Pendant longtemps, donc, les gens n’en ont rien su, des essais ratés et des villes secrètes : le nucléaire, dès sa naissance a été marqué du sceau du secret. Hiroshima et Nagasaki ont été préparés dans la plus grande discrétion : c’était la guerre, et c’était nécessaire (de mettre à l’abri des regards, pas les bombardements). Mais très vite, c’est devenu une culture de la dissimulation que la course aux armements qui débute entre les deux blocs rivaux capitalistes et communistes va augmenter dans de notables proportions. Les lieux où l’on produit les bombes, les endroits où on les essaie, etc, tout échappe à la vue du citoyen. Et le nucléaire civil, qui sert souvent d’alibi au premier va faire de même. Le public sera peu ou mal informé autour des centrales, le problème des déchets jamais réellement évoqué... résultat, ce même public, mené par le bout du nez par les autorités se résignera à accepter tout ce qu’on lui propose. Jusqu’au jour où des activistes écologistes se décideront à faire un film grand public, qui deviendra célèbre quelques jours après sa sortie, en raison d’un événement comme on en redoutait : un accident qui aurait très bien pu être le premier Tchernobyl, apparu le 28 mars 1979 aux Etats-Unis. Ce film est l’événement fondateur d’une prise de conscience mondiale de la dérive autocratique liée à l’utilisation de l’énergie nucléaire.
L’histoire de Three Mile Island va marquer durablement les esprits, car elle se situe au même moment qu’une prise de conscience générale aux Etats-Unis (et en France !), lors de la sortie d’un film retentissant intitulé le "
China Syndrome", de James Bridges, avec Jane Fonda, Michael Douglas et l’inusable Jack Lemmon. Or à peine deux semaines après sa sortie apparaissait l’incident majeur survenu à une centrale nucléaire américaine ; le timing, pour les opposants au nucléaire était parfait ! Le film était en réalité basé sur un tout autre incident, survenu en 1996 et raconté par John G.Fuller, intitulé
"We Almost Lost Detroit", devenue depuis superbe chanson signée
Gill-Scott Heron (*). L’hymne antinucléaire par définition. L’indispensable
Scott-Heron !
Ce n’était donc pas la centrale de Three Mile Island donc, l’objet de l’ouvrage de John G.Fuller, mais celle de
l’Enrico Fermi Nuclear Generating Station, sur les bords du lac Erié, près de Monroe, à mi-chemin pile entre Detroit (Michigan) et Toledo (Ohio). A l’époque, à cet endroit, il n’y avait qu’un réacteur, construit en 1963. C’est celui-là qui est au centre du livre. Le 5 octobre 1996, le réacteur allait connaître
une terrible panne. L’appareil fonctionne alors au sodium, dont on ne maîtrise pas encore totalement le comportement, loin de là. Un mauvais fonctionnement du système de refroidissement de sodium provoquera une fusion partielle du réacteur à neutrons rapides. Selon les résultats de l’enquête, c’est un simple fragment de zirconium qui obstruant un filtre dans le système de refroidissement au sodium qui était la cause de l’emballement extrêmement grave du réacteur. Mais ça, on en a aucune idée au moment où ça se produit. Après l’accident de
Chalk River, dans l’Ontario, au Canada, en 1952, c’est un des plus graves accidents nucléaires survenus aux Etats-Unis, avant Three Mile Island. Ce jour là, on atteint le type même d’incident le plus grave, une partie du cœur ayant fondu, mais par chance était resté confiné dans son socle d’acier et de béton. Tchernobyl aurait pu se passer au
Canada dès 1952 ! A noter que parmi l’équipe de nettoyage envoyée, on trouvera un... marin, nommé Jimmy Carter, futur président américain... un second incident affectera Chalk River en 1958, un incendie.
