Bande de Gaza : les tunnels du Hamas
par Desmaretz Gérard
mercredi 1er novembre 2023
L’une des otages israéliennes libérées par le Hamas (parti islamique palestinien) a décrit le réseau de galeries comme une « toile d'araignée » et « beaucoup, beaucoup de tunnels » et « marché sous terre sur plusieurs kilomètres ». Y a-t-elle été « promenée » pour égarer ses sens ? John Spencer de l’Institut de la guerre moderne de l’académie militaire américaine de West Point parle d'un réseau de près de 1 300 galeries s'étendant sur 500 kilomètres. Le tunnel moyen du Hamas ne mesure que deux mètres de haut et un mètre de large (étude publiée 17 octobre 2023). J.Spencer ne fait que reprendre le chiffre communiqué en 2021 par Eehyal al Sinwar, le chef du Hamas...
On différencie trois types de tunnels, galeries ou boyaux : contrebande entre Gaza et l’Égypte - défensifs (abris réservés uniquement aux membres du Hamas) - offensifs (préparation et lancement d'attaques). Ces deux derniers types de tunnels sont concentrés à Gaza-Ville et à Khan Younis (54 km2) au sud de la bande Gaza. Si le premier tunnel fut découvert en 1980, leur construction a commencé à se généraliser : « en 2007 pour contourner le blocus imposé par Israël à la bande de Gaza après la prise de pouvoir du Hamas dans ce territoire. (...) Les Palestiniens ont creusé des centaines de galeries sous la frontière avec le Sinaï égyptien pour faire circuler des personnes, des biens, des armes et des munitions entre Gaza et le monde extérieur ».
Les tunnels seraient sous le contrôle des brigades al-Qassam (branche armée du Hamas) apparues lors de la première intifada (1991). Certaines galeries atteignent 30 ou 40 mètres de profondeur et Tsahal en aurait détruit 100 kilomètres en 2014 dans la zone tampon entre l’Égypte et Israël. Un officier israélien a chiffré à 500 000 dollars le coût de construction de chaque kilomètre de tunnel. Le Hamas est la deuxième organisation islamique la plus riche au monde avec 1 milliard de dollars (classement Forbes novembre 2022). Les chiffres semblent exagérés, le volume de terre excavée représenterait plus d'un million de mètres cubes. Autrement dit une sortie de camions du chantier toutes les deux minutes pendant plusieurs mois ! Quant à leur coût, il avoisinerait deux-cent-cinquante millions de dollars ! Rappelons que « la bande de Gaza s'étend sur une largeur de 6 à 12 kilomètres avec une superficie de 360 km2. Elle a 12 kilomètres de frontière au sud-ouest avec l'Égypte (avec le poste-frontière de Rafah), 51 kilomètres de frontière au nord, à l'est et au sud-est avec Israël (avec notamment le poste-frontière d'Erez) et 40 kilomètres de côtes le long de la Méditerranée orientale » (Wikipédia).
Les tunnels du district de Cu Chi (au nord-ouest de Saïgon) bastion du Viét cong (Front national de libération du Vietnam du Sud) qui s'étendaient jusqu'à la frontière cambodgienne fut le plus incroyable complexe de galeries souterraines construit par des combattants. L'embryon de ces tunnels a été entrepris par le Viet Minh (Organisation politique et militaire fondée par Ho Chi Minh) pendant l’occupation française (1946 – 1954). Creusés dans la couche argileuse, les déblais étaient dispersés dans la rivière pendant la nuit. Ils ne faisaient alors qu’une vingtaine de kilomètres. C'étaient de courts tunnels à structures simples utilisés pour cacher des documents et des armes. Ces infrastructures allaient prendre une importance considérable lors de la présence américaine.
