« Backstop » et Protocole de l’Irlande du Nord : J-17

par Clark Kent
lundi 14 décembre 2020

 

Le 23 juin 2016, les sujets de sa Majesté Elisabeth II ont voté en faveur de la sortie de l'Union européenne à 51,9 des exprimés, avec un taux de participation de 72%. Ce vote a déclenché le processus de départ du Royaume-Uni sans en préciser les modalités concrètes.

L’accord que Theresa May avait conclu avec l’UE ayant été rejeté à trois reprises par le Parlement, Boris Johnson, qui avait qualifié celui-ci de « lettre morte » pendant sa campagne électorale, a alors entamé de longues négociations pour effectuer les révisions de cet accord renié et fixer les « détails » du départ du Royaume-Uni, et en particulier revenir sur le « backstop », ou « filet de sécurité » qui supposait le rétablissement des contrôles douaniers et la fin de la libre circulation des biens et des marchandises entre l’Ulster et l’Eire, la République d’Irlande et l’enclave l’Irlande du Nord, partie intégrante du Royaume-Uni.

Dans son premier discours en tant que Premier ministre, Johnson a qualifié le filet de sécurité d’« antidémocratique » et s'est dit convaincu qu'il pouvait conclure un accord avec l'UE sans avoir à mettre en place des contrôles à cette frontière.

Et depuis ? Pas grand-chose !

Au départ, le Royaume-Uni devait quitter l'UE à la fin du mois de mars 2019, mais la date a ensuite été reportée à fin janvier 2020.

Fin 2019, les deux parties ont conclu un accord de retrait fixant les conditions du départ du Royaume-Uni. Une période de transition a été convenue pour permettre la négociation d'un accord formel sur les relations futures. Le Royaume-Uni doit quitter le régime commercial de l'UE et les autres accords de coopération à la fin du mois, l’échéance prévue de la période de transition qui devait donner le temps de définir les règles et les arrangements commerciaux entre l'UE et le Royaume-Uni, ainsi que les modalités de coopération en matière de sécurité et d'énergie. Une prolongation de la transition aurait pu être convenue jusqu’à fin juin 2021, mais le Royaume-Uni a refusé cette éventualité sans ambiguité.

Le départ du Royaume-Uni de l'UE signifie que l'Irlande du Nord quitte également l’union et, faute d’accord, des contrôles seraient logiquement nécessaires le long des 500 km de cette frontière qui est la seule frontière terrestre entre le Royaume-Uni et l'UE, car des règles commerciales différentes s'appliqueraient au nord et au sud après un Brexit, ce qui est traditionnellement synonyme de contrebande. 

L'Accord de Belfast de 1998 qui avait permis d’instaurer une « pax romana » avait également mis en place un « modus vivendi » entre les deux parties de l’île qui, aujourd’hui ne souhaitent ni l’une ni l’autre un retour des contrôles aux frontières parce qu’une matérialisation de la ligne de clivage serait une cible toute trouvée pour des opérations paramilitaires. Elle représenterait de ce fait une menace pour la paix et perturberait la vie des habitants des deux régions.

Dans l’accord initial conclu entre Theresa May et l’UE, le « Backstop » était considéré comme un dernier recours à déclencher dans le cas où aucune meilleure solution ne serait trouvée pour éviter le rétablissement d’une frontière physique. Cette seule éventualité avait déclenché une opposition virulente de la part du Parti Unioniste Démocratique (DUP) d'Irlande du Nord, qui avait déclaré que cela risquait de provoquer l’éclatement du Royaume-Uni, rien moins.

Or, quand l'accord de Mme May a été rejeté, le Backstop a été remplacé par le « protocole de l'Irlande du Nord » dont le but est d’éviter l'établissement d'une frontière commerciale sur l'île d'Irlande, que les deux parties conviennent ou non d'un accord. Mais il fallait trouver un moyen de contrôler et de surveiller les marchandises entrant en Irlande du Nord en provenance du reste du Royaume-Uni, afin qu'elles puissent ensuite entrer librement dans la République d’Irlande sans être en contradiction tarifaire et fiscale avec le marché unique de l'UE. Il a donc été décidé que "certains contrôles" seraient effectués sur les produits lorsqu'ils traverseraient la mer d'Irlande entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord, afin de garantir des normes de sécurité (en particulier dans le domaine de l'alimentation et des animaux vivants), et d'effectuer les contrôles douaniers nécessaires. Ainsi, le Nord continuerait d'appliquer les règles du marché unique de l'UE dans certains domaines, bien qu'il soit intégré dans l'union douanière britannique. La manière dont ces accords fonctionneraient dans la pratique était en cours de négociation dans un comité distinct des discussions principales.

Le protocole prévoit également qu'après quatre ans, les dirigeants d'Irlande du Nord devraient donner leur accord sur la poursuite ou non des nouveaux arrangements, ce qui impliquerait un vote à l'Assemblée irlandais. En cas de vote favorable, la situation serait maintenue encore quatre ans, ou huit ans si le vote est suffisamment consensuel. En cas de vote défavorable, il y aurait alors une période de réflexion de deux ans pendant laquelle un comité UE / Royaume-Uni réfléchirait à la manière de procéder, dans le respect de l'accord de Belfast et formulerait des recommandations.

Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes détaxés si, d'une part, l'UE n’exigeait pas ce qu'elle appelle des « règles du jeu équitables » afin de garantir que les entreprises britanniques ne puissent se livrer à une concurrence déloyale et si, d'autre part, le Royaume-Uni ne cherchait pas à échapper à la compétence des tribunaux de l'UE en cas de différends. L'accord sur les futurs droits de pêche est également une pierre d’achoppement vitale pour l’économie de l’Irlande qui entend conserver l'accès actuel aux eaux britanniques et les niveaux actuels de quotas de poisson.

Cerise sur le gâteau : une tension supplémentaire a été ajoutée par une décision de Boris Johnson de faire voter un projet de loi sur les marchés internes qui lui permettrait, dans certaines circonstances, d'échapper aux engagements juridiques pris dans le protocole d'Irlande du Nord. .

S'il n'y a pas d'accord, et cela a déjà commencé, il se produira des retards importants dans les ports, certains produits ne seront plus disponibles dans les supermarchés du Royaume-Uni et le commerce irlandais qui transite par le territoire britannique vers les marchés continentaux sera perturbé dans les deux sens.

Cela signifiera également que le commerce entre le Royaume-Uni et l'UE sera régi par les règles de l'OMC, ce qui signifie que des taxes seront appliquées des deux côtés. Certaines exportations irlandaises vers le Royaume-Uni, en particulier le bœuf et d'autres produits alimentaires seront soumis à des droits de douane élevés, et leur viabilité sera remise en question.

D'autre part, si le protocole de l'Irlande du Nord est conçu pour éviter une frontière commerciale irlando-irlandaise, qu'il y ait un accord ou non, une absence d'accord commercial global entre le Royaume-Uni et l'UE personne ne sait comment le contrôle des marchandises entrant dans le Nord et allant vers la République serait géré.

Sans que les enjeux soient aussi cruciaux pour les autres pays membres de l’UE, les pertes des uns et des autres risquent d’être plus importantes que les profits. A moins que le Royaume-Uni ne devienne le 51ème état des USA.

« Oh ! I’m shoking ! God save the Queen »


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