Armes : le retour des mines antipersonnel
par Desmaretz Gérard
jeudi 10 avril 2025
Les ministres de la Défense de : l'Estonie, Lettonie, Lituanie et la Pologne ont annoncé le 18 mars 2025 leur intention de se retirer de la Convention d'Ottawa : « Nous estimons que, dans l'environnement de sécurité actuel, il est primordial d'offrir à nos forces de défense la souplesse et la liberté de choix nécessaires à l'utilisation éventuelle de nouveaux systèmes d'armes et de nouvelles solutions pour renforcer la défense ». La Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel ou Traité d'Ottawa a été signé par 164 pays depuis 1997. Les pays signataires se sont engagés à ne plus produire d'armes antipersonnel, à ne pas procéder à leur transfert, à détruire les mines en leur possession dans un délai de 4 ans, à la dépollution des zones contaminées dans un délai de dix ans éventuellement renouvelable. Près de 70 pays en conservent pour la formation des sapeurs et une trentaine de pays ont demandé à pouvoir bénéficier d'un délai. Une douzaine de pays continuerait cependant à en produire... La Chine, la Corée, les États-Unis et la Russie n'ont pas signé le traité d'Ottawa entré en vigueur en 1998.
Pour la Première ministre lettone : « Cette décision permettra à nos forces armées nationales de disposer de capacités supplémentaires. (...) la Lettonie a également envisagé la possibilité d'en produire, car cela correspond à notre stratégie industrielle militaire adoptée aujourd'hui ». Le ministre Letton de la Défense : « Nous devons avoir la possibilité de renforcer nos capacités de défense en matière de sécurité ». Pour Dovilė Šakalienė, ministre lituanienne de la Défense, « Nous ne serons ni le premier, ni le dernier pays à quitter la Convention ». La Finlande qui partage 1340 km de frontière avec la Russie envisage de s'en retirer. Pas un mot sur le Traité d’Oslo (2008) qui impose aux 123 pays signataires l'interdiction de production, transfert et stockage des armes à sous – munitions, la destruction des stocks dans un délai de huit ans, et la dépollution des zones contaminées dans un délai de dix ans.
Les premières mines terrestres contemporaines (les fougasses sont des fourneaux inclinés remplis de pierraille) apparaissent dans les années vingt en Libye avec l'occupation italienne. Lors de la Seconde Guerre mondiale, les Allemands, les Italiens et les Britanniques vont y avoir recours pour : renforcer une position défensive - compenser le manque d'effectifs - canaliser les attaques. La région Tripolitaine plate et désertique n'offre aucun abri, les mines vont se substituer aux d'obstacles naturels absents. Dix-huit millions de mines enfouies sous le sable du plateau d’El Alamein par les : Allemands, Britanniques et les Italiens en 1942 tuent encore. La milice « Wagner » (2019) y a posé les modèles : POM-2, MON-50, OZM-72 et PMN-2 une surface de 720 km2.
Les mines antipersonnel (contre le personnel) utilisées contre les troupes à pieds ou aéroportées, voire les civils pour les priver de leurs ressources, sont composées d'un corps (métallique, bois, verre, carton bouilli, plastic, bakélite, terre-cuite, ciment, chambre à air) - d'une faible quantité d'explosif - d'un détonateur qui entraine l'explosion de la charge - d'un allumeur (mise à feu par une pression ou traction de quelques kilos) - un système d'armement (sécurité) - voire des « shrapnels ». La densité de mines AP varie de 2 à 8 par mètre de front, les MiAP peuvent être placées pour retarder le relevage de mines antichars (densité 2 MiAP pour une MiAC). Les MiAP sont utilisées également pour renforcer : chicanes, fossés, dents de dragon, herses, trébuchets, obstacles naturels ou artificiels, lignes électrifiées (Morice, Challe).
Les MiAP terrestres sont généralement de faibles dimensions avec une charge ne dépassant que rarement quelques centaines de grammes d'explosif, de forme ronde, cylindrique, parallélépipédique, etc., de couleur verte, brune, grise, sable pour se fondre sur le sol ou y être enfouie. La mine à effet de souffle (rayon d'un à deux mètres) déchiquète le membre inférieur de qui pose le pied dessus, ou le bras de l'artificier. Son but est de blesser pour mobiliser une partie des troupes et pour son impact psychologique. La mine à fragmentation s'apparente à une grenade quadrillée avec projection de plusieurs centaines de fragments, billes métalliques ou plastiques (invisibles à la radiographie) d'environ 5 mm de diamètre à plus de 1000 m/s (Tetryl, PETN, RDX) et dans un cône de rayon de quelques dizaines de mètres. La mine « bondissante » est projetée à environ un 1,5 mètre de hauteur par une charge de dépotage avant d'exploser et de disperser des éclats dans un rayon d'une cinquantaine de mètres. La MiAP directionnelle à fragmentation projette plusieurs centaines de billes dans une direction donnée, et selon un angle d'une soixantaine de degrés (protection du bivouac et/ou retarder des poursuivants. Sa mise à feu est assurée généralement par un fil ; distance létale une centaine de mètres. Cette MiAP peut être disposée sous la branche d'un arbre et agir verticalement... Les mines sont armées au moment de leur pose, généralement par le retrait d'une goupille de sécurité sur l'allumeur.
