Beaux-parents : pour recadrer le débat

par Manuel Atreide
mardi 10 mars 2009

Les débats font rage dans la blogosphère depuis quelques jours et le moins que l’on puisse dire, c’est que, avec le recul des années, j’ai la désagréable impression d’être revenu en arrière il y a un peu plus de 10 ans lors du débat sur le PaCS, ou il y a un peu moins de 5 ans, en 2004 lors du fameux mariage de Bègles. Mais, de quoi parle-t-on au juste ?

Père et fils ...
crédit photo : mikebaird

Le texte de Nadine Morano ne vise pas à instaurer un mariage gay. Il ne vise pas plus à réformer le PaCS. Et, rappelons le, il ne cherche pas non plus à ouvrir les droits à l’adoption pour les couples homos, gays ou lesbiens.

En revanche, ce texte vise à donner un statut juridique à l’un des deux membres d’un couple vis-à-vis de la société et des enfants qui vivent au sein de ce couple, quand cette personne n’est pas parent de cet ou ces enfants. Dingue, n’est ce pas ?

Je vais vous donner un exemple précis, un exemple que je connais bien. Le mien. Mes parents se sont séparé en 1978 alors que je n’avais que 11 ans. Chacun d’entre eux a rapidement refait sa vie, dans la durée puisqu’ils n’ont plus changé de compagnons depuis.

J’ai donc grandi et passé mon adolescence avec non seulement deux parents, mais aussi deux beaux-parents. Cette femme (l ’épouse de mon père), cet homme (l’époux de ma mère), je les connais depuis plus de 30 ans. Je n’ai pas de liens du sang avec eux et pourtant, ils font partie de ma famille. C’est même un lien profond et intime. Ils m’ont vu grandir, faire mes premiers pas dans la vie d’adulte, ont connu mes choix, ont acquiescé ou réprouvé mes décisions.

Je n’ai pas eu le choix, c’est vrai, mais j’ai eu l’opportunité, en définitive, de pouvoir compter sur quatre adultes pouvant avoir auprès de moi la fonction de parents. Cette situation, bien que non choisie au départ, est un fait. C’est une partie indissociable de ce que je suis, je ne serais sans doute pas le même si ma vie avait été autre.



J’ai passé 40 ans, je suis un adulte dans la force de l’âge. Mes parents et beaux parents glissent insensiblement dans la dernière partie de ma vie. Mon beau-père, dont le rôle a été si primordial pour moi, s’en est allé il y a 3 ans. J’ai estimé à ce moment là, que cet homme était suffisamment important dans ma vie pour que je l’accompagne durant les dernières semaines de sa vie. Oh, il avait des enfants, 4, mais des 6 enfants dont il avait eu, à un moment ou un autre, à s’occuper, à faire grandir, à aimer aussi, j’étais le seul à pouvoir être présent.

Je sais aussi que mes parents, ainsi que ma belle mère, vont avoir un jour à parcourir ce dernier bout de chemin de la vie. C’est dans l’ordre des choses, même si je souhaite que cela se passe le plus loin possible dans l’avenir.

La question que pose Nadine Morano est très simple : ces deux adultes qui ont vu le jeune manuel arriver dans leur vie, ont-ils vis-à-vis de moi des responsabilités. Ont-ils, avec le temps, acquis une place particulière pour moi ? Ont-ils des droits sur moi comme mes parents en ont ? A ces questions, ma réponse est oui. Ce ne sont pas mes parents, mais ce ne sont pas non plus n’importe qui. Je n’ai pas conçu, alors que sa fin était proche, de ne pas montrer à mon beau-père tout l’amour, toute la reconnaissance que j’éprouvais vis-à-vis de lui. Sans être son enfant, je suis un peu son fils. J’ai eu le droit de lui faire supporter les crises d’ado, J’ai eu le droit de lui demander conseil, de l’emmerder avec mes conneries de gamins et d’adulte. Il n’a jamais rechigné. J’ai fait en sorte qu’il sache, toujours, ce que cela avait signifié pour moi.

Que se serait-il passé si, à un moment donné de mon parcours, j’avais perdu mes parents ? Si un accident m’avait laissé face à mon seul beau-père, ma seule belle mère ? Qu’aurait fait la société ? Elle m’aurait enlevé à ces adultes, que je connaissais, avec qui j’avais tissé des liens, pour me placer ailleurs dans l’inconnu. Simplement parce qu’ils n’avaient – et n’ont toujours – aucun droit. J’avoue avoir depuis longtemps réfléchi à la chose et ma seule réaction face à cela est de rester sans voix face à une telle ineptie. Comment, mon beau-père – même s’il l’avait voulu – n’aurait pas pu me garder face à des grands parents, un oncle, une tante, un parfait inconnu ? Quelle connerie !

Symétriquement, ne peut-on envisager que d’une manière ou d’une autre, la société puisse me dire à un moment donné : cet homme, cette femme, qui vous connait depuis si longtemps, qui vous a accompagné tout au long de ces années, vous ne devez pas l’abandonner comme un parfait inconnu ? On peut s’engueuler avec ses parents, on peut difficilement les abandonner en cas de problèmes graves, même quand ils ont été infects. Il est – à mes yeux du moins – tout aussi pertinent de rappeler à quelqu’un qu’il a des devoirs, une dette, morale, vis-à-vis d’un tiers qui n’est pas de son sang mais qui a joué un rôle important dans sa vie.

Alors, peut-être que la formule trouvée n’est pas la meilleure. Il est sans doute possible de revoir, d’amender voire d’enrichir ce texte. Mais, le problème posé est pertinent. Il est important. Il touche profondément bon nombre de français.

Nous vivons dans une société complexe. Et riche d’une diversité que nous avons encore du mal à assumer. Reconnaître à des adultes qu’ils ont des droits et des devoirs vis-à-vis d’un enfant dont ils partagent la vie, c’est admettre tout simplement qu’après un divorce, la vie continue. Différemment. Mais elle continue avec des liens qui se tissent et qui perdurent souvent le temps d’une vie.

Je ne vois pas en quoi cette reconnaissance mettrait en danger le rapport que j’ai avec mes parents. Je n’enlève rien à mon père en gardant mémoire de mon beau père. Je n’enlève rien à ma mère par mes liens avec ma belle mère.

En revanche, je sais depuis des années que lorsque ces liens seront reconnus par la société, les enfants qui en bénéficieront seront gagnants. Car, malgré des épreuves qui peuvent les frapper, parfois terriblement, ils auront d’autres adultes qui pourront prendre le relai.

Et franchement, que ces adultes soient gays, hétéros, jeunes ou vieux, blancs, beurs, blacks ou tout ce que vous voulez mettre comme adjectif n’a rien à voir là dedans. Ce n’est pas la sexualité qui fait qu’un adulte décide de prendre un enfant sous son aile. C’est le coeur.


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