Ah, on avait failli oublier l’épisode des volatiles. Figurez-vous qu’il y a quelque semaines de ça, l’actualité américaine vrombrissait d’une énième rumeur : ça y est, c’était la bonne. On avait (enfin) localisé Ben Laden ! Ici, rassurez-vous la presse n’en a pas parlé : elle est peut-être plus intelligente que la presse US, qui sait. Renseignements pris, l’affaire s’enfonçait assez vite dans le grotesque, avec un barbu coiffé d’un impayable turban sikh se faisant passer pour maître-fauconnier. Le faucon, l’animal préféré des émirs, qui s’en servent pour chasser : en plus de l’inextinguible rire qui nous empoignait à suivre le récit concocté par l’homme au turban, on avait le droit, cette fois à de l’exotisme. Mais pour tout dire, c’est bien l’explication la plus décousue et la plus mal ficelée que je n’ai jamais entendu sur le sujet. La raison principale de sa sortie ? Celle comme quoi Ben Laden vivrait... en Iran. Vous l’auriez deviné, je parie, hein... tant qu’à le retrouver quelque part, autant que ce soit là...
La dépêche s’énonçait ainsi :
"la cachette d’Oussama Ben Laden a été épinglée pour la première fois ce lundi 7 juin par le journal koweïtien Al-Siyassa Monday, dans la ville montagneuse de Savzevar, dans le nord-est de la province iranienne du Khorasan, à 220 km à l’ouest de Mashhad. On annonce qu’il vivrait là sous la protection de Téhéran depuis ces cinq dernières années, avec Ayman Al-Zawahiri et cinq autres hauts dirigeants d’Al-Qaïda" nous dit Debka Files.. site israëlien, jusqu’ici assez peu partisan de raconter des carabistouilles : c’est le premier par exemple à avoir évoqué un cancer de l’œsophage pour le président égyptien
Hosni Moubarak...
L’endroit semblait en effet le repère idéal :
"Savzevar, une petite ville d’environ un quart de million d’habitants, est reliée par la route à Téhéran et Mashhad et possède un petit aéroport. C’est un centre pour la production de raisins et de raisins secs, son emplacement est éloigné et difficile d’accès car il est entouré de hautes montagnes et d’un désert de sel 50 000 kilomètres carrés de superficie". En fait, l’idée ne venait pas du tout de Debka, cette fois, mais reprenait une bien belle histoire qui semblait d’emblée cousue de fil blanc... car relayée abondamment par
Fox News, bien entendu, ce qui la rendait au départ fort suspecte. Avec comme unique "témoin" un individu filmé
masqué, bien entendu.... Une annonce reprise aussitôt par d
’autres faucons.... pour qui n’importe quelle prétexte supplémentaire serait bon pour attaquer l’Iran, et celui-là aurait été "maximal", pensez-donc ! En fait c’est celle aussi de la sortie d’un documentaire en mal de publicité,
"Feathered Cocaine", en gros "La cocaine à plumes", réalisé par Thorkell (Keli) Hardarson et Örn Marino, qui relate l’histoire du trafic de
faucons en Arabie Saoudite, où ces
oiseaux très prisés valent une véritable fortune, bien plus cher que la cocaïne (d’où le titre du reportage). L’histoire que raconte à profusion un dénommé Alan Parrot (?), grand spécialiste autoproclamé des faucons, et sujet principal du film. L’homme aurait été responsable des faucons du Shah d’Iran (première fois que j’entends parler de cette passion chez ce souverain !) et des différentes dynasties du Golfe, d’Arabie et du Koweit.
