Autopsie de « L’Esprit du 11 janvier »
par Olivier Perriet
lundi 8 août 2016
Si pénibles, ridicules, ou politiciennes qu'elles soient, les polémiques initiées par l'opposition immédiatement après l'attentat commis en son fief de Nice ont eu au moins une vertu :
révéler le contenu réel du fameux « esprit du 11 janvier » proclamé par le gouvernement après les attentats de janvier 2015.
Prolongeant l'éclair de franchise de Joseph Macé-Scaron dans Marianne n° 993, l'éditorial de Renaud Dély « Sagesse du peuple, faillite des élites » (Marianne n° 1007) a déroulé une argumentation imparable :
1) Les interpellations musclées de l'opposition de droite sont le fait « d'irresponsables politiques » qui ont « fait voler en éclat le mirage d'une unité nationale à jamais disparue » (mon Dieu !).
2) Cette discorde, cette fébrilité, est « une première victoire pour Daech »
3) Suivent des platitudes condescendantes sur l' « indispensable dialogue démocratique » et le non moins « légitime débat sur les meilleurs moyens de lutter contre le terrorisme », qui permettent de mieux revenir dans le vif du sujet et d'enfoncer le clou :
4) Les sifflets de Nice à l'endroit de Manuel Valls, conséquence des critiques « indigne et dangereuses » de l'opposition, ont « souillé la minute de silence » « et, par la même, la mémoire des victimes ».
On ne saurait mieux démontrer le piège de cette « union nationale » plus qu'ambiguë voulue au plus haut niveau :
entre l'unité nationale contre la violence (mais qui, au juste, est un partisan déclaré de la violence politique ?) et l'union derrière l'action de l'exécutif, entre les polémiques « qui font le jeu des terroristes » et l'espace « du juste et mesuré dialogue démocratique », il n'y a qu'un pas, d'autant que l'exécutif, qui reste maître de définir la limite de la légitime critique à son encontre, se retrouve juge et partie.
La ficelle est usée jusqu'à la corde, qui prétend invalider certains choix en les assimilant à l'ennemi étranger. Il n'y a pas si longtemps, Daech, mais aussi Vladimir Poutine, furent aussi convoqués pour dissuader le vote en faveur du Brexit.
Tout juste Renaud Dély concède-t-il, avec moult pincettes, que « nul n'est condamné à serrer les rangs en silence derrière le gouvernement, quand bien même, certains au pouvoir en ont sans doute caressé l'arrière-pensée ». Non ? Sérieusement ? Pas possible...
« L'esprit du 11 janvier » justifie-t-il des approximations encore plus grossières que celles des « irresponsables » plus haut cités ?
N'en déplaise aux zélateurs du gouvernement, les critiques de l'opposition sont tout de même bien fondées sur les contradictions flagrantes d'un discours officiel, qui prétend, lundi, que nous sommes en guerre, et mardi qu'il convient de fêter dignement l'Euro de football. Ceci sans parler d'autres choix très clivants, maintenus avec acharnement depuis 2012, comme l'alliance privilégiée avec les pires féodalités rétrogrades du Golfe, ou le communautarisme érigé en mode de gouvernement, véritable terreau idéologique des attaques menées depuis 2015.
Par ailleurs, on n'a pas vu que Manuel Valls ait fait preuve de cette retenue en 2015, à l'issue de la chevauchée sanglante de Mohamed Merah, lui qui inscrivait au passif du bilan de Nicolas Sarkozy « le retour du terrorisme en France ».
Enfin, n'est-ce pas dérisoire de s'offusquer des sifflets à l'encontre des officiels au lendemain d'une attaque qui a fait 80 morts ?
Où est la dignité lorsque ces sifflets, qui ont précédé et suivi (la chronologie a son importance) la minute de silence sur la promenade des Anglais, sont présentés comme des injures aux victimes, comme s'ils avaient eu lieu pendant la minute de silence ?
« L'esprit du 11 janvier 2015 a vécu », dites-vous.
On ne le regrettera pas.