Atterrissages au clair de lune

par Impat
mercredi 24 octobre 2018

La Résistance en action aérienne

Le Group Captain Hugh Verity se souvenait encore, vers la fin du 20e siècle :

… « Mon aventure la plus dangereuse fut en 42 un retour de France à Tangmere dans un brouillard épais…J’avais demandé que deux projecteurs fassent des flaques de lumière sur la surface du brouillard à plus de 250 mètres au-dessus du sol. Je me plaçai entre ces deux flaques, fit un tour de piste précis. Après dix tours infructueux, au onzième essai je descendis, contrôlant vitesse, taux de descente et direction, et me posai en catastrophe bien au centre de l’aérodrome, le train cassé, l’hélice tordue, la queue formant un angle de 45°. Monsieur le préfet Jean Moulin, qui avait fait le voyage aller et retour, descendit péniblement et avec courtoisie me remercia pour « un vol très agréable »…

Entre 1942 et 1944, environ trois cent vols traversèrent ainsi la Manche dans les deux sens pour des missions de transfert des différents chefs de la Résistance, de transport de matériels et d’armes destinés aux réseaux, de conduite en Angleterre d’agents « brûlés », de retour d’aviateurs fugitifs sauvés par les filières d’évasion après que les personnes ayant assisté à leur chute les aient hébergés, parfois pendant des semaines. Les missions les plus « éminentes » concernaient les allers et retours des chefs de réseaux français venant informer et consulter le Général de Gaulle.

Deux types de machines étaient utilisés, monomoteurs Westland Lysanders (photo en tête de l’article) et plus rarement bimoteurs Lockheed Hudson.

Les terrains étaient choisis par la Résistance, qui organisait pour chaque mission un « Comité de Réception » composé du chef de terrain, de quelques résistants locaux, de vélos et autres moyens de transport discrets, remorques, charrettes à bras, permettant l’arrivée du matériel. Au dernier moment, avion à portée d’ouïe puis de vue sous la lune, on balisait la « piste » avec des lampes torches.

C’était, avec ses quelques cadrans faiblement éclairés, les seules lumières dont bénéficiait le pilote pendant tout le vol. Dès le décollage, tous feux extérieurs du bord éteints, la mer puis le sol disparaissaient dans la nuit. En France, aucune lumière de ville, aucun phare d’automobile : « Verboten, Défense Passive ». Aucune maison n’était autorisée à laisser une fenêtre éclairée, et les rares voitures civiles ou allemandes en circulation, équipées de phares obligatoirement occultés, ne laissaient passer qu’un mince faisceau lumineux sur un plan horizontal de faible épaisseur.

Restait au pilote pour naviguer, le cap et sa tenue précise, la montre, et l’information de vent donnée au départ par une météo très incertaine. Restait aussi, élément essentiel qui imposait le choix des dates, le clair de lune. On pouvait ainsi voir arriver la côte, en identifier plus ou moins le contour et donc la position, puis surveiller et identifier les reflets de lune sur les rivières. Mais…que de rivières en France ! Et pas question de tourner en rond deux minutes pour lever un doute : le moteur ne pouvait passer inaperçu (inentendu…) des garnisons allemandes. Donc le cap, la montre, et la chance. L’objectif, il fallait parvenir à l’identifier dans les dernières minutes grâce au contour de la rivière la plus proche. C’est pourquoi les terrains étaient choisis le plus souvent à proximité des rivières. Et pas trop près des collines, redoutables obstacles noirs…

En approche finale imaginez le soulagement du pilote quand après ses deux ou trois heures de vol seul dans la nuit avec la lune pour compagne il pouvait apercevoir enfin les lampes torches des résistants s’allumer une à une et marquer l’entrée de ce qui lui servirait de piste.

Yeux écarquillés, droit devant, quelques rayons lumineux sur l’herbe, arrondi, atterrissage, roulage, 90° au palonnier et arrêt, moteur tournant. Maintenant chacun doit aller vite, il faut repartir dans les deux minutes, trois maximum. Les passagers descendent, le « Comité de Réception » arrive en courant, sort les colis, embarque les passagers du retour. Toute l’opération devait se dérouler très rapidement, et pourtant, raconte un pilote, « les Français qui auraient dû sans délai sauter sur la petite échelle de l’avion prolongeaient leurs traditionnelles poignées de main. Les chefs de terrain avaient toujours un instant pour monter sur le train d’atterrissage avec un petit paquet pour le pilote, parfum, cognac peut-être, et le pilote avait pour son camarade du café et des cigarettes. »

Puis on rallumait les lampes torches, l’avion reprenait l’axe et disparaissait dans la nuit de France. Le vol de retour, guère plus facile, devait à coup sûr se montrer plus décontracté, ne serait-ce que par le plaisir de la mission presque accomplie.

Sur plus de 300 missions de Lysander, une centaine échoua. Le plus souvent en raison des conditions météo non prévues : brouillard, nuages bas recouvrant les terrains de destination, pluies givrantes, aires d’atterrissage détrempées ou boueuses. Très peu d’échecs furent dus à l’ennemi ou aux erreurs de navigation.

Les opérations étaient montées et organisées à partir de janvier 42 par le SOAM (Service des Opérations Aériennes et Maritimes) puis le COPA (Centre des opérations de Parachutage et d’Atterrissage). Ultérieurement, après l’unification par Jean Moulin des différents mouvements de la Résistance en juillet 43, c’est la SAP (Section Atterrissage Parachutage) qui est responsable. La SAP proposait les terrains d’opération à Londres, qui les homologuait ou les refusait. Chaque terrain était doté de « messages personnels » annonçant à la radio de Londres le déclenchement d’une mission.

Une cinquantaine de terrains fut ainsi choisi sur le territoire français. Voici, parmi bien d’autres, les noms de quelques uns des passagers les plus renommés : Jean Moulin, Général Delestraint, Christian Pineau, Pierre Brossolette, Général de Bénouville, Vincent Auriol, Jacques Chaban-Delmas, François Mitterrand, Lucie et Raymond Aubrac…

Jacques Maillet, Ingénieur Sup Aéro, qui fut Représentant du GPRF (Gouvernement Provisoire de la République Française) pour toute la zone Sud, écrivait plus de cinquante ans après la guerre : « Il était essentiel que les responsables des transmissions radio, du renseignement, que les officiers chargés d’encadrer l’Armée Secrète, puissent accomplir des missions à Londres. Lors des combats de la Libération, l’excellente coopération des Forces Françaises de l’Intérieur avec les armées du débarquement dut beaucoup à ces liaisons. »

 Extraits cités à partir des souvenirs publiés par l’Amicale des Réseaux Action de la France Combattante en 1998 à l’occasion d’une commémoration des « Opérations Lysander » sur le terrain de Bletterans (Ain).


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