Pour relever des mines enfouies il faut d'abord les localiser et les plans de pose ont souvent disparu ou les unités n'en ont pas établi, les pancartes ont été déplacées volontairement ou non, les indices (piquets, caisses, etc.) supprimés. Les détecteurs magnétiques ne sont pas la panacée, une mine peut n'avoir qu'une pièce métallique (le percuteur par exemple), le sol peut receler des débris ferreux ou non ferreux capables de leurrer les détecteurs pour retarder le travail. L'utilisation d'un drone embarquant un magnétomètre et un logiciel de suivi de terrain volant au raz du sol permet d'établir la cartographie magnétique du terrain avec localisation GPS.
Les sapeurs travaillent à partir d'une ligne reconnue et explore une bande de terrain mètre par mètre. Un sapeur progresse déroulant une tresse tandis que son collègue se tient à une trentaine de mètres ; ils se relaient toutes les 30 minutes. A noter l'existence de semelles pneumatiques à cellules communicantes qui repartissent le poids du démineur sur une surface d'environ 0,245 m2 (principe des raquettes), rarement utilisées dans le déminage humanitaire... Une mine localisée, il faut l'identifier (forme, couleur, taille, apparence), type d'allumage, pays utilisateur, évaluer les dégâts potentiels et renseigner (forensique). Il existe près de 800 modèles de mines !
La neutralisation partielle d'une mine consiste à insérer une pièce remplaçant la goupille de sécurité ôtée, et la neutralisation totale à en ôter l'allumeur. Procédure extrêmement risquée sur une MiAP ! On préfère les « pétarder » ou d'ouvrir une brèche en détonant des charges allongées de bengalore. En cas de doute, le sapeur s'agenouille et enfonce une sonde amagnétique dans le sol tous les dix centimètres carrés sous un angle d'une quarantaine de degrés. La partie est encore loin d'être gagnée. Des sapeurs vicieux posent jusqu'à trois couches de mines l'une au-dessus de l'autre !
Certaines entreprises de déminage disposent de radars de sol, caméras thermiques, d'appareils pour mesurer la résistivité du sol et de robots, mais le meilleur allié reste le chien pour déceler les vapeurs d'explosifs. Le chien tenu au bout d'une longe décrit des « huit », aussitôt que son odorat détecte une odeur d'explosif, il se couche à une dizaine de centimètres, le nez pointé vers la source. Son conducteur (maitre) marque le point pour céder la place au démineur. Des programmes de recherches ont été lancés pour remplacer le chien, la fatigue faisant courir le risque de passer à côté d'une mine. En Colombie on a dressé des rats pour détecter les MiAP. Le rat à un odorat aussi sensible que le chien et il peut s'introduire dans des endroits difficilement explorables sans déclencher l'explosion. Des chercheurs du département de la Défense du centre de recherche de Los-Alamos (Nouveau-Mexique) ont « entrainé » des abeilles à sortir leur trompe en présence de vapeurs explosives (réflexe de Pavlov). Il leur a suffi de deux heures de mise en condition pour qu'elles soient capables de réagir à la présence de : dynamite, C4, TATP pendant deux jours !
Les mines peuvent être dispersées par des projectiles tirés par des mortiers, des lance-mines montés sur véhicules, d'avions ou d'hélicoptères. Une petite charge « éventre » le projectile en vol libérant les mines antipersonnel qui s''arment pendant leur descente. La roquette Uragan 9M27K3 de 220 mm, par exemple, disperse 312 MiAP « papillon » (PFM-1S) contenant 37 grammes d'explosif liquide. Si ces MiAP sont pourvues d'un système d'autodestruction passé un délai d'une quarantaine d'heures, celui-ci est souvent « défaillant » et la mine reste dangereuse pendant des années ! Très légère, elle est déplacée par la pluie, le vent, et on peut en découvrir loin des points de largage même dans les fleuves et sur les berges. Pour remettre les installations vitales en service, permettre aux populations de rentrer chez elles et aux paysans de cultiver leurs champs rapidement, le déminage peut mettre en œuvre des véhicules blindés équipés d'un dispositif qui retourne, tasse ou bat le sol. L'opération doit être renouvelée et les passages se croiser afin de ne laisser aucune partie du sol inexploré.
La Russie et l'Ukraine, pays non signataires de la convention d’Oslo, emploient des MiAP et des bombes à sous – munitions. La Russie utilise des mines à fragmentation (MOB, : MON-50, MON-100, OZM-72, POM-2/POM-2R et POM-3 et des mines à effet de souffle PMN-4 (rapport de l’Observatoire des Mines). L'Ukraine, qui a ratifié le Traité d'Ottawa reste aujourd'hui le pays le plus miné au monde, elle avait conservé 3,3 millions de MiAP, et a reçu à partir de juillet 2023 des bombes à sous – munitions américaines. Les Etats-Unis se sont engagés au mois de novembre 2024 à fournir à l'Ukraine des mines antipersonnel non-persistantes pour renforcer ses défenses. « Les nouvelles mines « avancées » que l'armée américaine pourra désormais utiliser sont supposées s'autodétruire si elles ne sont pas activées après un certain délai, ou pourront être détruites à distance ».
Il convient d'établir un distinguo entre une puissance tierce qui place des mines dans un pays qui n'est pas le sien et les y abandonne, d'un pays qui en utilise sur son territoire dans un but défensif. Se priver de mines pour défendre ou limiter l'infiltration de son territoire revient à combattre les mains liées. Selon l'Association ukrainienne de déminage humanitaire, le déminage de 156 000 kil/m2 potentiellement dangereux pourrait prendre une trentaine d'années. « Un jour de guerre équivaut à 30 jours de déminage ». La Banque mondiale estime le coût total de l'enlèvement des engins explosifs à environ 34 milliards d'euros et à plus de 10 000 démineurs pour mener à bien ce travail ! Une correction, une précision, une remarque ?
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