La liste proposée sur le net par le FBI est un véritable inventaire à la Prévert. On y trouve de tout. Etudions plus attentivement l’un d’entre eux, fort présent dans les vidéos d’As-Sahab. Lui non plus ne fait pas partie pourtant des "
most wanted terrorists" du FBI ! Abu Yahya al-Libi, l’homme censé prêcher sur la vidéo du "
Ben Laden brumeux" de l’épisode précédent. On le trouve
ici aussi (écoutez donc la chanson c’est du
Gainsbourg ! - et lisez bien le commentaire du blog !). A lui seul il résume assez bien le problème : c’est un libyen, né le 1er janvier 1963. Arrêté par la CIA et emmené à à la
prison de Bagram d’où il s’est échappé, au
milieu des 12 000 miliaires présents dans des circonstances toujours assez floues : de mauvaises langues disent qu’on lui a
ouvert les portes, tout simplement !
Il se fera arrêter en 2002 en effet avec trois autres de ces amis : la presse avide de BD les appellera alors les
"quatre de Bagram" : avec Abu Abdallah al Shami, Abu Nasir al Qahtani et Omar al Farouq. Enfermés ensemble à Bagram dans la "
cellule 119", loin du regard des autres prisonniers. Omar al Farouq avait été capturé tôt, en 2002, à Djakarta, en Indonésie, amené à Guantanamo et
renvoyé à Bagram pour des raisons qu’on ignore. Farouq est un cas un peu spécial : il avait fait la une de Time magazine en 2002 sous le titre "
confessions d’un terroriste d’Al Qaida". Dans ce texte, on en avait appris de belles : Farouq avait très vite et sans tortures avoué qu’il était bien un des leaders de la branche indonésienne d’Al Qaida. Il était chargé des attentats à la voiture piégée, préparés avec Abu Zubaydah et Ibn al-Shaykh al-Libi. Zubaydah sera lui aussi arrêté, à Faisalabad, au Pakistan, et sombrera dans la folie en raison des tortures infligées. Farouq était bien un leader véritable, en cheville avec Rohman al-Ghozi, un Indonésien arrêté pour les attentats de Singapour et possédait le numéro de Ibin al-Khattab, le dernier combattant Tchétchène lié à al-Qaida, de dernier l’ayant appelé sur son téléphone a plusieurs reprises.
Avant de sombrer dans la folie, un interrogateur de la CIA aura le temps de faire dire à Zubaydah ce que tout le monde attendait : derrière Ben Laden, il y avait bien le prince Turki al-Faisal bin Abdul Aziz, le responsable des renseignements généraux d’Arabie Saoudite ! Turki al-Faisal bin Abdul Aziz aurait selon les minutes de l’interrogatoire passé un deal avec Ben Laden : celui de l’alimenter en armes et en nourriture à condition qu’il n’attaque pas son pays. Scoop attendu : depuis les attentats de 1998 contre leurs ambassades, les américains s’en doutent fortement. Guillaume Dasquié dans "Ben Laden - La vérité interdite" dira de même et situera l’aide apportée en 1995-1996 : "Étrangement, de façon concomitante, les services secrets saoudiens du GID, dirigés par le prince Turki Al-Faisal, décident de financer massivement les taliban ; en leur fournissant notamment des moyens de communication, mais aussi ces dizaines de pick-up noirs de facture japonaise aux vitres teintées, qu’ils affectionnent tant. L’Arabie Saoudite lâche toutes les autres factions issues des ethnies Ouzbek et Tadjik, qui se retrouvent dès lors dépourvues de moyens. Elles reculent, perdent du terrain. Faisant l’unanimité autour d’eux, les fondamentalistes marchent sur Kaboul et s’emparent du pouvoir à la satisfaction générale le 27 septembre 1996." Mais l’homme est intouchable : de 2005 à 2006 il est ambassadeur de son pays... à Washington : ce qui n’est pas non plus pour ne pas laisser courir les rumeurs de liaisons entre services secrets... et avec Ben Laden ! Dans les années 80, c’est Turki al-Faisal bin Abdul Aziz qui avait convaincu Ben Laden, qu’il rencontrait souvent, de combattre les russes au côté des américains !
