Arnaud Beltrame, la foi et la République

par Sylvain Rakotoarison
mardi 27 mars 2018

« Le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces. » (Jean Jaurès, Albi le 30 juillet 1903).



Je reviens sur l’attentat du 23 mars 2018 à Trèbes et sur l’émotion de la mort du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame qui a donné sa vie pour sauver celle des autres, pris en otages dans la supérette par le terroriste islamiste. Dès l’annonce de sa mort tôt le samedi matin, une onde de choc et d’émotion a envahi le pays et même au-delà (par exemple, comment ne pas "apprécier" la réaction de Donald Trump avec son tweet : « La France honore un grand héros. » ?).

Arnaud Beltrame recevra ce mercredi 28 mars 2018 à 11 heures 30 un hommage national dans la cour d’honneur des Invalides en présence du Président de la République Emmanuel Macron, pour honorer son acte de bravoure et de sacrifice qu’on pourrait appeler "amour". Emmanuel Macron avait déjà déclaré le 24 mars 2018 : « [Il] est mort au service de la Nation, à laquelle il avait déjà tant apporté. En donnant sa vie pour mettre un terme à l’équipée meurtrière d’un terroriste djihadiste, il est tombé en héros. ».

Le sentiment de fierté se mêle presque au sentiment de tristesse. Fierté qu’un représentant de la République, pas un élu mais un protecteur de la République, un représentant de l’autorité républicaine, un représentant de l’État de droit, celui pour qui l’essentiel est de permettre à chaque citoyen de vivre tranquillement, sans trouble, ait commis un acte dont on ne répétera jamais assez l’intensité du courage. Donner sa vie. Et insistons-le : il n’a pas fait "que" son travail. Il est allé bien au-delà.

La réaction de la quasi-unanimité, c’est cette reconnaissance de ce courage, cet hommage à un homme quasiment surhumain. À de très rares exceptions près, et je me demande d’ailleurs, à ce sujet, si c’est très productif de faire la publicité de ces aigris anti-maréchaussée qui n’ont aucun sens des valeurs, celle de la vie, celle du courage, celle de la bravoure, celle du don de soi et qui ne font finalement qu’exprimer leurs aigreurs bien assis dans leur fauteuil derrière un écran (mais pas anonymement, rappelons-le toujours, le numérique n’est jamais anonyme).

Ces hommages quasi-unanimes sont justice pour Arnaud Beltrame et j’espère que la Nation ne cessera de le remercier, de l’honorer, qu’il soit un exemple sinon un modèle, que les jeunes puissent s’identifier à lui, qu’il donne une autre tournure des valeurs qui parfois s’effilochent au fil du consumérisme et de la communication par zapping qui polluent notre société humaine.

Quant aux médias, ils font leur travail. On peut s’en agacer mais pas le leur reprocher. Ainsi, la vie du gendarme est disséquée, étalée dans le but de la valoriser, les membres de sa famille se sont exprimés, les voisins, les collègues, les camarades de promotion, les amis… Je préfère mille fois qu’on parle d’Arnaud Beltrame à ce qu’on ressasse encore sur l’héritage de Johnny Hallyday. Il ne s’agit pas de les opposer mais simplement de mesurer l’importance du temps d’antennes pour les valeurs à mettre en avant.

Certains journaux, comme "Le Figaro", "La Croix" ou l’hebdomadaire "La Vie" ont mis en avant la foi catholique d’Arnaud Beltrame. Faut-il en parler et faut-il la mettre en avant ? Avec le risque de placer le débat public dans une perspective de croisade chrétienne contre les Sarrasins ? Je crois que oui, malgré ce risque. Je crois qu’il faut même insister, non sur la foi catholique en général, mais sur la foi personnelle d’Arnaud Beltrame.

Pas de croisade, en effet. Le gendarme avait mené une mission aux côtés de soldats irakiens musulmans en 2005, il n’y a donc pas lieu de placer la réflexion dans une fausse guerre de religions.

