Au coeur des universités américaines

par La diagonale
lundi 14 juillet 2008

Les universités américaines sont largement idéalisées outre-atlantique. En réalité, certaines dérives ont rendu cette expérience universitaire moins agréable, moins intéressante et beaucoup plus coûteuse qu’auparavant.

L’année dernière, alors que j’étais en première année d’école de commerce, j’avais lu « I, Charlotte Simons », où l’héroïne de ce livre haletant est une provinciale débarquant dans une des meilleures universités américaines. A l’époque, ce livre m’avait marqué, comme beaucoup de mes amis, par sa ressemblance avec ce que nous vivions dans nos campus respectifs français, tout en étant frappé par la richesse et taille de ces universités. Nos écoles faisaient, dans nos esprits, pâle figure. Beaucoup de mes amis, d’ailleurs, ont demandé à partir en échange sur un campus américain. Pourtant, à l’occasion d’un voyage personnel où j’eu l’occasion de visiter plusieurs amis américains, élèves de ces écoles réputées, j’ai vu que ces écoles possédaient de nombreux défauts : entre une grande école française et une de ces universités haut de gamme, l’éducation française me parait plus adapté aux besoins des élèves et de la société, en préparant mieux les jeunes pour leur avenir.

Je suis retourné en France faire mes études supérieures après huit ans vécus aux Etats-Unis. Quatre ans après l’avoir quitté j’y suis retourné pour trois semaines en mai. Alors que le pays a beaucoup changé, j’ai été frappé en particulier par le climat au sein des universités, largement idéalisées outre-atlantique. En réalité, certaines dérives ont rendu l’expérience universitaire moins agréable, moins intéressante et beaucoup plus coûteuse qu’auparavant dans ce pays.

J’ai eu l’occasion de visiter NYU, Columbia, McGill et UPenn, ainsi que de parler à mes amis de ce qu’ils avaient tiré de leurs années là-bas (pour ceux qui avaient terminé leurs quatre années) et de voir sur place ceux qui étaient toujours en scolarité. Quatre de mes amis sont allés à Wharton, l’école de commerce la mieux notée aux Etats-Unis. Etudiant à HEC, j’ai pu faire la comparaison rapidement entre les deux systèmes.

En école de commerce, nous avons souvent l’occasion de râler à cause de nos professeurs. Beaucoup sont issus de la société civile et sont seulement professeurs pour quelques heures par semaine. Ils manquent donc de pédagogie et cernent mal notre niveau, en se contentant de mettre un peu de forme à des cours qu’ils extraient de livres. Il en résulte des cours peu intéressants, peu interactifs et mal adaptés au niveau des élèves, à part pour les quelques anecdotes de leur travail qu’ils nous content. La situation à UPenn, pourtant réputée au niveau mondial, est encore pire. Nombreux sont les professeurs qui, dès leur première heure de cours, annoncent qu’ils n’ont aucune envie d’enseigner ! En effet, la grande majorité des postes à l’université sont mal payés. Pour accéder à une situation plus rémunérée, il faut obtenir une tenure. Or celle-ci est obtenue après avoir publié un certain nombre d’articles dans des revues très spécialisées. Les professeurs sont donc soumis à un important stress et quantité de travail pour être publié dans des revues presque inconnues sur des sujets quasi-ésotériques. La qualité de leur cours donnés à leurs élèves n’entre jamais dans leur rémunération ni dans l’obtention de la tenure. Les élèves les plus doués du pays, ayant survécu à un parcours du combattant pour atterrir dans cette université, déboursant 40.000 dollars par an de frais de scolarité pour une éducation qu’on leur a vendu comme remarquable, se retrouvent en face de professeurs démotivés !

