Banlieues : l’étrange Intifada
par Phileas
mercredi 28 novembre 2007
A nouveau des banlieues en flamme ?
Mais est-ce que cela n’a jamais cessé ? Qu’en est-il des grands discours lénifiants du dernier gouvernement Chirac où un certain ministre de l’Intérieur prévoyait d’y faire un grand ménage ? La colère de jeunes trop longtemps contenue, une rage, un désespoir qui couvaient depuis longtemps face à une société qui de nouveau oublie jusqu’au moment où un incident et des médias sur place rappellent que rien n’a vraiment changé, mais que tout s’empire, au contraire.
Tentons de comprendre au lieu de désigner ad nominem qui n’a pas fait son travail et qui continue de provoquer.
Cette colère répond à quatre types d’humiliations récurrentes :
- l’humiliation scolaire : c’est tout le paradoxe dont chacun est saisi lorsqu’on voit des jeunes
brûler des voitures, mais également des écoles. Dès le collège, ces
jeunes ont le sentiment que l’école n’est plus un lieu de promotion
sociale, mais un lieu d’échec, un échec qui renvoie à une humiliation
personnelle, un sentiment d’infériorité. Au lieu d’être un lieu de
promotion, ils découvrent une première barrière qui va les séparer de
l’autre monde. Séparant le ghetto du monde de ceux qui ont réussi ;
- l’humiliation économique : c’est le problème de la non-insertion sur le marché du travail. Quand
on observe le chômage des jeunes (information disponible à l’Insee) de
16 à 25 ans, en ciblant ceux qui sont sortis de l’école sans diplôme,
ou bien avec un seul CAP et qui sont nés d’un père ouvrier. Dans ces
quartiers-là, le taux de chômage s’élève à 50 %, c’est-à-dire qu’il est 4
à 5 fois supérieur à la moyenne nationale. Si on ne mesure pas le poids
de cela, on ne peut pas comprendre pourquoi des jeunes en viennent à se
dire qu’ils n’ont pas leur place dans ce système et que certains vont
donc se débrouiller en dehors de celui-ci : légitimant ainsi un
ensemble de business souterrains de trafics en tout genre ;
- les rapports avec la police : on ne mesure pas combien ces jeunes ont le sentiment de subir au
quotidien une humiliation à travers des contrôles qu’ils interprètent
systématiquement comme des contrôles au faciès. C’est pour eux le
symbole de l’oppression sociale et du racisme (j’ai une capuche, je me
fais contrôler, je suis black, je me fais contrôler, etc.). C’est
ainsi qu’ils le perçoivent. Cela suppose qu’on lève un certain nombre
de tabous et qu’on réfléchisse à comment doit-on organiser la police en
France ;
- le sentiment de ne pas exister symboliquement dans la société. : ces populations ne sont pas représentées politiquement. Il n’y a pas de militants politiques ou syndicaux dans ces quartiers. Elle ne participe pas aux votes, les jeunes ne s’inscrivant pas sur les listes électorales. Un monde qui se trouve de facto muet politiquement, avec le sentiment très ancré qu’on ne veut pas le représenter, qu’on ne le reconnaît pas symboliquement, voire qu’on voudrait à tout prix l’oublier. Cette population relie cela au statut de l’immigration, au passé colonial de la France, au fait que, peut-être, la France n’aurait pas complètement digéré cela.
La République vit sur deux mythes qui éclatent aujourd’hui :
- le mythe de l’égalité alors que nous sommes une société très inégalitaire ;
- le mythe d’une égalité qui produirait un citoyen abstrait qui devrait se débarrasser de toutes ses spécificités culturelles, linguistiques, etc.
De même que la République a jadis écrasé les spécificités régionales, ces jeunes ont le sentiment aujourd’hui qu’il faudrait se blanchir la peau pour pouvoir être vraiment Français.
Cette non-existence, le fait que la société française n’arrive pas à admette qu’elle est une société multiraciale, au sens de la couleur de peau et une société en partie multiculturelle, comme toutes les grandes démocraties modernes, conduit là à un point de blocage qui est ressenti comme une humiliation.