Pas de croisade non plus aujourd’hui. Lors de la messe des Rameaux en l’église Saint-Étienne de Trèbes, le 25 mars 2018, célébrée par l’évêque de Carcassonne et de Narbonne, Mgr Alain Planet, les musulmans et les chrétiens se sont retrouvés dans une unité multiconfessionnelle pour dénoncer les assassinats gratuits du terroriste islamiste. L’imam de la mosquée du Viguier de Carcassonne, Mohamed Belmihoub, est venu soutenir ainsi les victimes : « On ne trouve pas les mots, on est bouleversés. On fait partie de cette nation, c’est la France multicolore, multiconfession. Il faut que tout le monde se mette ça dans la tête. On est condamnés à vivre ensemble et à combattre ces brebis égarées. ». L’évêque a commenté : « Votre présence nous dit que les fauteurs de haine ne gagneront pas. ». Impossible d’imaginer l’esprit des croisades avec de tels échanges.

La foi du gendarme était importante dans sa vie. C’est pourquoi il me paraît important d’en parler. La laïcité, c’est de permettre à chacun de croire ou de ne pas croire, ce n’est pas de cacher sinon censurer la foi d’un héros. Mgr Alain Planet l’a déclaré dans son homélie du 25 mars 2018 : « Je sais aujourd’hui, par les témoignages nombreux que j’ai reçus, que le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame joignait à son dévouement de soldat la foi d’un chrétien. ».

On a ainsi évoqué la venue d’un prêtre à son chevet à l’hôpital avant de mourir (mais peut-être était-il déjà mort ?). Rappelons d’ailleurs que "l’extrême-onction" n’est pas un sacrement pour celui qui va mourir, mais un sacrement pour donner au malade la force de surmonter la maladie et d’éviter de mourir, mais ici n’est pas le lieu pour ce genre de nuance. Déjà marié civilement, le gendarme devait se marier religieusement le 9 juin 2018. On imagine l’extrême tristesse de son épouse, de sa famille, de ceux qui se projetaient déjà dans cette fête encore lointaine qui n’aura jamais lieu.

Dans "Ce que je crois" (1978), l’ancienne ministre François Giroud a écrit : « La foi est une espérance tragique. ». Je suis bien incapable de connaître la nature exacte de la foi d’Arnaud Beltrame. Les témoignages nombreux laissent entendre qu’il aurait été en réflexion philosophique pendant de longues années. Qu’il se serait converti au catholicisme il y a onze ans (il était officier de gendarmerie depuis longtemps), qu’il aurait aussi été franc-maçon pendant quelques temps. Que jeune, il se serait posé déjà beaucoup de questions philosophiques et qu’il aurait fait partager ses réflexions à des proches. Que cet acte extrême du sacrifice, il l’avait imaginé depuis longtemps, il l’avait "mûri" depuis longtemps.

Bien sûr qu’il y a risque de "récupération". Surtout dans cette période d’émotion intense. Récupération politique, récupération religieuse. Mais il y a aussi de la reconnaissance partagée par tous. Arnaud Beltrame appartient désormais au peuple français en entier parce qu’il a fait don de sa vie pour le sauver, en quelques sortes. C’est d’ailleurs une drôle de coïncidence que cela corresponde à la veille du début de la Semaine Sainte pour les chrétiens qui les fait revivre la douloureuse Passion du Christ puis sa résurrection à Pâques (le dimanche 1er avril 2018).



Avec beaucoup de pertinence, le magazine "La Vie" a mis en parallèle, dès le 23 mars 2018, l’acte héroïque exceptionnel d’Arnaud Beltrame et le sacrifice du père Maximilien Kolbe (1894-1941). Kolbe était un prêtre franciscain polonais qui a été arrêté par la Gestapo le 17 février 1941 et envoyé au camp d’extermination d’Auschwitz le 28 mai 1941 parce qu’il avait refusé de renier sa foi face aux nazis.



