Aux armes citoyens !
par Karol
mercredi 18 septembre 2013
Marseille, Nice, Washington, les armes parlent et tuent, la peur s'installe et dicte le comportement des hommes...
Après un été meurtrier à Marseille avec ses règlements de compte en série, ce fut le cas d'un homme assassiné pour avoir tenté de neutraliser deux malfaiteurs dans un élan désespéré. Ensuite, c'est à Nice qu'un bijoutier tire sur deux jeunes voleurs qui s'enfuient en scooter après l'avoir agressé violemment et avoir dérobé des bijoux dans son magasin. Le passager du scooter est abandonné mort par son complice, sur la voie publique. Ce 16 septembre, à Washington, c'est une nouvelle tuerie qu'organise froidement un homme dont on ignore les motifs.
1. NICE : "AUX ARMES CITOYENS ..."
C'est ce que semblent revendiquer les plus d'un million six cent mille "likers' de la page malodorante de FB nommée :" soutien au bijoutier de Nice". Ici il ne s'agit pas, comme en 1792, de mobiliser les troupes pour bouter l'ennemi hors de nos frontières, à la suite de la déclaration de guerre à l'empereur d'Autriche, il ne s'agit pas seulement d'aider un homme, le bijoutier, qui sous l'emprise de l'agression dont il a été victime, commet l'irréparable, non il s'agit de justifier un crime, de revendiquer le droit à la vengeance, le droit de chaque individu à faire justice. Il suffit pour s'en convaincre de lire la page des commentaires, messages écrits sous l'emprise de l'émotion, de la rancœur et de la haine, œuvres aussi d'obscures militants et responsables politiques qui n'hésitent pas à jouer de ces drames pour manipuler leurs futurs électeurs.
Mais l'actualité va vite, trop vite pour nous donner le temps de la réflexion. Aux Etats-unis. les tueries se succèdent et rien ne change.
2. ETATS-UNIS : LES ARMES AUX CITOYENS
C'est ce que garantit le deuxième amendement de la Constitution Américain, voté en 1791 :"A well regulated Militia, being necessary to the security of a free State, the right of the people to keep and bear Arms, shall not be infringed" ("Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé").
Si à l'origine il s'agissait de la défense du nouvel État libre contre l’État colonisateur, aujourd'hui ce sont plus de 300 millions d'armes pour 300 millions d'habitants qui, aux États-Unis tuent chaque année plus de 30 000 personnes par suicides, accidents ou meurtres. Dans l’État de l'Iowa, même les aveugles ont le droit de porter une arme à feu ! Dans ce décompte macabre, c'est presque autant de morts à déplorer aux Etats-unis que le nombre de victimes de la guerre civile en Syrie qui dure depuis bientôt trois ans.
Ce lundi 16 novembre la folie meurtrière a encore frappé : 13 morts dans les bâtiments de la Navy à Washington. Après la sidération devant de tels actes, suivent les éternels témoignages d'incompréhension "C'était un très gentil garçon. J'ai été choquée quand j'ai vu sa photo aux informations" . "Dans la Navy, il a obtenu la médaille du service de la Défense nationale et celle de Guerre mondiale contre le terrorisme (c'est écrit !!), deux distinctions assez communes"(My TF1 News).
Ces drames se succèdent. Les chaînes d'information en continue s'en emparent pendant quelques heures et tiennent ainsi le spectateur sous l'emprise de l'émotion et de la peur, ils font la une des journaux télévisés et puis disparaissent dans la grande machine à broyer le temps qui passe. L'émotion retombe, chacun retourne à ses petites préoccupations. Mais le venin peu à peu diffuse dans l'esprit humain. Il nous faut prendre garde, la rue est devenue hostile, l'agresseur rôde et peut survenir à tout instant. Il faut prendre ses précautions et ne pas compter sur la puissance publique qui est trop souvent bien impuissante. C'est ce que la longue litanie des faits divers du journal télévisé montrent chaque jour. Face à la menace, il ne nous reste plus qu'à bricoler notre petit arsenal personnel d'autodéfense. En fonction du budget personnel et du statut de chacun, des marchands et des officines de sécurité sauront tirer profits de nos angoisses. C'est ainsi qu'aux États-unis, après chaque fusillade et massacre avec une arme à feu, contrairement à ce qu'une réflexion rationnelle pourrait laisser penser, les ventes d'armes à feu, similaires à celle du tueur, explosent. C'est ce que rapporte l'article " Le poison du lobby pro-armes" de Courrier International.
Face à cette montée des peurs et des violences, les élites politiques américaines abdiquent devant les intérêts financiers des lobbys pro-armes et devant les sondages qui, dictés par l' angoisse et le sentiment d'insécurité attisés par les médias , font s'accrocher aux armes une majorité de citoyens. Par manque de courage politique et pour sauver leur petite carrière de député ou de sénateur, les faiseurs de lois continuent à tolérer la barbarie.