"Le livre décrit les difficultés présentées par la monumentale erreur de calcul à utiliser du sodium fondu au sein de l’enceinte. Cela rendait l’examen de l’intérieur de l’enceinte extrêmement difficile, et des outils spécialisés et l’improvisé ont donc été nécessaires. Il a fallu huit mois pour réussir à percer un trou dans la paroi de l’enveloppe du cœur, mettre au point des procédures pour insérer l’appareil photo improvisé et prendre des photos de l’intérieur du centre de la centrale. Au final, les techniciens ont été étonnés de trouver une plaque de zirconium dont ils ignoraient l’existence qui avait bloqué le système de refroidissement". Le site verra néanmoins sa seconde tranche démarrer en 1988, malgré la fermeture de la première... et sa tentative avortée de redémarrage en 1970... la centrale ne dépassera jamais 200 mégawatts. "Exploitée à ce rythme extrêmement réduit, Fermi 1 a été en service pendant moins de 2 ans quand quelqu’un avec un cerveau a fini par refuser le renouvellement de son permis d’exploitation" note-t-on avec humour. On aura mis quatre années pour prendre une décision qui s’énonçait déjà le soir même de l’accident !
L’idée de l’emploi du sodium comme refroidisseur avait son défenseur acharné : l’admiral Rickover, considéré comme le père des sous-marins nucléaires US, plus intéressé par les médias que par la recherche fondamentale. Surnommé le "terrible petit amiral", Rickover voulait imposer le nucléaire partout : "le culte de la personnalité produira d’autres effets indésirables. Ayant connu un succès éclatant avec la système d’eau sous pression du liquide de refroidissement dans l’installation du Nautilus, l’innovation dans d’autres types d’installations a été étouffée. L’installation de l’USS Seawolf, développée en tandem avec le Nautilus, utilisait comme fluide caloporteur du sodium liquide, qui promettait de pouvoir faire des réacteurs beaucoup plus petits et plus compacts. En raison de limitations dans la métallurgie, le système a échoué. Le programme a été mis au rebut, et ses supériorités évidentes n’ont jamais été réexaminées à nouveau, même après vingt ans de de nouveaux progrès dans la technologie nucléaire. Rickover dû effectuer la mise à mort des programmes générés au sein du Bureau du Naval Research et ailleurs au sujet des plus réacteurs plus petits, plus légers qui auraient pu réduire la taille énorme et le coût des navires à propulsion nucléaire. Aucun n’a vu la lumière du jour, tous ont été perçus comme une interférence dans son travail."
L’amiral Rickover, qui restera 63 années dans l’active (un record inégalé !), sera le pilier de la doctrine du tout nucléaire, s’appuyant sur des centrales civiles. Dans le N°220 de MP de septembre 1964, il prônait la construction d’un "réacteur perpétuel"... le premier surgénérateur, au sodium toujours, qui s’avérera être une voie de garage abandonnée depuis. Le sodium, au contact de l’air ou de l’eau s’enflamme spontanément, et on ne sait arrêter un feu de sodium de quelques centaines de kilo. Or, dans un surgénérateur, il en a des centaines de tonnes.
Le film basé sur le livre sortait le 16 mars 1979 aux Etats-Unis. Coïncidence inattendue, à peine douze jours après une autre centrale nucléaire américaine connaissait
un accident majeur. Cette fois, pas de sodium pourtant mais du bien classique avec de l’eau pressurisée : cette eau, qui, justement, va emballer tout le système. Le film démarrait par la chanson des Doobie Brothers, "
What a Fool Believes", écrite par Michael McDonald, et les spectateurs se demandèrent en effet ce qu’on leur a fait croire avec la prétendue sécurité des centrales atomiques. L’accident de Three Mile Island, c’est en réalité la conjonction d’un problème technique (une baisse dramatique du niveau de circuit de refroidissement) avec une suite ininterrompue d’erreurs humaines et d’autres problèmes techniques en cascade, survenus en raison d’un laxisme évident sur les procédures d’entretien et de sécurité de la centrale. Une suite d’imprévus en tous genres qui aurait pu aller loin, à savoir jusqu’à la fonte complète de la centrale et l’irradiation de toute la population alentour. Comme le dira LeMonde le 1er avril "
l’accident de Pennsylvanie a pris au dépourvu les techniciens comme les autorités" : aucun plan d’évacuation de la population n’existait, par exemple. Ce qui est un comble dans une zone aussi dense d’habitation !