Les interrogateurs américains ont donc alors sous la main quatre terroristes d’Al Qaida dont un qui vient de leur dire que le réseau mouille jusqu’au cou l’Arabie Saoudite et leurs propres services secrets. Il faut trouver un moyen de s’en dépêtrer. Il va falloir se débarrasser au plus vite des encombrants prisonniers. Le meilleur moyen et de leur fabriquer un leurre journalistique : mettre la pression et l’accent sur les geôliers et non sur les prisonniers. Pour cela, il faut organiser des interrogatoires musclés, à Bagram, "
pire que Guantanamo", pour insuffler l’idée comme quoi ce sont bien des terroristes et non des repentis, et attendre les bavures, en leur donnant si possible la plus large audience médiatique possible. Pour y faire venir des avocats et la presse. Et c’est ce qui va être fait.
Un soldat de la 377eme Military Police Company de l’Ohio, le sergent Alan J. Driver, se retrouve ainsi accusé d’avoir molesté Omar al Farouq, en le projetant contre un mur : le type même des interrogations musclées menées par la CIA à cette époque. Pour la presse, Farouq est donc bien un responsable important puisqu’il subit le même sort que les autres, et non celui qui a déjà tout avoué et est devenu certainement entretemps informateur pour les américains. Selon la presse, l’homme en cause était responsable d’avoir tué d’autres détenus : premier scandale. Il sera acquitté le 23 février 2006
avec les 11 autres de sa compagnie ayant fait subir des sévices ! Un seul dans le lot avait plaidé coupable pour la mort de deux prisonniers et n’avait hérité que d’une peine de principe ! Peu de temps avant, les quatre gros poissons d’Al Qaida avaient été déclarés subitement "évadés". Deuxième scandale, mais le premier occulte complètement la presse, qui n’apprend que sur le fil l’évasion spectaculaire. Exit les accusations dérangeantes. Nul ne sait à ce moment là exactement comment ils ont réussi à sortir.
Le 11 juillet 2005, les quatre terroristes s’échappent en effet dans des conditions rocambolesques. Ils crochètent leur serrure après la dernière visite du gardien, un soir, à 1h 50, se changent complètement (l’orange serait-il voyant en plein désert ?), rampent au
travers du camp, passent
sous les barbelés et un mur endommagé, traversent la route principale en macadam, et rejoignent un véhicule qui les
attend dehors... dans les champs, juste après avoir traversé sans encombre un champ de mines soviétique resté là depuis le précédent conflit ! Même Steve Mac Queen dans
"La grande évasion" fait office d’amateur au regard de leurs exploits ! Du James Bond, du Hollywood : jamais il n’auraient dû réussir ce genre d’exploit ! A moins, bien entendu de complicités à l’intérieur !
Au moment de l’échappée, même les médias américains, peu enclins à critiquer l’état de guerre s’étaient déjà posé la question :
"trop belle pour être vraie" titrait ABC News. Mais il n’y a pas que leur évasion qui intrigue : ce qu’ils font après s’être échappé est encore plus perturbant. Des quatre, relevait le magazine, seul Farouq al-Iraqi était mort depuis. Les trois autres étaient devenus aussitôt après les véritables porte-parole d’Al-Qaida dès leur évasion, en multipliant les vidéos bizarres, remarquaient finement les journalistes : Abu Yahya al-Libi parlant avec emphase d’ Abu Musab al-Zarqawi, le leader mort de l’insurrection irakienne, et le grand rival potentiel pour Ben Laden, Abu Nasser al-Qahtani prêchant l’attaque des bases US (c’est dans cette vidéo que le Ben Laden flou apparaît), au total cinq vidéos au sortir de prison...sans que le second d’Al Qaida ne les salue ou n’en fasse une seule.
Sortis de prison, ils ne s’étaient pas précipités sur leurs armes mais sur leur caméras ! Voilà qui n’était pas sans surprendre ! Très étrange comportement, surtout quand on voit qui ils encensaient maintenant à la surprise générale ! Les anciens disparus, mais aussi d’étranges personnalités. L’une de leurs vidéos saluait le leader du Hezbollah, le Sheik Hassan Nasrallah, un shiite qui n’avait jamais rien eu à voir avec Ben Laden ou Al Qaida, qui, on le sait, est d
’obédience plutôt
sunnite Wahhabite ! "Un comportement aberrant ! Et une évasion vraiment trop rocambolesque !
