Begpacker, what the fuck ?

par Fabienm
mercredi 26 avril 2017

Comme les élections me gonflent, j'ai choisi de parler d'autre chose. Parler d'un truc qui me gonfle encore plus, par exemple.

L’homme est fait de paradoxes (la femme, j’en parle même pas). Un de ces paradoxes en ce qui me concerne est que j’adore me balader aux quatre coins du globe (qui n’est pourtant pas carré, ce qui constitue un premier paradoxe) mais je déteste croiser mes collègues touristes. Non pas que je ne me reconnaisse pas en eux – on est somme toute assez identiques dans notre soif de différence –, c’est plutôt que j’ai le sentiment qu’ils « salissent » l’authenticité du lieu en étant dans mon champ de vision, un peu comme l’observation d’une particule modifie sa trajectoire. Evidemment c’est absurde, car il m’est moi-même assez difficile de m’extraire de ma condition de touriste – surtout vu ma tronche – et donc je ne vois pas bien comment l’autochtone pourrait ignorer qu’il a un blanc-bec occidental en face de lui. Cependant, je n’arrive pas à m’enlever de l’esprit que quand je suis le seul touriste, c’est plus « réel ».

J’avais déjà conscience de cette anomalie dans mon cerveau atrophié par des années de jeux vidéo lorsque je suis tombé sur un article relatant l’expérience d’une touriste ayant croisé des « begpackers ».

 

Un phénomène nouveau

Un « begpacker » – contraction de « beg » (mendier) et « backpacker », ceux qui voyagent avec un sac-à-dos – est un touriste qui finance son déplacement en faisant la manche (fallait y penser). Plutôt que d’aller taper ses vieux, le mec se sera dit que taper des populations pauvres, c’est pas plus con. Je dis « pauvre » parce que ce phénomène nouveau se développe apparemment surtout dans les pays d’Asie du Sud-Est où le niveau de vie de l’occidental est supposément infiniment meilleur que celui des populations locales. On imagine que la prochaine étape pour eux est de faire la quête à l’entrée d’un restaurant parisien pour fêter leur retour…

Alors évidemment, pour moi qui déteste les autres touristes (je suis le seul à trouver grâce à mes yeux), c’est du pain béni. Enfin des gens vers qui je vais pouvoir diriger mon ire. Quelle joie, merci les gars.

Mais avant de leur taper sur la tronche, peut-être est-il nécessaire de comprendre d’où vient cette « mode » ?

 

Where the fuck does it come from ?

(Oui, quand je suis véner, je parle anglais (ou verlan))

Il y a quelques années, je me souviens avoir lu un livre de Jérémy Rifkin intitulé « L’âge de l’accès ». Il y était décrit comment la dématérialisation de l’information avait conduit le capitalisme à nous vendre non plus des produits mais à nous faire « adhérer » aux marques, à nous donner « accès » quelque part à notre propre vie à travers la connexion. On est ici donc dans un symptôme assez caractéristique de cet âge de l’accès, car le sentiment que j’ai avec ces touristes de l’extrême (connerie), c’est qu’afin d’exister, certains vont jusqu’à vouloir faire des choses qui leur sont inaccessibles – faute de budget, par exemple – quitte à faire n’importe quoi (on n’a qu’une vie après tout, se disent-ils sans doute).

Evidemment, une autre option est qu’ils sont tellement en pertes de repères, en quête d’authenticité, qu’ils se disent qu’en vivant comme des pauvres, ils se rapprochent des populations locales. Si c’est le cas, j’ai un petit conseil à leur donner : si vous êtes en mal d’authenticité, venez manger à la soupe populaire (en jouant des coudes pour être les premiers) et vivez sous les ponts quelques semaines dans l’odeur de pisse – et au risque de vous faire dépouiller. Question authenticité, vous devriez être servis les p’tits gars (et les p’tites garces).

 

Le mythe du blanc

Ne nous leurrons pas – et soyons même sérieux cinq minutes, tiens, histoire de déconner –, pour avoir passé plusieurs mois en Asie du sud-est à l’époque où je voyageais beaucoup, il existe dans ces pays-là une forme d’idolâtrie de l’homme blanc. Cela peut paraître un peu con, mais ce phénomène existe. A l’inverse, l’homme blanc se croit souvent tout permis, car il estime que son niveau de vie l’y autorise (je ne vais pas vous décrire l’état d’esprit de l’expatrié occidental moyen en Asie du sud-est, je pense que vous comprenez le concept). Ceci veut dire qu’il est assez probable que le fait de mendier pour un occidental dans ces pays-là ne l’expose pas à un traitement « dangereux », c’est plutôt la bienveillance et la curiosité de l’autochtone qui doivent prédominer. Cependant, il me semble qu’une fois la surprise passée, l’indécence de ce comportement devrait assez vite prendre le dessus. Il s’agit bien, en effet, quoi que ces touristes au rabais en pensent, d’une mise en compétition de la misère : une misère locale bien réelle et une misère occidentale de circonstance (doublée d’une certaine forme de misère intellectuelle).

 

Robin des bois volait les riches pour le donner aux pauvres, le beg-packing a réussi à faire l’inverse, tout en se construisant une mythologie du voyage authentique qui permet à ses adeptes de se sentir droit dans leurs sandales. Gageons que la relative bienveillance dont font preuve les populations locales face à ces touristes d’un nouveau mauvais genre ne va pas durer éternellement. Car on est ici bien au-delà du tourisme sans-gêne : on sombre dans le tourisme honteux.

 

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