Le résultat fut encore une fois la fusion d’une bonne partie cœur du réacteur, et les rejets à l’extérieur importants : touchant une forte densité de population autour. On pense que 13 millions de curies de gaz radioactifs se sont échappés, mais moins de 20 curies d’iode radioactive seulement ce jour-là. Le président Jimmy Carter vint sur place quatre jours plus tard, les pieds enrobés dans des bottes jaunes, pour se faire surtout entendre les doléances des employés, qui avaient alerté à plusieurs reprises sur les procédures inadéquates et sur les défauts de conception de ce type de réacteur : dehors, une foule d’opposants l’accueillirent, qui se précipitèrent tous dans les salles pour voir le Syndrome Chinois (selon la légende qu’un cœur de centrale qui divergerait en fondant traverserait la terre et se retrouverait en Chine). La prise de conscience sur les dangers du nucléaire fera alors un bond gigantesque dans les esprits. Et Three Misle Island en deviendra le symbole évident.
Les autorités feront tout pour minimiser l’excursion nucléaire et les rejets dans l’air, malgré les symptômes apparus chez beaucoup de résidents au bord de la centrale. Des activistes en témoigneront, tel le 24 février 1997 le professeur Steven Wing, du
Environmental Health Perspectives, le journal du
National Institute of Environmental Health Sciences :
"plusieurs centaines de personnes au moment de l’accident ont signalé des nausées, des vomissements, une perte de cheveux et des éruptions cutanées, et un certain nombre ont déclaré que leurs animaux de compagnie étaient morts ou ont présenté des symptômes d’exposition au rayonnement. Nous avons pensé que, si c’était possible, nous devons chercher à [Les données] de nouveau. Après avoir noté les cancers avant l’accident, nous avons constaté une augmentation frappante dans les cancers situés sous le vent de la centrale de Three Mile Island ... Je serais le premier à dire que notre étude ne prouve pas par elle-même qu’il y a eu de hauts niveaux d’exposition aux rayonnements, mais que cela fait partie d’un faisceau d’indices qui est conforme à des expositions élevées." Aucune étude, avant 1997, n’avait été menée...
Comme pour ce qui précédait, on va dans un premier temps sinon mentir, encore au moins tenter des diversions pour ne pas mettre en cause la construction elle-même. On va faire surtout dans le grotesque cette fois, en titrant même dans la presse :
"HARRISBURG : C’ÉTAIT LA FAUTE A L’OBÉSITÉ" ."Le vendredi 18 mai, le San Francisco Chronicle, l’un des plus importants quotidiens de la ville, publiait les premières conclusions de la NRC concernant l’accident survenu le 28 mars dernier à la centrale nucléaire de Three Mile Island, près de Harrisburg. Conclusions étonnantes qui prouvent qu’une catastrophe peut être déclenchée par les causes les plus inattendues. Selon les paroles mêmes d’un expert de la Commission de Régulation Nucléaire américaine, les erreurs humaines qui se sont produites en chaine à la centrale de Pennsylvanie, sont dues enpartie à l’obésité d’un des opérateurs. En effet, explique l’ingénieur de la NRC, un opérateur particulièrement imposant, a laissé son proéminent abdomen recouvrir les cadrans où s’affichaient des mesures importantes. Incapable de lire des données qu’il ne voyait pas, il n’a pas pu savoir que deux valves cruciales étaient fermées alors qu’elles auraient dû être ouvertes." Résultat : dans le secteur, quelques mois après, on trouvait des
veaux à deux têtes...