Le 25 septembre 2005, deux mois à peine après, on a enfin une bribe d’information concordante avec ce qu’on subodore : on annonce la mort d’Omar al Farouq, tué par des soldats anglais à Bassorah. Un article du New-York Times est paru entre temps, décrivant avec un schéma l’impossible escapade hors du camp. Selon l’article, les détenus avaient une idée très précise sur les habitudes des gardiens et de leurs rondes. Trop précise : ils en avaient été informés. L’article annonçant sans trop de surprises que Farouq
était bien un agent.... de la CIA. Le FBI n’a plus à chercher après, ou à faire semblant de chercher après ! Un des autres prisonniers de Bagram,
Moazzam Begg (un anglais incarcéré pour rien et arrêté par la CIA !) avait de toute façon fini par vendre la mèche : l’évasion avait bien été préparée par la CIA, selon lui, ce qui expliquait enfin le côté rocambolesque et incompréhensible de l’affaire. Au même moment, sur la chaîne Al Arabiya, Abu Nasir al Qahtani commentait une vidéo faite à sa gloire racontant son escapade, avec force détails, insistant sur la "
difficulté" à la réaliser, et "
l’intelligence" qu’il avait fallu pour la faire ! La propagande, toujours la propagande dans un sens comme dans l’autre. Begg témoignera dans un documentair
e, Taxi to the Dark Side, d’avoir vu deux prisonniers mourir de sévices à Bagram.
Le 13 novembre 2006, Abu Nasir al Qahtani se faisait reprendre à
Khost, en Afghanistan. Depuis, on a eu des nouvelles de lui : devenu le prisonnier
063 de Guantanamo, il a fait à nouveau la une des journaux en figurant sur les
cassettes des tortures ayant échappé au broyage décidé par G.W.Bush. On en publ
ie des détails en ligne. Cela tient au total sur 84 pages. Al-Qahtani, surnommé le "
20 eme pirate de l’air", car il avait essayé d’entrer à Orlando pour s’inscrire lui aussi dans l’école d’aviation d’Atta, clamait qu’il avait fini par
dire n’importe quoi sous la torture. Il avait déjà dit tout ce qu’il savait à Bagram ! Le 31 juillet 2008, Abu Abdallah al Shami avait succombé lui
à une attaque de drone.
Depuis, le seul en liberté, Abu Yahya al-Libi continue
à prêcher sur As-Sahab : c’est
"l’idéologue", paraît-il. Personne ne lui demande comment il a réussi à s’échapper, et que cela fait-il de travailler pour la CIA, à défaut d’expliquer à ses camarades qu’il s’est "évadé" grâce à la CIA et d’être désormais le seul à ne pas être mort ou à être en prison, ce qui devrait logiquement faire réfléchir ses petits camarades. Evidemment, c’est aussi un des plus virulents, il faut bien se donner une contenance. A adopter la même posture et le même décorum que Ben Laden, jusqu’à poser avec la même Kalachnikov.
Question propagande toujours, les américains voient en lui une "carrure" un "leader", comme l’affirme Jarret Brachman, un ancien de la
Central Intelligence Agency, qui n’en démord pas : ce gars-là, dit-il est
"un poéte, un guerrier, un homme cultivé, un érudit, un commandant, et il est vraiment charismatique "... bref un nouveau leader d’Al Qaida en devenir... voilà qui nous change du mollah Omar l’illettré, sans doute, ou d’Adam Gadahn, le benêt de service. En tout cas, quelqu’un qui sait déchiffrer les messages secrets. De la CIA. En fait d’intelligent, il colporte les pires ragots, comme ici sur la contamination des enfants par le HIV par les
infirmières bulgares, un grand classique de la désinformation : comme "poète", il se pose là, effectivement !!!
On est fort prévenant avec lui : ses apparitions télévisuelles bénéficient d’une meilleure qualité d’image que les autres, et même d’un meilleur lettrage en sous-titrage, que les autres intervenants d’As Sahab : on lui met des italiques pour les citations par exemple, sur les traductions. Mais il lit son prompteur en arabe dans le bon sens, au moins ! Il sera aussi parfois interviewé par Eric Breininger, alias Abdul Gaffar el-Almani, un jeune allemand né le 3 août 1987 à Neunkirchen, ayant épousé la cause djihadiste, paraît-il. Apparu récemment au printemps 2008, selon les services de renseignements allemands, peut-être plus doués que ceux de la CIA, il n’a réussi à recruter personne en Allemagne : c’est un passionné de Kalachnikovs davantage qu’un grand lecteur du Coran semble-t-il !
