaires où le chômage, la désespérance et la disparition des services publics leur offrent un terrain propice. Face à ces questions nouvelles certains militants ont adopté une ligne que nous refusons : celle des Indigènes de la République. Lancé après le vote de la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école, ce collectif crée par Pierre Tévanian et plusieurs « anti impérialistes », a tout de suite choisi son camp : le combat contre la République et contre la laïcité. Ils n'étaient même pas un millier à manifester à Paris le 8 mai 2005, à l’appel notamment de ces pseudos-révolutionnaires, et du collectif des musulmans de France, proche de l’islamiste Tariq Ramadan. C’était là une insulte aux combattants indépendantistes et progressistes, que d'organiser une manifestation à l'occasion du 60ème anniversaire du massacre colonialiste de Sétif avec dans un même cortège des militants qui « se réclament » des droits de l'homme et les intégristes qui rêvent de pouvoir appliquer la loi islamiste contre la population issue de l'immigration.

 Enfermant les populations des quartiers dans leur origine, essentialisant la question de l’Islam, ces militants font une erreur politique majeure. Focalisant sur la question de « l’islamophobie », ils ferment ouvertement les yeux sur la peur que subissent tous ceux qui, dans ces banlieues, refusent la mise en coupe réglée de leurs rues par des fanatiques. Les femmes sont les premières victimes de ces croisés d’un nouvel ordre moral et religieux et beaucoup de professeurs et d’instituteurs étaient demandeurs d’un texte mettre fin aux guérillas politiques et judiciaires menées par les intégristes.

Après l’attentat de 2011 contre le siège de Charlie Hebdo, ce mouvement devenu le PIR (parti des Indigènes de la République) dénonce la ligne éditoriale anticléricale de Charlie Hebdo. Dans un rapprochement douteux entre religion et origine, ces curieux laïques jugent les caricatures du journal, racistes et « islamophobes ». Le sang des dessinateurs est à peine sec que les Indigènes publient un appel qui ose affirmer : « Charlie Hebdo, en acceptant la visite intéressée de Claude Guéant, qui incrimine avec empressement des "extrémistes musulmans", en l’absence du moindre élément de preuve, participe, comme il l’a déjà fait dans le passé en publiant des articles ou des dessins antimusulmans, à la confusion générale, à la sarkozisation et à la lepénisation des esprits ».

Quelques jours après le massacre des 7 et 8 janvier 2015, ce mouvement publie le site du collectif pub lie le texte « Charlie vu par les Arabes et les Noirs des quartiers », signé par Aya Ramadan. On peut y lire entre autres :

« Tout cela pour dire que non, je ne crois pas en l’humanisme des manifestants du 11 janvier 2015, je crois en fait en leur humanisme sélectif, je crois en leur humanisme blanc, je crois en leur humanisme raciste. » (…) Plus que la France encore, c’est toute la civilisation blanche, coloniale et raciste, accompagnée de ses oncles Tom[5], qui s’est rassemblée pour défendre le droit qu’elle seule peut massacrer, exterminer, génocider. »

Les manifestants sont devenus des humanistes racistes, quant aux assassins, voici un extrait significatif : « A Kouachi et Coulibaly, ce qui a été transmis c’est l’expérience de l’humiliation, la privation des biens matériels, de la culture et de la langue, c’est aussi les non-dits, les viols, les tortures et l’esclavage ; héritage psychique de l’histoire de nos ancêtres. Et l’État français n’a opéré aucune rupture dans son histoire, comme nous le disons au Parti des indigènes de la République : la France a été un État colonial… La France reste un État colonial. »

Ces militants ne veulent pas voir que seule la laïcité est capable de mobiliser le peuple en faisant fi des particularismes religieux et en unifiant les travailleurs sur une base de classe ! Héritières de la tradition antistalinienne, anticapitaliste, laïque et anticléricale les deux branches de la vieille l’Ecole Emancipée condamnent les positions de ces « Indigènes ». Ils ne peuvent se réclamer des Dommanget, Desachy et Valière qui combattaient au quotidien pour la Laïque et la Sociale !

Julien Guérin (Ecole Emancipée 77)

Jean-François Chalot (Emancipation 77)


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