L’émeute :
Elle est la résultante d’une explosion émotionnelle au cours de laquelle se développe un sentiment ludique de provocation, où se mêlent les trafiquants d’une économie souterraine qui fit le jeu des politiques lorsque les choses étaient encore « sous contrôle » et de petits délinquants qui vont s’en donner à cœur joie en se défoulant sur la police ou en brisant d’autres symboles « républicains » et de consommation. Pour certains, très jeunes, il s’agit de leur première transgression. Une étrange Intifada dans laquelle s’exerce l’automutilation puisque ces jeunes, au fond, ne montent pas casser du bourgeois dans les villes riches environnantes, mais mettent paradoxalement à feu et à sang... leurs propres quartiers. Et puis des pères et des grands frères qui interviennent moins, mais laissent éclater de façon passive, à travers ces jeunes leur ultime désespoir, leur rage personnelle, cet héritage lourd qu’on leur a eux-mêmes transmis quelques années plus tôt.
Cette colère rassemble bien au-delà d’un hypothétique complot qui organiserait tout ceci de l’extérieur : la société française reliant à l’islam de façon systématique la violence, le terrorisme ou autre. Cette colère ne saurait être réduite à certains poncifs récurrents qui décrivent une minorité de petits voyous semant le désordre dans une population de braves gens aspirant à quelques tranquillités.
Il n’y a pas de réponse policière, guerrière ou militaire à ce type de propos.
Il est contre-productif de se référer à une loi (couvre-feu) liée à la guerre d’Algérie, avec des images qui ont des effets pervers sur des jeunes, et plus en général sur l’ensemble d’une population auxquels on renvoie une fois encore un passé colonial qui brouille encore plus les données.
L’économie :
Si on ne veut pas que cela redémarre au prochain drame humain, il faudra apporter une réponse sur le fond du problème et reconnaître que cette jeunesse nous envoie un message et qu’il doit être pris au sérieux.
On nous dit que la croissance économique est faible et que l’économie française est en crise ?
Le discours date du premier choc pétrolier de 1974 ! En fait, l’économie française fonctionne très bien, la France est un pays qui s’enrichit, le PIB par habitant continuant de croître. L’économie moderne fonctionne tout en n’ayant plus besoin d’une partie de la population, maintenant au chômage une masse servant de main-d’œuvre, de variable d’ajustement, par le biais de l’intérim ou de l’ANPE qu’on utilisera selon des besoins conjoncturels
Le problème est politique. Cette jeunesse exprime sa rébellion parce que fort heureusement elle n’est pas assez dépressive pour ne plus exprimer sa colère, en la retournant contre elle ou bien en s’abrutissant de cannabis et d’alcool.
La classe politique
Elle s’avère incapable d’apporter une réponse de fond à cette jeunesse en lui apportant un minimum de raison d’y croire, de penser qu’elle peut encore avoir un avenir que nous pouvons construire une société tous ensemble où chacun pourra trouver sa place, en reconnaissant que le mythe de l’égalité scolaire ne fonctionne pas, qu’on n’arrive pas égaux devant l’école, en mettant le paquet dès la primaire en s’engageant qu’aucun jeune ne doit passer ce cap s’il ne sait pas parfaitement lire et écrire. Tout ce qu’il faut pour que chacun puisse acquérir le même bagage en maintenant les efforts sur ceux qui ont le plus de difficultés au départ.
Conclusion :
Si nos politiques proposent des qualifications qui débouchent réellement sur quelque chose (non pas des séries de stages coûteux à la collectivité) et valorisent et développent les emplois de proximité.
Plein d’actions sont possibles si on se réfère aux solutions alternatives qui ont existé depuis une quinzaine d’années, jamais suivies sur la durée car vite abandonnées pour faire autre chose que le camps adverse !
Pourtant, on ne peut pas exister socialement dans la société française aujourd’hui comme par le passé, si on ne possède pas un travail, un statut, un minimum de revenu qui permettent plus que la survie dans la précarité, mais permet d’avoir aussi un logement, de fonder une famille, un minimum de représentation dans une société dominée par le gagner plus tout le temps et toujours.