Les réseaux seront étendus à trois-cents kilomètres de galeries creusées à la pelle-pioche et parfois sur trois niveaux étagés à 3, 6 et 10 mètres de profondeur et communiquant par d'étroites cheminées (le tunnel le plus profond découvert par Tsahal courait à 70 mètres sous terre (2020), et les sorties étaient déguisées en termitières. En 1966 c'est plus de 250 km de tunnels et 500 km de tranchées qui furent construits, et des puits souterrains assuraient l'alimentation en eau potable. Les boyaux mesuraient 70 cm de large pour une hauteur de 90 cm et étaient défendus par cul-de-sacs, siphons noyés pour empêcher les gaz de se répandre dans toute la galerie et toutes sortes de pièges. Sans ces tunnels l'offensive du Têt (1968) aurait été beaucoup plus incertaine.
Buts d'un tunnel : protection des populations civiles ou des combattants - poste de commandement - casernement - ateliers - entrepôts - hôpital - déplacements discrets - s'approcher à couvert d'une position ennemie - se déplacer rapidement d'une position à une autre - miner une route ou un bâtiment, etc. Avant d'entreprendre tous travaux de percement d'un tunnel ou d'une galerie, on doit s'assurer que le site est approprié du point de vue tactique et technique : nature géologique du terrain - tracer le cheminement (topographie) - engins nécessaires et disponibles - approvisionnement des matériaux - évacuation des matériaux - assurer la sécurité des travailleurs et du chantier - drainage - ventilation - se soustraire à l'observation adverse - éclairage (les Viet congs utilisaient la dynamo de bicyclettes).
Deux techniques sont envisageables, la création d'une fouille en plein air, de préférence en profitant d'un chantier de construction déjà en cours, et qui sera ensuite recouverte sur des éléments formant la galerie (arcs ou plaques d'acier, de béton, boisage), ou le creusement souterrain. La durée du chantier dépend de la nature du sous-sol, des outils utilisés : pelle-pioche, perforateur électrique, explosifs, etc. Pour avoir une petite idée de l'ampleur de la tâche, imaginez-vous creuser, dans un terrain moyen, un emplacement pour une piscine ; volume à excaver de 110 m3. Cela prend à la pelle mécanique 4 heures et 4 hommes pendant 5 heures, à la main avec 9 hommes comptez 40 heures (les manuels du génie indique 0,7 à 1,3 m3/h et par sapeur). S'il s'agit de remblayer, comptez quelques dizaines d'heures (n'oublions pas le damage ni le nivellement).
En RDA, il a fallu six mois à une trentaine de jeunes gens pour creuser un tunnel de 145 mètres de long courant à 12 mètres sous terre pour une hauteur libre de 0.70 mètres. Ils ont commencé par creuser sous la cave d'une boulangerie pour rejoindre les toilettes dans l'arrière-cour d'un immeuble situé de l'autre côté du mur de Berlin. La terre évacuée était déchargée dans les pièces de la boulangerie inoccupée ! Une soixantaine de personnes ont emprunté ce tunnel avant qu'il ne soit découvert par les Vopos.
En combat urbain une variante consiste à relier les caves, les sous-sols, voire les appartements les uns avec les autres en établissant des passages à couvert entre les immeubles. Cette façon de procéder qui reste fort discrète nécessite moins d'efforts et de matériel. Les défenseurs doivent obturer les ouvertures soupiraux, sauts de loups, portes et renforcer les constructions existantes (sacs de terre, étais, murs).
Excavation, évacuation des matériaux, soutènement et contre-mesures défensives ne sauraient s'improviser, encore moins dans l'urgence. Il faut établir le cheminement (théodolite) par tronçons : distances horizontales, verticales, pentes, azimut, etc. La forme des boyaux : circulaire, ovoïde, rectangulaire, triangulaire, voutée. Les dimensions dépendent de l'usage auquel on destine la galerie : passage pour un homme rampant, accroupi, passage d'une civière ou d'objets encombrants. Les dimensions intérieures peuvent donc varier d'un endroit à l'autre afin de limiter et contenir une attaque. Quel type d'entrée, par puits vertical ou par une rampe inclinée ? Dans ce cas la longueur de la pente ne correspond pas à la distance horizontale mesurée en surface. Une pente de 14 mètres de longueur inclinée à 45 degrés, par exemple, correspond à longueur horizontale environ 10 mètres. Détail important pour percer les issues et aérations au bon endroit.
