Avec les frontières, Régis Debray aficionado du Che et de Castro se prend maintenant à penser à droite

par L’apostilleur
jeudi 26 janvier 2023

D’où lui vient une idée pareille ? Tel un croisé messianique, le philosophe guérillero révolutionnaire des tropiques engagé corps et âme en Amérique du Sud n’aurait pas parié un peso sur ce constat qui s’impose à lui un demi-siècle plus tard ; « Quand on réfléchit on bascule un peu vers la droite mais le cœur reste à gauche ». Une litote qui masque à peine un embarras contre lequel il aurait bien lutté aussi sans ce mal des intellectuels honnêtes qui les conduit à se renier plutôt que leur conscience.

Une révolution provoquée par ce nouveau siècle, pour qui rappelait encore récemment son maître Lénine et une époque « où le sans frontiérisme vivait en maître… je veux être partout chez moi, mes règles doivent être celles du monde entier ». Un axiome dont il percevra les conséquences inacceptables, même avant qu’il soit instrumentalisé par des islamistes dans son pays et partout.

Un basculement consécutif au cheminement d’une vie de réflexions et d’expériences qui l’amènera à considérer aujourd’hui le bienfait des frontières. « Sans frontière c’est la loi du plus fort. Là où il n’y a pas de limites il y a de la barbarie. Les peuples nomades sont rarement démocratiques »

L’idéaliste a mûri avec des réalités qu’il a découvertes et admises comme en Palestine (*) où il a rencontré des gens qui aspiraient à avoir une frontière, pour se sentir chez eux, en sécurité. « La paix c’est la frontière, la reconnaissance de l’autre, chez lui je ne suis pas chez moi. Si la Nation doit être civique et non ethnique il lui faut des frontières, il faut un attachement au sol ... La frontière évite le mur comme en Israël qui n’a pas fixé ses propres frontières ».

Les frontières de Régis Debray sont ici multiples, il n’entend pas protéger que des territoires.

Avec ces accents aux connotations droitières aujourd’hui et dans la droite ligne d’un Etat-nation dont il entend aujourd’hui les défenseurs traités de nationalistes, populistes, racistes… il a le sentiment de penser à droite.

A bien y regarder ce serait pourtant moins une palinodie de sa part qu’un mouvement d’opinion erratique, au profit d’une immigration incontrôlée pour qui le respect des frontières et des cultures n’est pas toujours une condition sine qua non, comme pour leurs défenseurs dont il rappelait les manifestations avec « Chevènement qui voulait restaurer l’apprentissage de la Marseillaise à l’école qui s’est fait injurier alors ». Une dérive de l’ancienne gauche qui la conduira au wokisme et à un extrémisme autocratique oublieux des principes républicains. Des outrages inacceptables pour un esprit éclairé.

A l’évidence il a rompu avec cette nouvelle gauche engluée dans son nouveau fonds de commerce jusqu’à promouvoir une créolisation multiculturelle, destructrice de l’Etat nation.

Concernant son penchant à droite, on rassurera Régis Debray avec la métaphore d’Edgard Faure qui convient pour l’expliquer, «  Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent  ». Des esprits chagrins verront là une pirouette du sénateur pour justifier une inconstance, et d’autres une réalité qui oblige l’honnêteté à reconnaître des événements qui s’imposent et donc de revoir ses opinions. Mieux vaut se réconcilier avec son intelligence et questionner ses convictions que de sombrer dans l’abrutissement d’un déni partisan. Ne pas laisser ses idées évoluer au gré des événements et de ses découvertes est le propre d’obtus asservis à une idéologie.

Loin de ces soldats de la pensée unique, Régis Debray argumente son cheminement avec une sorte de mea culpa qui l’honore.

Lui qui a vécu physiquement ses idées avec un engagement loin de ses souches, ne cache pas d’être perturbé par le maëlstrom politico-économique qui secoue nos sociétés. Il avoue éprouver un éloignement avec ce qui se passe si vite partout et ressent comme un égarement en regardant sa fibre politique ancienne ancrée à gauche, là où il ne se reconnaît plus. Il retrouve aujourd’hui certaines de ses convictions dites par des représentants de l’actuelle droite, en ne reconnaissant plus sa gauche de cœur.

Aurait-il changé d’idées plus que les partis ? Non. Parfois ce sont les partis qui dévient sournoisement, rester assis à gauche de l’hémicycle ne suffit pas pour en conserver le cap.

Ainsi la gauche d’aujourd’hui ne défend plus comme il y a quarante ans ses propres idées qu’elle attribuerait à l’extrême droite aujourd’hui, laquelle reprend les idées socialisantes de la gauche ancienne… Les politiciens conservent le même emballage avec un contenu qui avarié, Mélenchon l’avait pourtant prévenu quand il dénonçait en 2017 la « vieille gauche  ». L’usurpateur n’entendait en conserver que l’emballage pour son marketing électoral.

 

Sage, Régis Debray, garde des distances avec le produit « gauche » et accuse l’immédiateté, une façon d’accuser l’incompétence de ceux qui ne mesurent pas le long terme de leurs opinions. « On a dit adieu à l’avenir puisque maintenant tout est maintenant, à la République en vivant dans une sorte de démocratie à l’américaine, à la politique puisque tout n’est qu’économie, à l’histoire qui faisait qu’on vivait un moment avec une perspective entre le passé et l’avenir qui se préparait par l’action du présent… ».

