Après la gifle du professeur, la claque du Premier ministre !

par Paul Villach
jeudi 7 février 2008

La claque que vient de prendre le ministre de l’Éducation nationale ! Va-t-il aller se plaindre à son tour de « violence aggravée sur ministre » ? Son patron, le Premier ministre, il est vrai, n’y est pas allé de main morte, mercredi 6 février 2006, et tant pis si son ministre est allé rouler au plancher.


M. François Fillon a osé se mêler de l’affaire de ce professeur du collège de Berlaimont qui défraye la chronique depuis une semaine et a pris une tournure dramatiquement clownesque : une gifle donnée à un élève qui le traite de « connard » a valu au professeur d’être menotté, gardé à vue 24 heures et poursuivi pour « violence aggravée sur mineur ».

Un festival de violations du droit

Sans doute le Premier ministre a-t-il laissé d’abord à son ministre le soin de traiter une affaire relevant des prérogatives de son ministère. Et on a assisté à un festival de violations de la présomption d’innocence tant de la part du rectorat que de la part du ministre lui-même qui ont souligné à l’envi, croyant peut-être aller dans le sens de l’opinion publique, la faute de ce professeur : « On ne peut pas accepter, ont-ils dit l’un et l’autre en substance, qu’un professeur gifle un enfant quelles que soient les circonstances  ». Puis on a appris qu’à l’invitation du ministre, l’élève aurait été puni de 3 jours d’exclusion et que, symétriquement, le professeur déjà « coupable » avant tout jugement, serait reçu par le recteur pour se voir signifier une sanction.

En somme, nul cadrage juridique pour éclairer l’opinion publique. Il aurait pu être rappelé tout de même qu’il existe un droit coutumier de correction reconnu par une jurisprudence centenaire et qu’il appartenait à la justice, puisqu’elle était saisie, d’en apprécier l’exercice légitime ou non par le professeur. Et dans l’attente, le ministre pouvait à tout le moins apprendre à ceux qui l’ignorent, que la loi lui faisait un devoir d’apporter au professeur attaqué à l’occasion de ses fonctions la protection statutaire, sans préjuger de la décision judiciaire.

La main de l’inspecteur général sous la défroque du ministre

Au lieu de ça, quel spectacle affligeant a offert l’Éducation nationale, dans la pure tradition de son mépris atavique de la loi ! On aurait attendu des syndicats qu’on dit puissants dans l’institution, qu’ils rappellent ses devoirs à l’administration. Ils ont préféré dans des déclarations ou pétitions jouer les pleureuses, sans plus de cadrage juridique du problème qui seul importe quand un professeur a à répondre de ses actes en justice.

On n’est pas loin de penser que le pilotage de cette affaire lamentable a quelque chose à voir avec la profession originelle du ministre de l’Éducation nationale. M. Darcos est avant tout un inspecteur général de la maison. Serait-ce qu’ « élevé dans le sérail, (il) en connaisse les détours » et qu’il en ait adopté les funestes usages ? Habitué comme inspecteur à avoir avec un professeur une relation que François Bayrou (1) qualifie de « sommet d’infantilisation  », il n’aurait pu se départir de ce mépris de fonction envers un professeur, tout de suite accusé de faute, avant même qu’aucun jugement ne soit rendu. Quand on ne devient inspecteur que parce que, toujours selon F. Bayrou, on appartient à une « coterie », une « écurie » ou un « réseau idéologique », cela ne dispose ni à l’empathie ni au seul respect du droit. En somme, inspecteur général n’est peut-être pas la fonction préparatoire idéale pour accéder au poste de ministre.

Le ministre désavoué par le Premier ministre

L’irruption du Premier ministre dans le débat est, en tout cas, un désaveu cinglant de la manière dont l’affaire a été gérée par son ministre. Il se souvient d’avoir été lui aussi ministre de l’Éducation nationale. Sans doute convient-il en préambule comme tout le monde, sur RMC Info et BFM TV, « que ce n’est jamais une bonne solution que de gifler un élève ». Mais il n’hésite pas à exprimer son désaccord avec la manière dont le professeur a été traité : « (...) Je soutiens les enseignants qui ont besoin d’un peu de discipline et d’un peu de respect pour faire fonctionner les classes », a-t-il déclaré.

Surtout la garde à vue ne lui passe pas le gosier, et il n’y va pas par quatre chemins : « Franchement, en tant que citoyen, déclare-t-il, en tant que parent d’élève, ça me choque. » Quant à la sanction prise contre l’élève insulteur de trois jours d’exclusion avec retrait de dix points de son "permis de conduite", il ne mâche pas ses mots : « C’est une faute qui d’ailleurs mériterait, me semble-t-il, une sanction plus sérieuse que celle qui a été prise ». Et un retour de claques pour le ministre !

On ne fera pas grief au Premier ministre d’avoir attendu peut-être d’en savoir plus sur la manière dont l’opinion jugeait la gestion de l’affaire. C’était, de toute façon, au ministre Darcos d’agir en premier, à défaut du recteur ou du chef d’établissement dépassés, semble-t-il par l’événement. La sinistre pantalonnade, à laquelle il s’est livré, a dû permettre à M. François Fillon de voir qu’il marchait sur la tête et qu’une large part de l’opinion le pensait.
Il lui sera reproché sans doute de ne pas respecter la sacro-sainte séparation des pouvoirs, dont on sait qu’elle n’existe que dans les livres. Comment rester de marbre quand on menotte un professeur pour gifle et qu’on le garde à vue 24 heures ? La police judiciaire n’aurait-elle pas d’autres voyous à se mettre sous la main ? Est-elle en chômage technique ? On ne peut qu’être soulagé que le Premier ministre ait décidé de réindiquer le Nord à ceux qui avaient perdu la boussole, dans l’Éducation nationale, la gendarmerie, la police, voire au parquet du procureur, au risque de laisser l’empreinte de sa main sur la joue de son ministre. Paul Villach

(1) Francois Bayrou, La Décennie des malappris, Flammarion, 1993, cité dans mon article d’hier "Rémunérer les profs au mérite ? Oh oui ! Mais comment juger du mérite ?"


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