Non, vous ne rêvez pas, c’est bien comme ça qu’on va essayer de vendre dans le public ce qui aurait pu devenir l’une des des grandes catastrophes du siècle ! il fallait t oser ! Le grotesque, on va même en rajouter une couche en affirmant que "dès que l’on ordonna aux opérateurs de se protéger grâce à des masques, ils furent incapables de communiquer entre eux. Lorsque l’ordre fut donné d’évacuer le bâtiment du réacteur, presque personne n’obéit et ceux qui partirent laissèrent les portes ouvertes. Puis au beau milieu de la crise, alors que le combustible commençait à manquer d’eau, les opérateurs n’ont pas mis en fonctionnement les pompes qui auraient permis le refroidissement, de peur que des vibrations ne les endommagent. C’est également à un moment crucial de l’accident que l’ordinateur se mit à imprimer n’importe quoi durant 90 minutes. Enfin, pour couronner le tout, le responsable régional de la NRC était, au moment de l’accident, bloqué dans un embouteillage monstre et incapable de répondre au bip-bip gui le harcelait". A part l’obésité et le coup des masques, les faits étaient vrais : mais on chargeait à mort les employés pour ne pas avoir à remettre en cause la centrale en elle-même, c’était évident !
Ce n’est que 31 juillet 1982, plus de trois ans après, que l’on pu pour la première fois introduire une caméra dans le cœur de l’ouvrage pour constater les dégâts réels. Et se rendre compte, comme le dit dans le reportage le responsable technique, Robert Long, "
que le cœur avait disparu" ...
"meltdown", presque complètement fondu. En décembre 1984, on
fit sauter ses tours de réfrigération de la centrale la plus décriée aux USA. Ultime catharsis ? Monroe en 1966, Three Mile Island en 1979.... et
Tchernobyl le 26 avril 1986... à quand la
prochaine catastrophe ?
Gill Scott Heron (*), le précurseur, ici dans son
titre phare.
It stands out on a highway
like a Creature from another time.
It inspires the babies’ questions,
"What’s that ?"
For their mothers as they ride.
But no one stopped to think about the babies
or how they would survive,
and we almost lost Detroit
this time.
How would we ever get over
loosing our minds ?
Just thirty miles from Detroit
stands a giant power station.
It ticks each night as the city sleeps
seconds from annihalation.
But no one stopped to think about the people
or how they would survive,
and we almost lost Detroit
this time.
How would we ever get over
over loosing our minds ?
The sherrif of Monroe county had,
sure enough disasters on his mind,
and what would karen Silkwood say
if she was still alive ?
That when it comes to people’s safety
money wins out every time.
and we almost lost Detroit
this time, this time.
How would we ever get over
over loosing our minds ?
You see, we almost lost Detroit
that time.
Almost lost Detroit
that time.
And how would we ever get over...
Cause odds are,
we gonna loose somewhere, one time.
Odds are
we gonna loose somewhere sometime.
And how would we ever get over
loosing our minds ?
And how would we ever get over
loosing our minds ?
Didn’t they, didn’t they decide ?
Almost lost Detroit
that time.
Damn near totally destroyed,
one time.
Didn’t all of the world know ?
Say didn’t you know ?
Didn’t all of the world know ?
Say didn’t you know ?
We almost lost detroit...
Texte écrit en écoutant le triple album "No Nukes", un des meilleurs albums "Live" jamais réalisé. enregistré en Septembre 1979 à l’initiative de Jackson Browne et son groupe de musiciens engagés, le "Musicians United for Safe Energy", ou MUSE. On y retrouvait
Doobie Brothers,
Bonnie Raitt,
Jackson Browne, David Crosby, Stephen Stills et Graham Nash, Bruce Springsteen etc et... Gil Scott-Heron. No Nukes aura été une très bonne prise de conscience : en 2007, on le rappellera fort
justement, lors de l’anniversaire du concert, avec les mêmes artistes et
de nouveaux dont Keb’Mo et Ben Harper.... pour entonner le très beau "
For What It’s Worth" de Buffalo Springfield... Depui
s, John Hall, présent à No Nukes a été élu au Congrès US... et fait
entendre régulièrement sa voix. En chantan
t, toujours. Du Pete Seeger, bientôt... quatre vingt dix ans !
Les 6 films You Tube de "Meltdown", le très bon reportage sur Three Mile Island sont ici :