Avec Ben Laden, on le sait, on est depuis plus de dix ans dans le grotesque. La couche supplémentaire de ridicule qu’apporte Alan Rapport est assez épaisse à vrai dire. L’homme présenté comme proche des grands d’Arabie n’a en fait jamais quitté le territoire US : il réside depuis 1991 à Hancock, dans le Maine, et ce n’est pas en s’affublant d’un turban de type sikh qui pourra faire illusion : on est davantage dans
Aladdin vu par Disney que dans l’éleveur de faucon, qui de surcroît n’a strictement jamais rien écrit sur le sujet... font remarquer les journaux. En fait, le film démontre surtout le commerce interdit d"un Parrot qui s’épanche sur le sort de ces faucons alors qu’il les martyrise lors de leur transport illégal. Mais ce n’est pas le pire du film : le pire, c’est le raccrochage de son histoire inventée à une autre : celle de la Guerre au terrorisme décidée par G.W.Bush...
En fait, Parrot, selon ses dires, aurait été capable de localiser ses faucons équipés d’une balise télémétrique, et donc de localiser aussi l’un de ses fameux propriétaires : Ben Laden. Il aurait envoyé en ce sens une lettre au gouvernement américain "
qui n’aurait pas donné suite"... On le comprend aisément : on a beau éplucher toutes les biographies du reclus de Tora Bora, aucune n’indique d’addiction à ce genre de sport. Aucune photo de jeunesse, aucun texte de proche : rien. Ben Laden n’a jamais été l’ami des faucons. Des neo-cons, plutôt, diront les mauvaises langues. En revanche c’est un fait incontestable qu’une certaine presse américaine (plutôt conservatrice) s’est engouffrée encore une fois tête baissée dans quelque chose de grotesque, note justement Infowars.
"Le film est fortement encouragé par Fox News, qui met l’accent notamment sur l’affirmation selon laquelle "l’histoire de Parrot est pris en charge dans le documentaire de l’ancien agent de la CIA Robert Baer, un critique virulent de la politique américaine au Moyen-Orient et de la façon dont la CIA est gérée. Baer, un temps dirigeant la CIA au Moyen-Orient, sur lequel le film Syriana est basé, explique que pendant qu’il était dans la CIA, il a utilisé des satellites pour surveiller les camps et qu’ils se sont avérés être l’un des principaux moyens pour démontrer comment Al-Qaïda était financé. "
Pour appuyer le coup, Parrot vient parader sur les plateaux télés de la Fox, comme le faisait Jack Idema, notre préféré dans le genre...
"Au même moment, Parrot est apparu sur Fox News - coiffé d’un turban et avec un faucon sur son poignet - et a dit à John Gibson qu’il avait été personnellement témoin de rencontre entre Ben Laden et des représentants du gouvernement dans des camps des Émirats Arabes Unis. "Ils n’ont pas réussi à fermer les camps de fauconnerie,qui sont le lieu réel de la planification des événements terroristes que nous avons vu à travers le monde", insiste Parrot. On voudrait relancer une théorie d’un Ben Laden toujours vivant qu’on ne s’y prendrait pas autrement, Parrot ("perroquet" en anglais, un nom prédestiné pour servir la propagande !) insistant sur une dernière rencontre remotant à "
2008 seulement". . Autant faire parler les momies à ce stade. C’est gros, et c’est même grotesque comme méthode, et donc bien dans la veine de la télé poubelle de Fox-News. Grotesque, le propos de Parrot, qui conclut
"Je considère Ben Laden comme un trafiquant de faucon », déclare-t-il dans le film
" et à ce titre j’ai essayé de le joindre. "Tous les habitants de Kandahar haïssent ben Laden, car il a volé tous les faucons". A Kandahar, comme dans tout l’Afghanistan, ce ne sont pas les faucons que l’on choie. Mais les pigeons. Dont parfois, les américains, il est vrai, font
un tout autre usage... en Iran.
En résumé, on nous parlait il y a quelques semaines de faucons en nous prenant toujours pour des pigeons. Que ne ferait-on pas pour parler de l’homme dont le directeur de la CIA avoué il y a peu qu’il "n’avait aucune nouvelle de lui depuis 2000". Sachant qu’il est censé avoir organisé les attentats du 11 septembre 2001 ; c’est un peu gênant, pour sûr. J’ai déjà entendu des patrons de sociétés incompétents, mais je n’en ai jamais entendu un avouer aussi facilement celle de son entreprise.