Au sujet du Caravage de Toulouse

par Emile Mourey
mercredi 13 avril 2016

C'est une fuite d'eau qui pourrait rapporter gros. S'inquiétant de gouttelettes ruisselant sur leur plafond, des propriétaires toulousains montent au grenier pour en trouver l'origine. Au fil de leur recherche, ils remettent la main sur un tableau. Il s'agit d'une scène biblique : Judith décapitant Holopherne. La toile pourrait être l'œuvre du Caravage, l'un des plus grands peintres italiens de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle. (Le Point, le 12/4/20016.)

Madame la Ministre de la Culture, ne vous emballez pas ! Ce tableau est intéressant, certes, mais ce n'est qu'un modélo. Autrement dit un premier essai. L'oeuvre définitive se trouve à la Galerie nationale d'art ancien de Rome. Elle fut commandée par le riche banquier génois Ottavio Costa alors que le peintre était, à cette époque, au service du cardinal del Monte. Il est impossible que ce commanditaire éclairé ait accepté cette version de Toulouse tant elle s'écarte du récit biblique. Dans le récit biblique, en effet, c'est Judith qui tranche la tête du tyran et non la domestique. Le Caravage se doutait bien d'ailleurs que cette première version lui serait refusée. Peut-être a-t-il même fait exprès de présenter une première version imparfaite. C'est d'ailleurs ce que confirme le grand coup de pinceau du bras gauche où l'expert, M. Turquin, voit la marque du génie alors que j'y vois plutôt une étonnante désinvolture. Comparé à la peinture horriblement plate des deux bras de la version de Toulouse, le merveilleux et savant modelé du tableau définitif en est la preuve évidente. De même, le bras droit mis en perspective et la main gauche crispée sont des indices manifestes d'amélioration.


Version de Toulouse en haut. Version définitive au-dessous.

Bien que modélo, la version de Toulouse est pourtant bien un Caravage. Il n'y a pas de doute. Le sang qui gicle est tout à fait dans le style provocateur et ultra réaliste du peintre. Le modèle qui a servi à représenter Judih se retrouve dans la sainte Catherine d'Alexandrie, dans les Marie Madeleine d'autres tableaux. Elle pose également pour le portrait d'une courtisane exposé au Kaiser Friedrich Museum de Berlin avant sa destruction.

Mais le plus déterminant qui prouve une "réécriture" se trouve dans le rendu des expressions. Une Judith sans expression dans la version de Toulouse, des mains hésitantes, tout cela à l'opposé de la froide et impressionnante détermination du tableau final. Un Holopherne qui n'exhale qu'un soupir peu expressif comparé au hurlement de douleur qui, dans l'oeuvre définitive, sort de la bouche édentée d'un visage torturé bien visible où les yeux sont déjà vitreux.

Madame la Ministre de la Culture, réfléchissez bien avant de vous décider. Voyez ci-après deux grands tableaux du Caravage, encore possessions privées, qui mériteraient cent fois mieux de figurer au Louvre.

Photos Le Point et Wikipédia pour les deux premières illustrations. Photos de l'auteur pour les deux suivantes.

Emile Mourey 13 avril 2016


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