Avez-vous vu Vénus ?

par rosemar
samedi 20 mai 2017

Crépuscule, tel est le titre de ce poème de Victor Hugo, extrait des Contemplations : et c'est bien un paysage de crépuscule que décrit le poète... On perçoit cette thématique à travers certains termes : "L'étang mystérieux, les branches... noires, l'ombre, la nuit tombe, un toit noir, l'étoile aux cieux, l'ange du soir, ses ailes obscures".

Le crépuscule est, d'après l'étymologie même du mot, "la petite obscurité", un diminutif latin de l'adjectif "creper" qui signifie "sombre"... C'est le moment où le soir tombe, où les formes s'estompent peu à peu... C'est, aussi, le symbole de la vie qui s'achève, et c'est ce symbole que développe Victor Hugo, tout au long du poème.
 
"L'étang mystérieux" évoqué, au début du texte, devient, ainsi, "un suaire aux blanches moires", superbe image même de la mort qui guette chacun d'entre nous... Cet étang est personnifié, puisqu'il "frissonne". Ces frissons suggèrent bien le froid, la peur, l'angoisse de ce paysage imprégné de mort.
 
Et pourtant, dans ce paysage sombre qui semble voué à la mort, on perçoit, dès la première strophe, la lumière de Vénus, à la fois astre du soir et déesse de l'amour.
Des questions sont posées et animent le texte : "Avez-vous vu Vénus à travers la forêt ? Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ? "
 
Qui parle ainsi ? On a l'impression d'une nature vivante et vibrante... Une ambiance de fête surgit, à travers les questions ou certains détails : "Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines ; L'herbe s'éveille et parle aux sépulcres dormants." On entrevoit une communication entre le monde des morts et celui des vivants...
 
La nature, symbole de vie s'exprime à travers un simple "brin d'herbe". Et cette nature invite des couples qui passent, à l'amour, de manière pressante, grâce à de nombreux impératifs : "Aimez, vous qui vivez ! Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe ; Soyez heureux... Vivez ! faites envie."
 
Les exclamations soulignent une forme d'enthousiasme : face à la mort qui menace, il ne faut pas laisser passer le temps et en profiter pour "aimer".
 
Cette invitation très épicurienne s'oppose au tableau sombre qui est peint au début du poème...
 
Le texte fait de contrastes traduit bien une sorte d'urgence : face à cette obscurité qui nous menace, il faut vivre intensément.
"Les mortes" s'opposent aux "belles" d'autrefois... "le ver luisant" surgit dans "l'ombre." Dieu fait "tressaillir" le "tombeau"...

Des sensations sont mises en jeu : visuelle, auditive, tactile : une étoile apparaît, associée à la lumière, on perçoit le bruit du "pas lourd" du "faucheur", la nuit qui arrive donne aussi une impression de "fraîcheur."
 
Cette évocation très sensuelle vient compléter l'invitation à l'amour qui réapparaît dans la dernière strophe : "Aimez-vous !"
Associée au mois "où les fraises sont mûres", cette invitation prend tout son sens face au temps qui passe, qui fait mûrir les fruits...
 
Le vent, quant à lui, devient un "ange rêveur" qui "Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures, Les prières des morts, aux baisers des vivants".
 
Voilà l'ultime opposition du poème qui réunit le monde des morts à celui des vivants : c'est comme si cet ange surgi du ciel voulait transmettre la nécessité urgente de vivre en montrant aux êtres humains cette association inéluctable de la vie et de la mort... Aimer devient une façon de communier avec le monde des morts, un moyen de les retrouver, de leur rendre hommage.


 
Voilà un magnifique poème bâti sur des contrastes, où la nature vibre, semble lancer des messages aux humains que nous sommes.
 
Elle parle, pose des questions, montre toute la beauté du monde, grâce à des effets de sonorités... fricatives et sifflantes dans ces deux vers, par exemple : "Avez-vous vu Vénus à travers la forêt ? Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ?" Certaines répétitions soulignent le lyrisme, un élan, une volonté de mettre en évidence tous les spectacles de la nature qui sont aussi une occasion d'aimer, de vivre en symbiose avec le monde qui nous entoure.
 
Dans ce poème, la nature entière semble vivante, l'amour est présenté comme une loi universelle, et divine... On perçoit comme une sorte d'animisme présent dans tout le texte. La beauté de cette poésie, dans les personnifications, les images traduit et retranscrit la splendeur du monde : les moires de l'étang, l'étoile de Vénus devenue "fleur de lumière."...
 
On est sensible à une forme de panthéisme exprimé par le poète : tout semble divin dans la nature évoquée, on entrevoit aussi une sorte de communication entre les vivants et les morts, eux qui semblent nous inciter à vivre intensément, à aimer le monde...
 
Le poème :
 
 
L’étang mystérieux, suaire aux blanches moires,
Frissonne ; au fond du bois la clairière apparaît ;
Les arbres sont profonds et les branches sont noires ;
Avez-vous vu Vénus à travers la forêt ?
 
Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ?
Vous qui passez dans l’ombre, êtes-vous des amants ?
Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines ;
L’herbe s’éveille et parle aux sépulcres dormants.
 
Que dit-il, le brin d’herbe ? et que répond la tombe ?
Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs.
Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe ;
Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.
 
Dieu veut qu’on ait aimé. Vivez ! faites envie,
Ô couples qui passez sous le vert coudrier.
Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie,
On emporta d’amour, on l’emploie à prier.
 
Les mortes d’aujourd’hui furent jadis les belles.
Le ver luisant dans l’ombre erre avec son flambeau.
Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles,
Le brin d’herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau.
 
La forme d’un toit noir dessine une chaumière ;
On entend dans les prés le pas lourd du faucheur ;
L’étoile aux cieux, ainsi qu’une fleur de lumière,
Ouvre et fait rayonner sa splendide fraîcheur.
 
Aimez-vous ! c’est le mois où les fraises sont mûres.
L’ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents,
Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures,
Les prières des morts aux baisers des vivants.
 

 

Le blog :

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Photo : rosemar


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