Assassinat de Nasrallah : la jubilation barbare en Israël est une nouvelle déchéance morale

par Alain Marshal
lundi 30 septembre 2024

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C'est encore vers un journal israélien qu'il faut se tourner pour trouver de l'indignation face aux centaines de morts probables causées par les frappes israéliennes, qui ont rasé tout un quartier résidentiel de la banlieue de Beyrouth pour « éliminer » Hassan Nasrallah. Cet assassinat politique, doublé d'un acte de terrorisme de masse, est largement passé sous silence en Occident, où les vies arabes ne comptent pas.

Par Gideon Levy

Ha'aretz, 29 septembre 2024

Traduction Alain Marshal

Un journaliste de Channel 13 News a distribué des chocolats aux passants dans la ville de Carmiel, samedi matin, en direct à la télévision. Ce journaliste des médias de masse, apparemment ignorant de la nature même de son travail, a offert des chocolats à des gens épuisés, qui n'ont aucun souvenir d'un autre Israël. Jamais auparavant des chocolats n'avaient été offerts en direct pour célébrer un assassinat ciblé. Jamais encore nous n'étions tombés aussi bas.

Un autre journaliste, bien plus important et populaire, Ben Caspit, symbole de l'imposture du prétendu « centre modéré », a écrit sur X : « [Le chef du Hezbollah, Hassan] Nasrallah a été écrasé dans son antre, mourant comme un lézard… une fin appropriée. » Comme s'il avait lui-même détruit le bunker.

Ce patriotisme barbare s'est exprimé samedi, et Israël s'en est réjoui. Les nazis appelaient les Juifs des rats, et maintenant Nasrallah est comparé à un lézard. Qui pourrait s'y opposer ? Les fascistes les plus extrémistes étaient encore cachés dans leurs synagogues, attendant l'apparition des trois étoiles du crépuscule pour entamer leurs blasphèmes et se réjouir de manière perverse. Entre-temps, le respectable et éclairé Ben Caspit et ses épigones avaient déjà admirablement fait le boulot.

« Shehehianu vekiamanu », écrivait l’un d’entre eux, en référence à une prière de gratitude – un sentiment partagé par beaucoup. L'ampleur des pertes causées par les 80 bombes américaines n'est pas encore connue, mais cela n’aura aucun impact en Israël : 100 ou 1 000 civils innocents, même la mort de dizaines de milliers d’enfants, ne changeront rien à l’état d’esprit israélien. Pourquoi pas une petite bombe atomique ? Après tout, nous avons tué Hitler.

Nul besoin d'être un rabat-joie invétéré pour se questionner sur cette joie et ses raisons. La situation d'Israël est-elle vraiment meilleure ce dimanche matin qu’elle ne l’était vendredi matin ? Certes, l’humeur de la majorité des Israéliens s’est améliorée après une année morose ; nous avons recommencé à vénérer l’armée (tout le monde) et à idolâtrer le Premier ministre Benjamin Netanyahou (pas tout le monde), mais qu’est-ce qui a véritablement changé ? Hassan Nasrallah était voué à mourir car il était un ennemi acharné d’Israël (et du Liban [cette parenthèse exprime la doxa pro-israélienne, ignorant que le Hezbollah est l'une des principales forces politiques au Liban et jouit d'un très grand soutien populaire, NdT]). Pourtant, son assassinat ne sauvera pas Israël.

En cette première semaine sans Nasrallah, il serait sage de prendre un moment pour regarder autour de nous. La Cisjordanie est sur le point d'exploser ; Israël est piégé dans une bande de Gaza en ruines, sans perspective de sortie, tout comme les otages. Moody’s a dégradé l’économie à son plus bas niveau ; le massacre de masse qui a débuté à Gaza est en train de se déplacer vers le Liban. Un demi-million de personnes ont été déplacées de leurs foyers, en plus des deux millions d’autres dans la bande de Gaza qui errent désespérément, sans ressources. Mais bon, nous avons tué Hitler.

Il vaut mieux ne pas même mentionner la position internationale d'Israël ; il suffisait de regarder l’Assemblée générale des Nations unies lors du discours de Netanyahou vendredi. La situation sécuritaire est également plus fragile qu'il n'y paraît. Attendez la guerre régionale qui pourrait encore éclater ; vendredi, nous avons fait de grands pas dans cette direction. Pendant ce temps, le pays vit dans la terreur. Les dizaines de milliers de personnes déplacées de leurs foyers dans le nord n’ont pas avancé d’un pas vers un éventuel retour, mais Israël jubile de la chute de son ennemi.

Au cours de l'année écoulée, Israël n'a parlé qu'une seule langue : celle de la guerre et de la force débridée. Il est révoltant de penser que des millions de personnes ont tout perdu à cause de cela. Alors que les bombardiers israéliens pilonnaient la banlieue sud de Beyrouth sous les applaudissements en Israël, des millions de personnes à Gaza, en Cisjordanie et au Liban pleuraient amèrement leurs morts, leurs blessés, leurs biens détruits et les derniers fragments de leur dignité [au contraire, les Palestiniens et les Libanais, indéracinables, ont plus de dignité que bien des peuples, NdT]. Il ne leur reste plus rien.

C'est la réalité qu'Israël promet. Que Nasrallah soit mort ou vivant, un jour, le volcan finira par entrer en éruption. Dépendant des États-Unis, complices serviles du massacre de Gaza et de la guerre au Liban — qui n'ont rien fait pour les empêcher, mis à part les vœux pieux du président Joe Biden et du secrétaire d'État Antony Blinken, impuissants face à Netanyahou — Israël pense pouvoir continuer ainsi indéfiniment. Il ne voit pas d'autre option.

Cela serait impossible sans le soutien de Washington. Mais les Etats-Unis ne pourront pas maintenir cette position éternellement, d'autant plus que leurs tendances isolationnistes prennent de l'ampleur. Que se passera-t-il alors ? Félicitations pour avoir tué Nasrallah, mazel tov, mais son successeur attend déjà dans les coulisses et, si l'on se fie à l'expérience passée, il sera encore plus dangereux. Et Israël ? Il finira par le tuer aussi, et distribuera encore du chocolat aux passants.

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