Issu d’une gauche sociale, avec son appréciation du capitalisme « les salariés ne sont plus un espoir de croissance mais un manque à gagner pour les actionnaires », qui pourrait l’accepter à droite ? Peut-être l’extrême droite devenue socialisante. Un paradoxe qu’il n’envisage pas encore, « Politiquement je ne sais plus très bien ou on en est, le cœur est à gauche la cervelle est à droite et le ventre est au centre, c’est l’ennui le confort et l’endormissement » il n’est pas seul à le constater. L’ancien trotskiste, membre de la Ligue communiste révolutionnaire Dray pense comme Debray. Lors des dernières élections il déclarait ne pas reconnaître la gauche, ne plus savoir pour qui voter et se demander même s’il voterait.

Si Régis Debray explique qu’« une génération obsédée par la nature à remplacer une génération obsédée par l’histoire », il manque à son panorama un revirement inattendu à gauche sur le débat politique frontières - immigration illustré ici avec ces questions - réponses ;

 Qui a dit : « nous posons les problèmes de l’immigration… nous choisissons pour notre jeunesse l’étude, le sport, la lutte et non la drogue… alors nos opposants crient … pétainistes ! … Il faut stopper l’immigration officielle et clandestine… » Marchais le 20/02/81.

Qui s’opposait à la création d’une école coranique et sa mosquée à Rennes ? Le PCF. 

On pourrait entendre Zemmour. Qui a changé d’opinion, les citoyens ou les idéologues ?

Voilà qui devrait rassurer Régis Debray, il ne doit pas s’étonner de confier récemment à Taddéï d’avoir aujourd’hui « la cervelle à droite » quand une gauche apostase s’impose. Lui voudrait parler d’identité et de République, d’autres éructent un opprobre simpliste ; identitaire  !

Qui sont-ils ?

On en trouve chez ceux qui ont conservé un traumatisme et-ou, une frustration conséquences de leur origine mouvementée, cause d’une assimilation lacunaire encore. Un passage de frontières difficile qui déterminent parfois des penchants.

Arnaud Montebourg d’une parenté ancienne avec l’Algérie, a démontré lui, un attachement sans concession pour la France républicaine. Mélenchon, avec des origines espagnoles puis né au Maroc, immigré comme Benjamin Stora et d’autres n’ont pas la même exclusivité avec la France. Ayant vécu un multiculturalisme ailleurs avec leurs familles, ils voudraient le reproduire ici comme Mélenchon avec sa créolisation révélatrice qui n’est pas qu’un argument racoleur.

Dans un débat au Musée de l’immigration avec Régis Debray, Benjamin Stora voit la frontière mer méditerranée comme un cimetière, une confusion qu’il utilise comme pour rendre coupable ceux que les victimes voulaient rejoindre. Des sentiments et une guerre d’Algérie qui macèrent encore chez ceux qui refusent d’admettre que les français d’aujourd’hui ne sont plus responsables des maghrébins d’aujourd’hui. Un cordon qu’ils traînent encore.

Benjamin Stora réussira moins bien son passage de la frontière méditerranée que ses coreligionnaires Julien Dray, Zemmour, Jean Daniel immigrés juifs algériens eux aussi. Leur assimilation ne les portera jamais à vouloir transposer ici ce qu’ils ont connu là-bas. 

Pour Benjamin Stora cette frontière qui a marqué sa jeunesse était un obstacle aux mouvements de liberté et d’émancipation avec « la libre circulation d’un univers à l’autre, le désir de transgresser... ». Malgré son penchant marqué pour ses origines, l’observateur bienveillant du nationalisme algérien a été refroidi par les attentats et les comportements des islamistes qui l’avaient pourtant déjà inquiété. Il découvre une nécessité aux frontières, ses vieux sentiments vacillent, et cherche maintenant « la frontière entre nation et nationalisme ». Des questions qui honorent l’intellectuel et montrent les errances de ses certitudes.

Au motif de la liberté des idées, comme les hommes, elles n’ont aucun droit à s’imposer ailleurs.

Une interrogation qui pourtant ne se pose plus dès lors qu’on rend au nationalisme son sens premier qui défend la nation en tant qu’institution et territoire d’un peuple possédant une culture propre, un droit qu’il admet pour les indépendantistes algériens. La diversion totalitaire de nationalistes extrémistes ne doit pas en faire oublier le sens originel respectable. Qui traiterait de nazis totalitaires les nationalistes indépendantistes algériens ? 

Une frontière légitime les nations et les peuples et s’oppose au sansfrontiérisme ancien, substrat d’un internationalisme soixante huitard révolu sauf pour des groupuscules et ONG retardataires.

Avec Chevènement, Montebourg, Marchais et tant d’autres, Régis Debray ce gauchiste nationaliste défend les frontières naturelles et l’héritage culturel des Etats nation (**). Une exigence ni de droite ni de gauche.

 

 

(*) Voir son excellent livre Un candide en Terre sainte, il raconte le problème israélo-palestinien avec des rencontres éloquentes.

(**) L’Etat nation, un fruit rare cultivé pendant des siècles par des populations devenues des peuples au gré de leurs souffrances guerrières. L’Espagne a attendu la Reconquista de 1492 pour le devenir, l’Angleterre a tissé sa nation pendant mille ans depuis Guillaume-le-Conquérant, la France de Jeanne d’Arc se ressaisissait face aux invasions anglaises et l’esprit d’appartenance se diffusait alors sous Charles VII et son armée de métier. L’Italie récente attendra son Risorgimento à la fin du XIX e s. pour devenir Etat nation en même temps que l’Allemagne. Devenus Etats nation ils cimenteront des populations anciennement antagonistes dans leurs nouvelles frontières, les peuples prendront conscience de leurs singularités culturelles. Ces frontières leur imposeront la paix et un sentiment national.


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