L’ambiance dans cette université était bien moins agréable que je ne le pensais. Les fêtes y sont peu fréquentes et les élèves ultra stressés, quoique l’université soit considérée un peu comme une ovni. J’étais allé avec mon ami et une de ses camarades en ville un vendredi soir pour assister à l’ouverture gratuite de toutes les galeries d’art de la ville, le « first Friday ». Au sein de l’ancienne ville, les habitants locaux viennent visiter les galeries autour d’un verre, souvent offert par la galerie. Le climat printanier, l’arrivée de la fin de l’année scolaire, les rues remplies de monde, les jeunes artistes locaux qui écoulaient leur production dans la rue, rendaient cet événement très agréable, comme suspendu hors du temps. Nous sommes restés deux heures en ville. C’était la première fois de l’année, mes deux amis de UPenn m’ont dit, qu’ils avaient passé autant de temps dans le centre ville. Leur école n’est pourtant qu’à trois stations de métro du centre. L’université est située proche d’un ghetto pauvre. Les fenêtres des classes et des campus sont toutes munies de grilles et un garde est présent à chaque entrée de chaque bâtiment. L’architecture néo-gothique, que l’on assimile en Europe à des lieux religieux ou de recueillement, contraste avec les manières locales, profanes. Les élèves, souvent en tongs et survêts, se lancent des invectives de loin, rigolent bruyamment. Les apparences sont souvent trompeuses. Les élèves à cette école subissent un stress important. Les cours à Wharton, l’école de commerce de l’université, n’enseigne que des cours qui s’enseignent facilement à partir de livres. Les examens de fiscalité, de droit, de comptabilité, de finance sont purement techniques et ne développent pas de vision ni de pensée propre sur l’état de l’économie.

De plus, les coûts dans ces universités ont explosé ces dernières années sans amélioration du service apporté aux élèves. En effet, en dix ans, les frais de scolarité ont presque doublé, et 80% de ces augmentations ont été répercuté dans des hausses de frais de publicité afin de recruter les meilleurs élèves à la sortie du lycée. Ces coûts élevés se répercutent à tous les niveaux de la chaîne de valeur sur les élèves. Les loyers offerts par les universités pour résider dans leurs résidence sont élevés, le coût des livres anormalement élevés. En effet, les éditeurs utilisent cette manne, en sachant que les parents des élèves ont cotisé pendant de nombreuses années pour offrir l’université à leurs enfants. Il coûte moins cher à un étudiant de commander un même livre d’Asie que de l’acheter sur place tellement les prix sont gonflés. Les services de nourriture sont tous externalisés en échange d’un versement d’une part variable du chiffre d’affaires de ces boutiques. L’effet est assez surprenant : dans les mêmes bâtiments se côtoient classes et chaînes de fast food.

En somme, l’université a perdu ce qui faisait l’originalité des campus américains. Ce que j’ai pu trouvé à UPenn n’est qu’un symptôme de ce qui se passe aujourd’hui dans toutes les universités américaines. L’héritage adopté de la pensée française de Foucault et Derrida, ce sentiment que tout est possible, que le monde est à refaire, qui avait été le moteur de toute la génération des dot-comers, a disparu de ces campus. Au contraire, les vices que l’on peut trouver dans les écoles de commerce française sont ici décuplés : tous les élèves, dès leur arrivée, semblent surtout préoccupés par leurs opportunités de stage et d’emploi à la sortie. La créativité étudiante, les débats d’idées, la spontanéité juvénile semblent s’être s’évanouis de ces lieux.

La veille de mon départ je me suis entretenu avec un de mes amis, lui-même très ambitieux. Son modèle est Warren Buffet, multimilliardaire et gestionnaire de hedge fund. Je lui demandai ce qu’il pensait de son université. Il semblait blasé, peu fâché, mais assez conscient qu’il n’y avait pas trouvé ce qu’il y cherchait, et qu’il lisait beaucoup par lui-même pour comprendre l’économie d’aujourd’hui, et qu’aucun professeur ne l’avait inspiré. Il en résulta que mon ami était bien d’accord qu’il avait gaspillé 160 000 dollars en frais d’inscriptions dans l’absolu ! Il se réconfortait en me disant qu’il pouvait toujours bénéficier de l’important carnet d’adresse de l’école…


Lire l'article complet, et les commentaires