Il faut ensuite décomposer les différentes étapes : durée, métrage, surface, volume et poids. Il faut prévoir un cheminement comprenant des lignes brisées pour contenir : le souffle d'une grenade, lance-flammes, tir d'enfilade (aie ! les tympans), et des issues secondaires. ll arrive que les chiffres réels soient différents de ceux initialement calculés : erreur de calculs (trigonométrie) - instrumentale - erreur d’azimut (changement de direction ou de la dimension du front de taille) - d'inclinaison (positive ou négative) - foisonnement des matériaux (environ 30 %) - erreur de lecture, etc. Un obstacle imprévu peut nécessiter un contournement, le sous-sol est truffé d'anciennes fondations, de câbles, de conduites, carrières, égouts, et un tunnel trop proche d'un autre ou passant sous un immeuble peut entraîner un éboulement et ensevelir ses occupants.
Comment les matériaux seront-ils évacués : sceaux, palans, brouette, luge, wagonnet, camion, bateau, chemin de fer ? Des prisonniers des camps allemands lors de la Seconde Guerre mondiale emplissaient des sacs fixés à leur cuisse et en libéraient le contenu en tirant sur un « lacet » en cours de promenade. L'entreposage des déblais à ciel ouvert et leur transport restent compromettant. Seront-ils jetés dans un fleuve, mer (limon visible d'un point-haut ou par aéronef) ou réutilisé comme remblai ? En milieu fortement urbanisé ils peuvent être stockés, selon leur volume, dans un parking qui sera condamné sous un prétexte fallacieux. Toujours supposer que des agents à la solde de l'étranger observent de jour et de nuit et par tout temps. L'arrivée d'un engin mécanique bulldozers, scrapers, drague ou de matériaux de construction attire inévitablement l'attention (Israël restreint l'importation de matériels de construction).
Démanteler ces réseaux de tunnels à la topologie ignorée reste un des objectifs prioritaires de Tsahal. Samedi 28 octobre, le porte-parole de l'armée israélienne a annoncé que des avions avaient frappé « 150 cibles souterraines dans le nord Gaza, dont des tunnels utilisés par les terroristes, des sites de combat et d’autres infrastructures souterraines ». Si Israël dispose de bombes anti-bunker à guidage laser (GBU-28/B, prix 150.000 $) capables de pénétrer jusqu'à 30 mètres dans le sol ou à travers 6 mètres de béton, c'est l'infanterie qui va intervenir. Au Vietnam, les Américains utilisaient des insufflateurs de gaz (M 106), mais aussi des forces spéciales et unités cynophiles pour les reconnaissances souterraines. Lors de la bataille d’Iwo Jima (1945), les Marines ont utilisé des engins de chantier pour enfermer les Japonais dans leurs grottes et tunnels. Lors de l'opération Bouclier du Nord (2017), tout tunnel découvert le long de la frontière d’Israël était obturé par du ciment déversé par un camion toupie. L’Égypte qui garde le souvenir des Frères musulmans très vivace, a préféré les inonder (2013).
Tsahal ne manque pas d'explosifs ni d'engins de terrassement et dispose des unités : Yahalom ("diamant " génie de combat) - Samur ("belette" et acronyme pour passage et tunnel) spécialisée dans la recherche et la destruction de caches d'armes et de tunnels - Sayfan ex 76° bataillon pour les armes non conventionnelles (B.C) - Oketz équipes cynophiles - Sayeret Matkal, renseignement dans la profondeur - Yamam l'anti-terrorisme. Les radars de sol, micro-gravimètres, foreuses, caméras thermiques, etc., peuvent aider à la détection de tunnels, mais ce sont des robots (Agamit) qui procèdent désormais à leur cartographie et leur reconnaissance. Une balise VLF déposée dans un tunnel ou portée par un chien ou fixée sur un robot permet d'en localiser l'endroit exact en surface. Une correction, une précision, une information ?
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