Augmenter les bas salaires : la piste Fillon

par MUSAVULI
samedi 30 juin 2012

Sur les bulletins de paie, elle apparaît de façon flagrante en bas à droite, avec un signe moins. La réduction Fillon est un dispositif d’allègement de charges patronales sur les bas et moyens salaires. Elle se traduit concrètement par une exonération dégressive des cotisations patronales dont le montant varie en fonction du niveau des rémunérations. Elle bénéficie aux employeurs qui prennent la précaution de payer des salaires ne dépassant pas 1,6 fois le smic, alors même que leurs salariés continuent de s’acquitter de la totalité de leurs cotisations de sécurité sociale. L’employeur se retrouve ainsi avec des marges confortables sur lesquelles on devrait légitimement s’interroger compte tenu des difficultés auxquelles les salariés, eux, sont actuellement confrontés.

En effet, il est évident que les salariés ne peuvent plus compter sur l’Etat pour obtenir une augmentation substantielle de leurs revenus. Le gouvernement a annoncé une augmentation du smic de seulement 2 %, soit une modique somme de 21,50 € net sur le bulletin de paie d’un smicard travaillant 35 heures par semaine. Compte tenu de l’augmentation du coût de la vie, cette faible augmentation du smic est parfaitement dérisoire et ne permettra pas aux salariés modestes de rattraper la baisse continue du pouvoir d’achat. Il faut donc rechercher les augmentations sur le bulletin de paie en remettant en cause certains avantages accordés aux entreprises et en les réaffectant à l’objectif d’augmentation des salaires.

C’est dans cet angle qu’il convient de revenir sur la réduction Fillon dont le fondement idéologique a toujours été contestable. En effet, depuis 2003, en France, à cause de ce fameux dispositif, moins un employeur paie son salarié, plus il bénéficie d’allègements au titre des charges sociales. Autrement dit, un employeur qui voudrait payer son salarié un salaire envoisinant ou dépassant les 2.281,07 € (1,6 fois le smic) y réfléchirait à deux fois puisqu’en payant juste le smic (1.425,67 €) il réalise des économies au titre d’allègements de cotisations de sécurité sociale. Une mesure qui, non seulement encourage la logique des bas salaires, mais surtout dissuade les employeurs de payer convenablement leurs salariés.

En tout cas, à première vue, il y a quelque chose de surréaliste dans la logique de la réduction Fillon. Il y a même quelque chose de fondamentalement contraire aux principes de la République tels qu’énoncés dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. En effet, l’effort de solidarité nécessite la contribution de tous les citoyens, mais ces derniers s’en acquittent « en raison de leurs facultés  ». Faire payer, à taux plein, des cotisations à des salariés qui ne peuvent même plus payer leurs loyers et exonérer des employeurs qui réalisent des bénéfices (sinon ils cesseraient leurs activités) est un scandale dont on peut se demander pourquoi il a pu durer aussi longtemps (depuis 2003, loi du 17 janvier). Sur certains bulletins de paie, l’ensemble des charges salariales est supérieur aux charges patronales. On marche sur la tête.

A l’origine de la réduction Fillon, on trouve les mêmes arguments que ceux avancés par tous les autres gouvernements qui se sont succédés depuis les années soixante-dix. Il faut, semble-t-il, continuer à baisser les charges sociales et fiscales des entreprises pour leur permettre de recruter et de résorber le chômage de masse, devenu, malgré tout, endémique. Ce qu’on oublie trop vite de préciser, c’est que ces allègements dont bénéficient les entreprises sont des manques à gagner pour les caisses de l’Etat et les caisses de solidarité sociale, obligées de recourir à la dette pour boucler leurs budgets en attendant que les investissements des entreprises dans l’embauche produisent des retombées en termes de relance de la consommation (tva), d’augmentation du revenu fiscal des ménages (impôts sur le revenu) et d’augmentation de la masse salariale (cotisations diverses) du fait de nouvelles embauches sur une période déterminée.

Seulement voilà ! Les entreprises ne jouent pas le jeu et profitent des allègements sociales et fiscales pour améliorer leurs marges, rétribuer plus confortablement les actionnaires, investir à l’étranger, voire effectuer des placements dans des paradis fiscaux. Très peu d’investissements dans l’emploi, surtout que les gouvernements ne procèdent jamais à l’évaluation de ces politiques d’allègement et aux contrôles dans les entreprises bénéficiaires. Parmi les multiples exemples, on peut rappeler le cas de la baisse de la tva dans la restauration où les entrepreneurs du secteur n’ont absolument pas tenu leurs promesses. Et il ne peut en être autrement.

Car une entreprise recrute en fonction du marché. Les allègements au titre des cotisations sociales ou de charges fiscales ne jouent qu’à la marge. Elles représentent, le plus souvent, un effet d’aubaine (on embauche parce que, de toute façon, on devait embaucher et on profite de l’exonération) ou de substitution (on se débarrasse des salariés au statut « normal » pour leur substituer des salariés précaires, moins coûteux).

En définitive, compte tenu de l’inefficacité de ces mesures d’allègement sur le chômage, les entreprises n’étant pas, fondamentalement dans la logique de l’emploi, mais bien dans celle du profit, les gouvernements devraient y renoncer, ou, en tout cas, les limiter à des secteurs bien ciblés qui devraient concéder à l’obligation de contrôle et d’évaluation pour s’assurer que l’Etat et les caisses de solidarité ne soient pas continuellement obligés de se priver de recettes sans contrepartie, en termes de retombées macroéconomiques.

La réduction Fillon devrait figurer en haut de la liste de ces mesures « incitatives » à l’embauche dont bénéficient les entreprises sans que ces dernières s’acquittent de l’effort que la collectivité attend d’elles, conduisant à l’appauvrissement de l’Etat. Elle devrait être réaffectée à l’augmentation des salaires. D’ailleurs, le simple fait de supprimer ce dispositif encouragerait les employeurs qui le peuvent, à payer convenablement leurs salariés. Les « patrons » ont toujours affirmé qu’ils voudraient payer moins de charges à l’Etat pour mieux rémunérer leurs salariés.

Voici donc une piste très concrète : on supprime la réduction Fillon dont bénéficient, assez indûment, les entreprises et ont les oblige à verser l’équivalent à leurs salariés. Du jour au lendemain, les bas salaires en France augmenteraient de 200 à plus de 300 euros. 

 

  Boniface MUSAVULI


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