A son propos, les craintes alarmistes du Bundesnachrichtendienst, (le Service fédéral de renseignement ou BND) semblant assez exagérées. L’histoire des "bombes atomiques rudimentaires" ou des "bombes sales" imaginées par les amis de Breininger, semblant bien un remake complet de ce qui avait été dit à propos de Ben Laden il y a plus de huit ans. Selon les mêmes services, Breninger serait aujourd’hui à nouveau en Allemagne. Avec ses rêves d’attentat, paraît-il et son collègue Houssain al-Malla (né au liban). Mais il ne figure toujours pas pour autant sur la liste du FBI ! L’Allemagne recrute effectivement faiblement, en candidats au djihad, constate les observateurs, plutôt rassurés. Breninger et Malla avaient connu indirectement leur heure de gloire en avril 2007 avec ce qu’on a appelé le Ramstein Plot, la préfiguration d’une attaque de la base (nucléaire) par trois islamistes, Fritz Martin Gelowicz, 28 ans, le leader, Daniel Martin Schneider, 21 ans, et le turc Adem Yilmaz, 29 ans. Se disant tous trois de l’ “Islamic Jihad Union” (IJU), le groupe dont se revendique aujourd’hui Breninger, qui a l’air de la même trempe que Gadhan. A savoir un jeune exalté facilement manipulable. Le 27 septembre 2008, la police allemande arrêtait préventivement deux jeunes (un allemand et un somalien) à l’aéroport de Cologne : aux murs, les photos de Breninger. Le problème du terrorisme fabriqué, chez certains, c’est qu’il en entraîne d’autres, qui y croient.
Et Abu Yahya al-Libi aussi, évidemment, a eu droit depuis à "sa" rumeur d’avoir été tué par un drone : l’ultime légitimité, il n’y a pas de raison ! elle surviendra le 10 décembre 2009, au Sud Waziristan dans la région de Ladha. Bizarrement, un bombardement qui rate sa cible. Une attaque précédente le 16 octobre 2008 avait pourtant tué Khalid Habib le commandant du Lashkar al Zil, le nom de "l’armée secrète" de Ben Laden au Pakistan, selon la CIA. Mais notre "poète" en réchappera, lui... l’homme aussi fabriqué que ne peut l’être Ben Laden. Un autre Frankenstein, à la peau plus sombre. Porte parole d’une haine perpétuelle, la même qui fait dire à la fin de cet excellent reportage mis en lien que les fameuses femmes porteuses de bombes humaines de Bagdad n’étaient pas des handicapées. Mais que de le dire fabriquait un fort sentiment de répulsion dans le public américain, ce que je vous ai déjà dit ici : de la propagande, tout simplement ! De la propagande, comme celle qui maintient Frankenstein-Ben Laden en vie !
De Ben Laden, les services secrets US savaient en fait déjà tout depuis 1996 avec la défection d’un de ses proches, Jamal Ahmed al-Fadl, qui avait tout raconté aux deux agents du FBI qu’étaient Jack Cloonan and Dan Coleman. Al-Fadl, pour cela était devenu membre de la CIA, en ayant passé avec réussite le test obligatoire du détecteur de mensonges. En 1996, à Khartoum, Jamal avait volé 100 000 dollars à l’organisation de Ben Laden : c’était lui qui collectait ses fonds. Pour le rembourser, il avait revendu des informations à certains pays, dont Le Liban et l’Arabie Saoudite avant d’aller frapper à l’ambassade américaine. Le 9 décembre 2007, le New-York Times révélait (enfin) son rôle. De 1996 à 2001, il renseignait constamment le FBI sur le moindre mouvement de Ben Laden : or les attentats de 1998 se sont passés alors qu’il était déjà au service de la CIA depuis deux ans, mais sur le territoire américain. Après le 11 septembre, on en était toujours à l’interroger. L’ensemble de ses interrogatoires tiendra sur plus de 900 pages. Dans la presse on l’a présenté longtemps comme un prisonnier du FBI ! Comme le serait toujours Ali Ahmed, devenu aussi invisible que son ancien client ! En échange de sa défection, sa famille avait reçu protection et un million de dollars. Le seul doute qui subsiste à son égard, c’est quand il rejoint les troupes de Ben Laden en 1991, c’est très certainement déjà la demande de la CIA. A partir de là, son témoignage peut être mis sérieusement en doute : la CIA peut lui demander de raconter ce qu’elle souhaite à propos de Ben Laden.
Il n’empêche : si on ajoute son rôle à celui d’Ali Mohamed, les écoutes des téléphones satellitaires ou les portables tous décryptés ou piégés, et les tortures de prisonniers, avouez que pour ne pas trouver Ben Laden, il fallait vraiment le faire exprès. Frankenstein était connu sous toutes ses coutures ! Mais ce n’est pas pour ça qu’on l’a retrouvé...