Avec la Grèce, la gauche de la gauche s’est discréditée
par Laurent Herblay
lundi 17 août 2015
On ne saisit sans doute pas toutes les conséquences de l’incroyable choix du gouvernement Grec, qui a donné la priorité au maintien dans l’euro plutôt que de mettre fin à la tutelle austéritaire du pays en dehors. Les nouvelles souffrances que les Grecs vont s’infliger auront des répercussions ailleurs.
Le Front de Gauche dans une impasse
Jacques Sapir a déjà analysé longuement les mensonges et les angles morts du PCF et de la gauche de la gauche dans trois textes : « Grèce, la gôche, la gauche », « Pierre Laurent, la Grèce et les mensonges » et « La Grèce et la direction du PCF ». Il y note que la gauche de la gauche s’est souvent opposée aux traités mais refuse en général toute rupture, notamment avec « la religion de l’euro », car c’est de cela qu’il s’agit. Et s’il note le progrès de Jean-Luc Mélenchon sur le plan B, il fustige sa volonté illusoire de changer l’UE de l’intérieur. Il ne rate pas le secrétaire national du PCF, qui reprend le raisonnement de Margaret Thatcher en affirmant que Tsipras « n’avait pas d’autres choix », et en faisant beaucoup d’arrangements avec la vérité avant d’exécuter le document de synthèse de la direction du parti.
Beaucoup à la gauche de la gauche continuent à incriminer les dirigeants européens de droite qui seraient les vrais responsables de la crise et continuent à plaider pour une renégociation des traités, comme Alexis Corbière sur Europe 1. Mais dans Marianne, Paul Conge note que « changer l’euro, c’est rompre par la négociation avec le fond des traités constitutifs de l’Europe. C’est peut-être là le problème majeur du Front de Gauche, que d’avoir fait croire à ses électeurs qu’un tel miracle était finalement possible ». Ce faisant, cette séquence confirme ce qu’a écrit Aurélien Bernier, qui a théorisé la « désobéissance européenne », en s’appuyant sur la souveraineté nationale, concept qui semble si tabou à la gauche de la gauche qu’elle lui préfère la tutelle euraustéritaire, comme la « social-démocratie »…
Quelles conséquences politiques ?
Aujourd’hui, comment ne pas comprendre que la gauche de la gauche est dans une impasse ? L’interview d’Alexis Corbière faisait peine à entendre : le même discours, tenu par François Mitterrand dans les années 1970, qui consiste à promettre une Europe sociale par la négociation, en refusant tout plan B. Difficile de ne pas y voir la réplique exacte d’Alexis Tsipras. Prisonnière de sa religion européiste, la grande majorité de la gauche de la gauche, même en arrivant au pouvoir, serait incapable d’obtenir le moindre changement étant donné qu’elle refuse toute rupture, et que placée devant le choix entre rester dans l’Europe qu’elle dénonce ou la quitter, elle choisit le premier : voilà ce que les citoyens du continent ont sans doute compris en juillet, décrédibilisant dramatiquement tous les amis de Tsipras.
Si la gauche de la gauche ne tient pas un discours radicalement différent sur la question européenne, il est probable qu’elle sorte profondément déconsidérée : le scrutin législatif espagnol de l’automne sera à ce titre extrêmement significatif, en fonction du score de Podemos, dont le leader s’était affiché avec Tsipras, après le succès obtenu lors des élections municipales. Mais plus globalement, on peut craindre que le discours de changement soit sorti globalement affaibli par cette séquence. Et, avec un climat économique un peu moins mauvais, le risque est que les électeurs se contentent de choisir entre les deux variantes de l’eurolibéralisme puisque voter pour changer ne produit aucun changement. Et cela est particulièrement vrai pour la question de la sortie de l’euro, qui est sans doute sortie affaiblie.
En gagnant en janvier, puis lors du référendum, Syriza avait produit un immense espoir pour tous ceux qui veulent enfin sortir de l’impasse des deux variantes de l’eurolibéralisme. Mais, en trahissant cet espoir, on peut craindre que cela renforce l’enfermement de nos vies démocratiques.