"Nous, Américains, sommes des tueurs incroyablement bons. Tuer est un moyen de réaliser nos objectifs. Les trois-quarts de nos États exécutent leurs criminels – quand les États avec le plus faible taux de meurtres sont généralement ceux qui n’appliquent pas la peine de mort.
Notre propension à tuer n’est pas simplement historique (massacre des Indiens, des esclaves, guerre “civile”). Tuer est notre façon de résoudre les problèmes qui nous font peur. C’est l’invasion comme politique étrangère. Bien sûr, il y a l’Irak et l’Afghanistan, mais nous sommes des envahisseurs depuis la “conquête du Far West”, et aujourd’hui nous sommes tellement accros que nous ne savons plus quel pays envahir (Oussama Ben Laden ne se cachait pas en Afghanistan, mais au Pakistan), ni pour quelle raison (Saddam Hussein ne possédait pas d’arme de destruction massive et n’avait rien à voir avec le 11 septembre). Et voilà que, maintenant, nous nous mettons à envoyer au loin des avions sans pilote pour tuer, des avions contrôlés par des hommes sans visage installés dans un luxueux studio climatisé de la banlieue de Las Vegas. C’est une folie." Michael Moore.
Si les hommes et les civilisations se sont dotés, d'une police et d'une justice c'est bien par ce qu'il fallait à tout prix sortir de cette violence qu'engendre inévitablement le déferlement des émotions et des pulsions sur l'être humain. Celui qui est victime de violence et souffre ne peut pas sereinement faire justice, il ne peut à son tour qu'engendrer encore plus de souffrance, de l'injustice et de l'incompréhension.
3. ARMONS-NOUS CONTRE NOTRE PROPRE ENNEMI INTÉRIEUR : NOTRE PEUR.
Washington, Nice, Marseille, l'homme est devenu un loup pour l'homme. Notre civilisation fondée sur la marche forcée vers la réussite individuelle, a peu à peu détricoté tous les liens entre les individus et jeté par dessus bord toutes les règles d'une morale commune à respecter. Elle a laissé croire que chacun pouvait bricoler sa propre boite à outils personnelle de règles de vie ; elle a cru aussi devoir se dispenser de principes philosophiques communs sur lesquels on construit une communauté de destin, une nation. Au contraire, comme le souligne J.C. Michéa, " c'est la guerre de tous contre tous " où la coexistence horizontale des hommes entre eux s'articule sous "la triple forme de la concurrence économique, de la querelle procédurière permanente et de l'incivilité généralisée" " .(1 )
Cette pression quotidienne incessante engendrée par ce trio infernal : "compétition-querelles- incivilités"( que l'on retrouve aujourd'hui aussi dans la pratique du sport-spectacle), cette angoisse de ne pas pouvoir surmonter les obstacles, cette peur de l'autre, ne peut que générer une violence exacerbée, alimentée par les multiples frustrations et vexations que ce mode de fonctionnement engendre.
Face à ce libre arbitre individuel, ce chacun pour soi, cet égoîsme mortifère, il ne s'agit pas de revenir à un ordre moral dicté par un pouvoir divin ou temporel et instituer un nouveau régime totalitaire bardé d'interdits comme le prêchent certains fondamentalistes de divers horizons . Il n'est pas question aussi, comme le rêve tout Ministre de l'Intérieur, de droite comme de gauche, d'abandonner nos vies à un État policier, où, pas un mètre carré ne serait sans surveillance de "Big Brother". Au contraire, il s'agit, dans un sursaut de dignité, de contribuer à esquisser une société décente, où la bienveillance, le respect et l'entraide et la générosité conduisent les hommes à vivre honnêtement d'une activité sans sombrer dans la démesure et l'obscène, dans une nation où la compétition, l'intérêt privé, la cupidité, ne nous mènent pas par le bout du nez, où les conflits et les tensions, au lieu d'être exacerbés sont apaisés,où le vivre ensemble, le partage et la solidarité sont érigés en principe, où "nul citoyen n'est assez opulent pour pouvoir en acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre" J.J. Rousseau -Le Contrat Social, Livre II, Chap XI.
Dans cette jungle où l'expertise et la ruse du tricheur et le mensonge de l'imposteur semblent des "qualités" plus adéquates pour sauver sa peau, tout cela peut paraître bien niais. Mais il n'y a pas d'autre issue avant de devoir abandonner toute valeur qui nous élève et de sombrer définitivement dans la barbarie.
Face à ce naufrage à venir, il est temps aussi d'éteindre la télévision qui, avec" ses philosophes de pacotilles, ses inventeurs-bricoleurs publics, ses vendeurs ambulants d'opinions", ( 2 ) nous divertit et nous distrait, nous empêchant ainsi de penser le monde et de nous armer contre nos propres démons.
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(1 ) "La double pensée- retour sur la question libérale" Éditions Champs essais Page 154-155
(2 ) Voir l'excellent article de la revue Books de septembre 2013 sur "l'ère de l'idéotainment"