Le 31 juillet 1941, après l’évasion d’un prisonnier, les nazis ont choisi dix hommes pour les faire mourir de faim, isolés dans un bunker, comme ils le faisaient à chaque évasion. Kolbe proposa aux nazis d’échanger sa vie contre celle d’une des personnes choisies, qui était père de famille. Les nazis ont accepté. Le père de famille a vécu jusqu’en 1995 (et ses enfants sont tous morts d’un bombardement en 1945). Quant au père Kolbe, il a survécu à ses neuf autres camarades d’infortune au bout de deux semaines et fut achevé par l’injection d’un produit létal par les nazis le 14 août 1941 puis incinéré dans un four crématoire le lendemain. Il fut béatifié par Paul VI le 17 octobre 1971 et canonisé par Jean-Paul II le 10 octobre 1982, ces deux cérémonies en présence même du père de famille infiniment reconnaissant (qui avait été arrêté par les nazis parce qu’il avait aidé des résistants juifs polonais).

La journaliste de "La Vie", Alexia Vidot, après avoir cité saint Paul : « Pour un homme de bien, oui, peut-être osera-t-on mourir ? » (Romains 5, 7), a poursuivi avec cette question : « Mais pour un inconnu ? (…) Ce commandement de l’amour rédempteur, qui est désintéressé, gratuit, parfait, Maximilien Kolbe l’a vécu sang pour sang. ». Et de citer ensuite Jean-Paul II : « Cette mort affrontée spontanément, par amour pour l’homme, ne constitue-t-elle pas un accomplissement particulier des paroles du Christ ? » (10 octobre 1982).

Dans "Amoralités familières" (éd. Grasset), le chroniqueur Maurice Chapelan a rappelé en 1964 une caractéristique de la foi : « La foi ne se prouve pas, elle s’éprouve. Les croyants n’ont pas besoin de preuves, mais d’épreuves. ».

Pourtant, cet acte sacrificiel est déconseillé voire interdit par les autorités de l’État. Car face à un terroriste sans valeurs, sans respect de la vie, sans honneur, le risque évident du sacrifice est de rajouter des victimes aux victimes.

Ce qu’il s’est passé à Trèbes le 23 mars 2018, ce n’était donc évidemment pas un affrontement entre une religion et la République, encore moins un combat entre l’islam et le christianisme, mais entre un fanatisme, sans foi ni loi, sans religion ni nation, et des valeurs qui unissent la foi chrétienne (mais pas seulement) et la République, et plus généralement, qui rassemblent la communauté nationale dans ce qu’elle a de plus cher, la vie.

Arnaud Beltrame pourrait le cas échéant être béatifié voire canonisé par l’Église, il pourrait être panthéonisé par la République, personne, aucune chapelle ne pourrait de toute façon récupérer son geste personnel, intimement personnel, parce qu’il appartient déjà à l’histoire nationale.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 mars 2018)
http://www.rakotoarison.eu


(Première photographie provenant de Wikipédia, datée du 16 février 2018).

Précisions :
Les autres victimes de l'attentat terroriste du 23 mars 2018 à Carcassonne et à Trèbes sont Jean Mazières (66 ans), retraité, qui était le passager de la voiture volée par le terroriste, Christian Medvès (50 ans), chef boucher au Super U de Trèbes, et Hervé Sosna (65 ans), retraité, un client du Super U.


Pour aller plus loin :
Arnaud Beltrame, la foi et la République.
Que faire des djihadistes français en Syrie ?
L’attentat du Super U de Trèbes le 23 mars 2018.
Les attentats de Barcelone et de Cambrils (17 et 18 août 2017).
Daech : toujours la guerre.
Les attentats du 11 septembre 2001.
L’attentat de Manchester du 22 mai 2017.
L’attentat de Berlin du 19 décembre 2016.
L’unité nationale.
L'assassinat du père Jacques Hamel.
Vous avez dit amalgame ?
L'attentat de Nice du 14 juillet 2016.
L'attentat d'Orlando du 12 juin 2016.
L'assassinat de Christina Grimmie.
Les valeurs républicaines.
Les assassinats de Merah (mars 2012).
Les attentats contre "Charlie-Hebdo" (janvier 2015).
Les attentats de Paris du 13 novembre 2015.
Les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016.
Daech.
La vie humaine.
La laïcité.
Le patriotisme.


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